Raconte ta grève : 4 premiers témoignages !

L’opinion est tenace. Malgré la propagande incessante des médias pour essayer de nous monter les un·e·s contre les autres, la majorité des gens continue de soutenir la grève. Quelques grévistes et non grévistes racontent comment il·elle·s vivent le mouvement en cours.

Est-ce que tu es en grève ? Pourquoi tu es en grève ? Peux-tu expliquer pourquoi c’est important à tes yeux ?

Nico : Je suis en grève les jours de grève nationale. Je travaille dans une boîte privée, certain·es de mes collègues sont aussi en grève, on est 5 grévistes sur 12, la plupart des autres ne peuvent pas venir bosser ou ont accepté le télétravail. Mardi 17, il n’y avait que deux personnes au taf.
Je suis en grève parce que je refuse de laisser les capitalistes nous retirer le peu de « protection sociale » que nos prédécesseurs ont conquis. Je ne veux pas réduire cette attaque à une attaque contre les retraites : c’est une offensive de plus contre nous, contre nos salaires, car la sécurité sociale, le chômage et la retraite ne sont pas des aides sociales, c’est pas l’aumône, c’est du salaire différé. Il est hors de question qu’on laisse le capitalisme en crise récupérer ce pognon.

Hélène : Je ne suis pas toujours en grève : j’ai fait le 5, et là le 17.
La grève, c’est important pour moi parce que je pense à ma mère qui est de 1953, elle est déjà à la retraite et elle ne s’en sort pas avec ce qu’elle touche, c’est moi qui l’aide de temps en temps, puis je pense aussi à mes gosses, car je sens que ça sera très compliqué pour elles. Mon mari et moi, on a eu des carrières morcelées, incomplètes, de l’intérim, du chômage, un peu de RSI, congé mater, congé parental, bref, on est en plein dedans… Tout ce qu’on a cotisé est déjà perdu !
C’est comme un gigantesque braquage, cette réforme, c’est dégueulasse. Braquer les pauvres, ils n’ont que ça à faire ? Et nous proposer de mettre le peu qu’on a encore dans des fonds de pension, ils nous prennent pour les derniers des abrutis !!! Comme aux États-Unis, comme si on n’avait pas la télé, qu’on n’avait pas vu ces images, moi ça m’a marquée ces gens qui ont tout perdu.

C’est comme un gigantesque braquage, cette réforme, c’est dégueulasse.

Ali : Je ne suis pas en grève, je vous envie tellement… Dans mon boulot, il n’y a pas de syndicats à proximité, on voit tout le monde partir en grève et on se dit : et nous ? Et nous ? Les syndicats sont dans un autre dépôt, avec les cadres, nous, les technicien·ne·s, on est en intervention toute la journée, on se voit pas trop sauf avec nos équipes. On n’a pas encore passé le cap de dire à plusieurs : vas-y, on y va !
C’est important parce que c’est pas la question de la retraite qui est centrale, c’est celle du futur : comment on fera dans 10 ans ? Dans 20 ans ? Comment je paierai mes soins ? L’école de mes enfants ? Il y a beaucoup de choses qui passent dans ma tête, des inquiétudes de parent, principalement, mais beaucoup de rancœur aussi. Pour être honnête, j’ai jamais voulu travailler comme un fou : le dimanche soir, j’ai beau avoir 44 ans, je veux pas que la semaine recommence, encore, et encore… Ce mouvement, c’est ça qu’il porte, c’est cette colère, cette rancœur, cette boule au ventre de tous les dimanches soirs.

Ce mouvement, c’est ça qu’il porte, c’est cette colère, cette rancœur, cette boule au ventre de tous les dimanches soirs.

Julie : Je peux pas dire que je suis en grève bien que j’ai posé une journée de grève le 5 décembre. Je me suis mise en grève pour soutenir le mouvement et contester la réforme des retraites. Il faut arrêter la casse sociale et en finir avec les réformes ultralibérales, parce qu’on exploite pas les gens toute leur vie sans leur donner aucune compensation pour leur service rendu à la société. Cette réforme elle signe la mort du principe de solidarité qui fondait le système des retraites français.

Est-ce que tu vas quand même au taf ? Et comment ? Ça te prend combien de temps ? Et au fait, tu fais quoi comme taf ?

Nico : Je suis développeur web, oui, je vais au taf les jours où je ne suis pas en grève ; pour venir, je me débrouille, je mets en moyenne 40 minutes à vélo contre 30 min de métro. Les collègues qui habitent loin sont en télétravail, mais d’autres viennent quand même, car la boîte nous a toujours refusé le télétravail, sauf, comme par hasard, pendant la grève ! C’est n’importe quoi, c’est injuste, quelques collègues ont donc refusé et viennent avec leur véhicule.

Hélène : Oui, je vais au travail en patinette ! C’est pas si mal en fait, ça me plaît. Je ne suis pas très loin. Je bosse dans les cantines et aux accueils du matin et du soir dans une école primaire de petite couronne. La grève me coûte très cher, car je suis vacataire, c’est comme si je manquais un jour de travail, il n’y a pas d’arrêt maladie, donc je n’ai pas de possibilité de faire beaucoup plus qu’un jour par semaine. Mais je soutiens à fond les grévistes ! Il faut aller jusqu’au bout, car on n’a pas le choix.

Ali : Oui, puisque je ne suis pas en grève. Je dois par contre anticiper à fond les bouchons, j’essaie de finir aussi plus tôt parce que c’est pas gérable, je mets facilement une heure de plus que d’habitude matin et soir. Je travaille comme technicien d’intervention pour des immeubles : la plomberie, le chauffage, etc., et je fais beaucoup de déplacements en camionnette dans mon secteur.

Julie : Je suis psychologue et oui je vais en partie au travail parce que je viens de commencer une activité et je veux pas perdre ma patientèle. J’y vais en taxi ou à défaut en Uber. J’aurais préféré la marche si je n’étais pas enceinte. Les lignes de métro que j’utilise sont fermées depuis le début de la grève. J’ai un autre emploi salarié dans le 93 et je peux pas y accéder, car j’ai ni métros ni bus pour y aller. Je vais essayer de rattraper des jours, mais on risque de m’enlever de mon salaire des jours d’absences que je n’ai pas choisis.

Comment tu t’organises avec tes collègues ? Tes voisin-es ? Est-ce que tes potes se sentent concerné-es ?

Nico : Au taf, on s’organise pas vraiment : on discute et c’est déjà très bien dans un milieu qu’on aurait pu penser très aseptisé, où un certain nombre de collègues se prennent pour des petits-bourgeois. En vérité, ils taffent plus de 40 heures par semaine pour des boîtes de merde, avec un management de type toyotiste, dégueulasse, invasif.
C’est la première fois que je vois des grévistes dans ce secteur !

Hélène : Mes collègues ne s’organisent pas trop : les fonctionnaires oui, les personnels de cantine aussi, mais les vacataires pas du tout. En plus de la question de perdre son salaire, il y a une grosse pression sur les jours de grève, car les accueils ne sont pas toujours fermés, quand il manque un collègue, c’est difficile pour les autres. Après on s’organise pour que les collègues qui ont des petits enfants changent leurs horaires, partent plus tôt, c’est normal.
Mon mari travaille dans la logistique, chez eux ils ne sont pas encore en grève, mais ça ne va pas tarder. Surtout qu’avec Noël c’est des périodes intenses, ça peut faire très, très mal !

Ali : Je t’ai dit, on s’organise pas, on vous regarde, on a trop envie de venir. Moi je suis pas un gueulard, j’ose pas y aller tout seul. Par contre, au quartier, ça parle beaucoup, je crois pas avoir croisé une seule personne qui ne soit pas contre la réforme, beaucoup sont en grève même à quelques mois de la retraite, ça se sent que c’est un mouvement massif.
Les gens en ont ras le bol, les loyers sont trop chers, la bouffe est trop chère, avec ce qu’on gagne, est-ce qu’on peut vivre ? Aujourd’hui, qui vit bien ? Alors demain… On dirait qu’on nous a tou·te·s aligné·e·s au SMIC quand on bosse, et que là l’idée c’est de nous aligner au RSA une fois la retraite arrivée…

Julie : Mes collègues salariés ont fait pour certains d’entre eux la grève du 5 décembre et se sont arrêtés à ça. Y a pas de solidarité de covoiturage pour aller bosser par exemple. En ce qui concerne mes amis ils sont pas mal concernés, j’échange beaucoup avec eux à propos du mouvement, ils soutienent tous la grève actuelle sinon ce ne serait pas mes amis.

Comment tu vois ce mouvement ? Qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ?

Nico : Je pense qu’il faut s’adresser aux autres boîtes, que les syndicats soient dépassés rapidement. Par exemple, dans ma boîte, aucune assemblée n’a été appelée, il a fallu attendre le 3 décembre pour que je reçoive par mail un pauvre tract qui appelait à la « mobilisation », mais pas à la grève !
Dans certaines boîtes où il y a plus de combativité, les syndicats au mieux ne font rien : ils n’organisent pas de rendez-vous collectif de départ en manif, ne tractent même pas dans l’entreprise ni aux alentours, ils n’appellent pas à la constitution d’assemblées décisionnelles. Et au pire, ils sont nuisibles : quand les salariés proposent des trucs, ils ne diffusent pas l’info, parfois réécrivent les tracts à leur sauce ou ne les apportent pas lors des actions. Ils attendent le moment où Philippe va les siffler pour aller à la table des négociations, c’est le foutage de gueule habituel !

Hélène : Il faut dire ce qu’on pense haut et fort ! J’en ai marre des discours contre les grévistes, certaines personnes disent n’importe quoi ! Quand on parle de privilégiés aujourd’hui, c’est pas de la RATP ou d’EDF qu’on parle, c’est faux ! C’est des politiciens et des grands patrons ! Si j’allais à BFM, j’aimerais leur poser la question que personne n’a osé leur poser : combien ils vont toucher de retraite, eux ? Sans même parler de fonds de pension, ils ont leur retraite bien au chaud… Et nous, on vivra de quoi demain ? J’aurais travaillé toute ma vie pour que mes gamines paient mes courses ? Ce n’est pas sérieux, je n’ose même pas y penser…

Ali : Moi j’ai envie de faire plein de trucs, déjà, bouger mes collègues. Ensuite, bloquer les autoroutes : les opérations escargots, c’est super, ça demande rien, ça fout le bordel comme jamais. Après, j’ai envie qu’on aille bloquer des gros trucs, les ports de la Seine, c’est des trucs énormes, faut pas croire, comme à Gennevilliers par exemple. Je m’en fous d’aller à l’Élysée, j’ai envie de faire des barbecues dans la cour d’une usine fermée, moi, je suis un gars simple.

C’est pas juste une réforme de plus.

Julie : Ensemble avec qui ? Je pense qu’après la défaite qui a suivi le mouvement de contestation contre la « loi Travail », si on perd à nouveau, on est mal, ç’en est fini du système français, des acquis arrachés de haute lutte pendant des décennies pour passer au système ultralibéral anglo-saxon créateur de misère. C’est pas juste une réforme de plus.

Note

Les prénoms ont été changés.

Localisation : région parisienne

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