Mauvaises nouvelles des étoiles – le capitalisme à l’assaut du ciel.

Quelques informations et réflexions sur les projets d’internet global à haut débit par satellites. Le capitalisme ne connaît pas de frontières et cette fois il nous méprise depuis l’espace qu’il pollue visuellement et matériellement.

Une photo au télescope du ciel nocturne, rayée par des satellites Starlink [1]

« Et par là nous sortîmes et virent à nouveau les étoiles [2] », souffle Dante en s’extrayant à la suite de Virgile du boyau reliant les enfers à l’autre côté de la Terre. Avec soulagement, les deux poètes contemplent le ciel nocturne et sa beauté apaisante après leur horrifique visite du royaume punitif de Satan.

À la fin d’une journée dans notre monde capitaliste, après avoir été témoin des diverses violences qu’impose ce système aux êtres humains, avoir été agressé·e par des publicités, parfois confronté·e de gré ou de force à une organisation absurde du travail, surveillé·e par des flics et des caméras, il arrive de lever la tête et de se perdre quelque temps dans la contemplation du ciel étoilé. Pour peu que l’on se trouve à un endroit où la pollution lumineuse le permette.

On regarde donc vers les astres de la nuit, tout ce qui brille et scintille gratuitement depuis toujours, on cherche la Grande Ourse, ça rappelle à certain·e·s un squat à Angers, et c’est surtout la seule constellation qu’on connaisse. Qu’importe, c’est joli, c’est infini, ça fait du bien. Enfin, jusqu’à ce que l’œil soit attiré par un point très lumineux qui se déplace d’un bout du ciel à l’autre, suivi par d’autres points, espacés de quelques secondes : soixante satellites Starlink viennent de traverser notre rêverie, le capitalisme nous crache encore à la gueule, cette fois depuis l’orbite basse de la Terre.

En ce moment, nous avons au-dessus de nos têtes plus de 4 000 satellites artificiels, dont une grosse moitié est en activité. Météo, télécommunications, GPS, outils scientifiques et militaires, le nombre de ces objets augmente de manière exponentielle depuis les années 2010. Starlink, le projet de réseau internet très haut débit à couverture mondiale développé par l’entreprise SpaceX du milliardaire Elon Musk [3], prévoit d’expédier dans l’espace jusqu’à 42 000 nouvelles ferrailles technologiques dans les années qui viennent.

Les lancements ont commencé en mai 2019, le dernier en date s’est hélas déroulé avec succès le 22 avril dernier : 60 nouveaux satellites ont rejoint la « constellation » (c’est le terme officiel) Starlink, qui compte maintenant 450 unités. Ces ferrailles font à peu près la taille d’une machine à laver ornée de grands panneaux solaires, pèsent dans les 250 kg, et orbitent à environ 400 km au-dessus de nous. Contrairement aux satellites lancés par les différentes agences spatiales, objets uniques et coûteux, dont le développement prend des années, les satellites de Starlink sont des choses jetables, produits industriels de masse, peu chers et relativement faciles à fabriquer, comme les stupides smartphones auxquels ils sont dédiés.

Ce qui rend particulièrement visibles ces centaines d’antennes relais à internet, c’est qu’elles reflètent les rayons du soleil. Suite à l’indignation générale des astronomes amateurs comme professionnels [4], dont certaines observations sont déjà compromises par Starlink, Elon Musk a promis qu’on verrait moins ses produits une fois l’orbite définitive atteinte, et que son entreprise allait réduire leur impact visuel en les peignant en noir… Ça serait peut-être encore moins cher de les emballer dans de grands sacs poubelle ? A priori, le résultat n’est pas flagrant, et 42 000 points qui se déplacent en même temps, quand bien même leur luminosité serait réduite, restent une modification incroyable et définitive du ciel nocturne (il faut environ 2 siècles à un satellite en orbite basse pour retomber).

Loi du marché et libre concurrence obligent, d’autres multinationales et leur cortège de start-up innovantes se pressent pour imiter cette infâme bêtise. Ainsi Amazon, propriété de l’infâme milliardaire Jeff Bezos, vise avec son projet Kuiper une flotte de 3 200 satellites, ou l’entreprise américaine OneWeb qu’une heureuse faillite liée à la crise du coronavirus stoppe provisoirement dans le lancement de ses engins construits par Airbus (74 sur 900 sont déjà en l’air). Boeing, Samsung et d’autres encore ont dans leurs cartons des idées similaires.

Pour les promoteurs de ces constellations de parasites visuels, il s’agit d’apporter aux 2/3 de l’humanité « privés » d’internet une connexion haut débit, que ce soit au fin fond des forêts primaires, dans les déserts de sable ou de glace comme au milieu des océans. En 2018, 60 % du trafic d’internet est consacré à la vidéo en ligne. Dans ce pourcentage, 34 % concernent la VoD (Video on Demand, les fameuses séries décérébrantes genre Netflix) et 27 % le porno (en immense majorité, sexiste et dégradant pour les femmes) [5]. On voit tout de suite le bienfait que l’espèce humaine dans son ensemble pourrait tirer d’un accès universel au web. Il serait injuste que seules les sociétés occidentales technologiquement avancées puissent s’aliéner dans le divertissement et la culture de masse. Pour Mark Zuckerberg, le sinistre PDG de Facebook, « la connectivité est un droit humain de base [6] ». Certainement plus que la liberté de faire autre chose que consommer. Ou de regarder les étoiles.

Comment convaincre les habitant·e·s du monde de ne plus jamais utiliser Amazon, ni Netflix, de laisser tomber smartphone addictif et applications chronophages, réseaux sociaux narcissiques et destructeurs, et de refuser les objets connectés qui sont des indics en puissance ?
Peut-être qu’en regardant le ciel nocturne et en voyant passer Starlink, illes prendront une nuit conscience du mépris souverain que leur portent celles et ceux qui nous gouvernent et nous font consommer, remplacent nos rêves par des séries et nos étoiles par des déchets en devenir.

G.

Quelques sources :

https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-mardi-04-fevrier-2020 (voir aussi les autres émissions sur la pollution de l’espace proche et la pollution lumineuse).

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/02/19/comment-les-satellites-starlink-parasitent-le-travail-des-astronomes_6030050_1650684.html

https://www.air-cosmos.com/article/projet-kuiper-amazon-envisage-sa-propre-constellation-de-satellites-297

https://www.numerama.com/sciences/620447-un-train-de-satellites-starlink-sera-visible-ce-vendredi-soir-dans-le-ciel.html

https://www.planet4589.org/ (site de l’astrophysicien Jonathan McDowel)

Pour regarder évoluer en temps réel un échantillon de ces bidules au-dessus de nos têtes :
https://satmap.space/

Notes

[2« E quindi uscimmo a riveder le stelle. » Dernier vers de l’enfer de la Divine comédie de Dante (1265-1321), texte qui raconte la visite aux enfers de l’auteur, guidé par le poète latin Virgile.

[3Cet individu peu recommandable a déjà prouvé une ferme volonté de polluer l’espace en envoyant en orbite autour du soleil une voiture électrique de sa marque Tesla… Cette épave porte l’inscription « Made on Earth by Humans » : au moins, les extraterrestres qui la trouveraient sont prévenu·e·s.

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