Marcher vers ou sur la République ? telle est la question

La marche du 19 Mars n’a pas été le lieu d’une rencontre, mais un entre-soi militant. De quoi se poser des questions sur l’objectif réel de celle-ci... Le cortège de tête a-t-il bien fait de « rester à sa place », c’est-à-dire en queue ?

Tristement, la marche du 19 mars était parisienne... On nous a enjoints de ne pas être offensif.ve.s lors de la marche de la dignité. Ne soyons pas dupes, c’est bien ce qu’il s’est passé. Les quelques frappes qui ont été faites restent anecdotiques.

En fait, le cortège de tête, devenu cortège de queue, était écrasé par le rythme d’une manifestation qui, devant lui, avançait pesamment vers la République (au double sens du terme...). Si le cortège de queue - renommons-le ainsi temporairement – est resté si tranquille, c’est parce qu’il n’avait pas l’énergie qui fait sa force, la liberté d’espace qui conditionne son action, les repères patiemment et durement construits à l’avant au cours du mouvement « Loi Travaille ! ». Il était totalement imprimé par le rythme des cortèges qui le précédaient, écrasé par la voix mortifère du cortège de Lutte Ouvrière qu’on entendait jusqu’aux dernières lignes. Les cortèges devant très structurés ont structuré les cortèges derrière. Logique de force et d’énergie qui se transmettent.

Mais aussi logique de respect. Une atmosphère respectueuse envers les familles des victimes régnait, et tranquillisait les cagoulé.e.s. L’argument était certes légitime. Plusieurs articles (entre autres : Notre radicalité ne s’incarne pas forcément toujours dans un brise-vitres) l’ont dit : militant.e.s parisien.,e.s qui ne voyez en votre action que la seule et légitime dans la rue, mais qui ne vivez pas la violence policière au quotidien, vous êtes bien présomptueux.ses à vouloir donner des leçons. Et c’est vrai. La vanité militante est exécrable.

Mais cet appel au calme, s’il a été lancé par les familles, a aussi été lancé par les organisations qui avancent leurs pions. La manifestation tournant mal, leur discours serait devenu inaudible. Tristement, malgré ce que l’on peut lire ici ou là, la manif était bel et bien parisienne, avec quelques cars venus de « province ». Ce n’était pas un lieu de rencontre, un lieu de convergence, mais une retrouvaille inversée, entre des militant.e.s de divers horizons qui constituaient numériquement 90% du défilé. Ce n’étaient pas les quartier qui étaient à nos côtés, contrairement à Bobigny, où nous étions aux leurs. L’argument du « militant qui doit suivre le premier concerné par les violences policières quotidiennes » n’était donc que moyennement tenable étant données les circonstances.

Ajoutons-y la question d’une pluralité des tactiques. Faire « péter » le cortège de queue aurait-il incriminé les familles ? Aurait-il mis en danger les quelques cortèges de sans-papiers, relativement loin ? Si c’était le cas, alors ce serait de l’inconscience que de vouloir déborder. Ca ne l’était pas. Les copaines ont bien fait de le rappeler dernièrement dans PLI (Black bloc : pour la diversité des tactiques) : le cortège de tête est avant tout une tactique respectueuse de la diversité des moyens de lutter et défend avant tout l’idée que les organisateurs.trices de la manifestation ne sont pas les chefs ni celles et ceux qui décident de la façon dont chacun.e doit exprimer ses opinions – désolé, mais non, ce n’est pas la marche du PIR, autrement ils.elles devront défiler seul.e.s. On peut être offensif.ve et respectueux.se.

Cela pose immédiatement la question suivante : à quoi a servi cet événement, si ce n’est peser dans un débat électoral où certaines organisations essayent d’y faire leur place ? L’article de Quartiers Libres l’a dit avec tellement de justesse : l’hégémonie culturelle est inversée (Tribune Libre : « Ils ont commencé indigènes, ils sont maintenant indigestes, ils finiront indignes »). La marche à République, qui aurait pu être une marche de Paris-Banlieue SUR la République, a été une marche VERS la République, symbole d’un rapport de force manqué, et de la pleine domination de nos institutions dites « démocratiques » mais pour le moins racistes.

Si celles et ceux qui étaient présent.e.s à Bobigny ne sont pas venu.e.s, c’est parce que c’est la forme même de l’événement qui a compté : le lieu, l’appel, l’organisation, l’information.... Allons même plus loin : le public présent au concert de rap le soir-même n’avait rien à voir avec la composition de la marche. Désolé de vous le dire, mais c’était le seul moment de la journée où jeunes de banlieue et militant.e.s parisien.ne.s du cortège de tête se sont retrouvé.e.s indistinct.e.s, chantant les mêmes paroles et dansant ensemble sur le même son - « force de la culture contre culture de la force », entendait-on. Le reste des militant.e.s n’était pour ainsi dire pas là. Dès lors, la forme de ce défilé n’a pas été autre chose qu’un choix... S’il avait été appelé à Saint-Denis, par exemple, il aurait certainement été ce lieu de rencontre auquel tant appelaient. Mais si vous croyez que cette marche était vraiment organisée pour ça... vous passez à côté de la réalité.

Je suis fier d’avoir marché derrière les familles des victimes, mais je suis triste d’avoir été récupéré politiquement, non par elles, mais par une partie des organisateurs et des partis ralliés à la marche (sur leurs bases !!!). Tâchons de nous réapproprier nos formes de luttes la prochaine fois...

Un flibustier du cortège de tête

Localisation : Paris

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