Luttes anti-carcérales dans les années 1970

La présentation du livre « Prisonniers en révolte. Quotidien carcéral, mutineries et politique pénitentiaire en France (1970-1980) » de la journaliste Anne Guérin, à la librairie Publico (Paris XIe) a été l’occasion de revenir sur les luttes des détenus au début des années 1970. Quelques notes de la discussion.

Mai 1968 a été l’occasion pour beaucoup de catégories de personnes qui n’avaient pas la parole de se faire entendre. Les luttes féministes, celles pour les droits des homosexuel(le)s, les revendications des ouvriers se sont affirmées dans ces années-là.

Les prisonniers, même s’ils n’ont jamais cessé de se révolter, ont pu faire entendre leur parole à ce moment-là. Beaucoup de militants de la fin des années 1960, ouvriers grévistes, etc se retrouvent emprisonnés. C’est l’occasion pour eux, se sachant soutenus à l’extérieur, d’organiser des grèves de la faim pour protester contre leurs conditions de détention.

Les prisonniers politiques souhaitent par exemple que les prisonniers de droit commun et les prisonniers politiques aient le même statut. Pas de division entre les prisonniers. En effet, les politiques et les droits-co n’ayant pas le même statut n’ont pas de promenades, ni d’accès aux douches au même moment. La communication est difficile quand l’Administration Pénitentiaire cherche à tout prix à atomiser les détenus pour qu’ils ne puissent se parler. Les détenus n’avaient pas non plus droit d’association (ce qui est toujours le cas maintenant), ni celle de monter un syndicat.

Ils n’ont que peu accès à la presse. En 68 par exemple, les prisonniers n’ont pas droit d’écouter la radio. Seuls 4 journaux circulent dans les taules : Paris Match, Points de vue-images du Monde, Jour de France et Radar (aujourd’hui disparu). Pas vraiment de la littérature subversive.

La situation politique de l’époque mais aussi la création du GIP (Groupe Information Prison) le 8 février 1971 par un groupe d’intellectuels (dont le philosophe Michel Foucault, le sociologue Daniel Defert et l’historien Pierre Vidal-Naquet) aide à faire connaître à l’extérieur la situation carcérale. Le GIP est comme un porte-voix aux revendications des prisonniers et se donne comme but de "faire parler les prisonniers de leur propre condition".

Les membres du GIP rédigent des questionnaires sur les conditions carcérales de l’époque et les font passer dans les taules, par les familles en visite ou par d’autres moyens. Les prisonniers répondent par centaines à ce questionnaire. Bien que l’expérience du GIP n’ait duré que 18 mois, elle a très vite été relayée par une autre association, initiée par Serge Livrozet, un ancien détenu : le C.A.P (le Comité d’Action des Prisonniers). Le journal du C.A.P est paru pendant presque 10 ans, de décembre 1972 à février 1980, revenant sur les actualités liées aux prisons et publiant régulièrement des lettres de détenus.

Début novembre 1971, le colis de Noël est supprimé par une circulaire de Pleven (le ministre de la justice de l’époque). C’est le tollé dans les taules. A Poissy, 400 détenus font une grève de la faim et revendiquent l’amélioration de leurs conditions de détention, le retour des colis et une augmentation de salaire. Ils sont bientôt suivis par La Santé (Paris), Nîmes, Grenoble, Draguignan et Fresnes.

Les demandes concernent les douches (les détenus n’ont droit qu’à une douche hebdo qui est soit trop froide, soit brûlante), une meilleure nourriture (la nourriture est infecte et les prisonniers crèvent de faim), l’obtention de sanitaires (avant les prisonniers font leurs besoins dans des tinettes, sortes de pot de chambre), les détenus demandent une meilleure hygiène (leurs draps ne sont pas lavés, des meilleures conditions de travail, etc.

Les révoltes sont spontanées mais brèves. Quand la mutinerie a lieu, les gardiens foutent le camp mais très vite les forces de l’ordre débarquent et violentent les prisonniers. Après la révolte, ils agissent avec un mode opératoire bien connu des détenus. Ils les font s’allonger par terre et les frappent avec férocité ou leur balancent des grenades. A Clairvaux, des prisonniers sont morts, sans qu’on connaisse le chiffre exact. Les journaux ne parlent pas de la répression après les mutineries des prisonniers. Les révoltes continuent en 1972 à Toul, Nancy pour réclamer la fin des quartiers d’isolement, les parloirs libres (parloirs sans hygiaphones qui séparent les personnes), etc.

En 1974, il y a eu 89 mouvements de révolte recensés au mois juillet-août.
En mai 1975, la réforme Pleven ne change pas grand-chose aux conditions de détention des prisonniers.

A la présentation du livre, un ex-détenu dit « Notre rêve c’est de détruire la prison, pas de l’améliorer".

Entretien téléphonique à l’émission Bruits de Toles (Radio Canal Sud - Toulouse) le 31 octobre 2013 (30 minutes).

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