Lettre à nos collègues AESH

Lettre de plusieurs Accompagnant·e·s des élèves en situation de handicap syndiqué·e·s à Sud éducation Paris à destination de leurs collègues de l’académie de Paris à propos des injonctions au télétravail.

Nous vivons actuellement une crise sanitaire d’une grande ampleur à laquelle les personnels de santé tentent de faire face. « Restez chez vous » nous adjurent celles et ceux qui depuis des mois crient dans le silence le plus total que l’hôpital public meurt à petit feu. Moins de budget, moins de lits, moins de matériel, moins de personnels et une précarité grandissante.

Cette précarité nous la connaissons. Elle rythme notre quotidien, elle traverse nos corps, comme des millions d’autres habitant·e·s de ce pays. Nous pensons aux travailleuses et travailleurs des hôpitaux mais également à celles et ceux des supermarchés, de la poste, des transports et des boîtes privées que les patrons refusent de mettre à l’arrêt à l’image des salarié·e·s et intérimaires d’Amazon.

Depuis ce lundi 16 mars nous n’avons plus de lieu de travail, nos écoles sont fermées, nous ne voyons plus nos collègues, ni nos élèves. Nous sommes confiné·e·s pour tenter d’endiguer l’épidémie de Covid-19. Il aura fallu attendre le dernier moment pour que des informations claires nous soit transmises : nous n’avons pas à nous rendre sur notre lieu de travail, notre salaire sera maintenu.

Mais le rectorat craint que notre salaire perde de sa valeur, que nous restions chez nous, inactif·ve·s, grassement payé·e·s à ne rien faire. Et il nous enjoint par mail : nous devons mener la continuité pédagogique et éducative, contacter les enseignant·e·s avec lesquels nous travaillons, adapter les supports, nous former, renseigner des questionnaires, répondre à des mails, contacter nos élèves par tous les moyens possibles, y compris en utilisant notre téléphone personnel ou en sortant poster un courrier comme cela est suggéré dans le mail que nous avons reçu ce jeudi 19 mars. Il ne s’agirait pas que l’on soit payé·e·s 700 euros pour rien.

Nous voudrions lui répondre que nous ne nous tournons pas les pouces : certain·e·s d’entre-nous sont malades, d’autres sont isolé·e·s ; certain·e·s d’entre-nous font de la continuité pédagogique, d’autres ont des proches malades ; certain·e·s d’entre-nous ont contacté leurs élèves, d’autres sont stressé·e·s ; certain·e·s d’entre-nous vivent dans 9m², d’autre s’occupent de leurs enfants ; etc.

Nous nous posons deux questions :

Notre métier est-il adaptable au télétravail ? Nous accompagnons des élèves en situation de handicap dans leur parcours scolaire. Nous travaillons avec des feuilles et des stylos mais aussi — et surtout — avec notre voix, notre ouïe, notre regard, nos gestes, notre posture. Facetime n’y compensera rien.
Nous avons passé des mois à créer des liens humains avec les élèves, à chercher comment les accompagner au plus juste au sein de la classe, à observer leurs réactions, leurs silences, les diverses expressions de leurs difficultés, à échanger, à réexpliquer, à relire, à remobiliser leurs attentions. Pouvons-nous faire tout cela par télétravail ? Certain·e·s de nos élèves sont particulièrement sujet·e·s au stress, est-il bienvenu de les soumettre à une situation de travail inconnue et déstabilisante, alors que l’accompagnement réel n’est plus possible ?

La situation est-elle adaptable au télétravail ? Le télétravail est (re)devenu à la mode en quelques jours, il est un nouveau moyen de rationaliser le travail de la masse salariale pour les technocrates. Il est une variable de gestion de la crise, il n’est soumis à aucune réglementation en matière de santé et de sécurité au travail. Les ordres se donnent à distance, ils paraissent légitimes, et nous sommes isolé·e·s derrières nos écrans à subir les pressions. Tou·te·s nos collègues disposent-elles/ils d’une connexion et d’un outil informatique adapté ?

Nous refusons les injonctions au télétravail. D’une part cela est incompatible avec la pratique du métier d’AESH, d’autre part cela ne fait qu’accentuer les inégalités entre élèves, ce qui n’est pas acceptable. L’urgence est sanitaire et sociale. Nous faisons et allons faire comme nous pouvons, avec les outils que nous avons, avec la force dont nous disposons.

Courage à toutes et tous !
Le 20 mars 2020

Lettre à nos collègues AESH
Localisation : Paris

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