Les poids et les mesures

Le 28 février 2017, les socialistes votaient la dernière loi sécuritaire du quinquennat Hollande. Une série d’articles qui étendaient à l’ensemble des forces de l’ordre les règles d’ouverture du feu, jusque là dévolues aux gendarmes, qui leur permettaient d’allumer tout contrevenant pour refus d’obtempérer. Un genre de permis de tuer qui les autorisait à tirer sur un véhicule en fuite qui aurait pu, dans cette dimension ou une autre, mettre en danger la vie d’un quelconque pandore. (Article paru sur Rebellyon)

Depuis, les simples flics ont commencé à prendre leurs marques, ce qui a fait quelque bruit après l’assassinat au fusil d’assaut, fin avril, des deux passagers avant d’une voiture garée en contresens près du Pont-Neuf. Le 4 juin, un véhicule cherchant à échapper à trois agents en VTT se retrouvait bloqué boulevard Barbès ; le conducteur qui avait plein de trucs à se reprocher comme avoir bu, fumé et déjà perdu son permis tente de s’esquiver. Neuf tirs plus tard, il est expédié aux urgences, puis en détention provisoire, et sa passagère à la morgue avec une balle dans la tête. Le lendemain à Vienne un autre conducteur, sans-papier, tente le rodéo de la mort, pour échapper encore une fois à un contrôle de police. Il est finalement appréhendé et transporté à l’hôpital. Le 8 juin, à Montélimar, un homme mal garé s’enferme dans sa voiture, moteur éteint, pour empêcher la fourrière de l’embarquer. Devant son refus de sortir, un policier municipal se met à imaginer un délit(-délire) ; et si la voiture démarrait soudainement, fonçait sur lui, ses collègues, les passants, etc. Il sort alors son arme de service et met en joue le conducteur, qui finit par obtempérer et sortir de son véhicule.

Avec ces histoires la rubrique fait divers semble bien remplie avant les législatives. Mais pas que. Ces incidents constituent en effet, au-delà des flaques de sang en train de sécher sur le bitume ça et là, d’épineux problèmes métaphysiques et politiques, qui nous obligent à prendre toute la mesure du tournant totalitaire attaché aux transformations du métier de policier, au cours de ces dernières années. Tout se passe un peu comme dans ces films de science-fiction un peu ronflants et un peu récents, genre Tenet, où les balles partent à l’envers, où les personnages forcément torturés finissent flingués par des échos du futur. Prenons donc la mesure de cette torsion des lois physiques, introduites par la loi de 2017.

Un conducteur ou une conductrice refuse d’obtempérer : c’est-à-dire de s’arrêter pour un contrôle ; si les flics tirent, prenant le risque de tuer et blesser les occupant-es du véhicule, le conducteur (ou la conductrice) est immédiatement accusé, comme par rebond balistique, de tentative d’homicide sur agent de forces de l’ordre. Bien souvent, après ralentissement dû à l’enquête, on passe à une simple violence avec arme par destination (genre une twingo). Mais il arrive que la scène se torde parfois davantage quand on découvre que des fonctionnaires de police mentent comme des arracheurs de dents quand il s’agit de se couvrir. Comme à Nantes (juillet 2018) où un CRS admet avoir « fait une déclaration qui n’était pas conforme à la vérité » après avoir tué un jeune homme dans une voiture qui tentait (selon lui) de se soustraire à un contrôle en marche-arrière. Ou comme à Sevran (mars 2022) où un policier est mis en examen pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner [sic] » après avoir exécuté un automobiliste au volant d’une camionnette présentée dans les médias comme volée.

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