Contre les mecs, et pour nos vies, enrageons-nous

L’artiste véritable, c’est toute femme saine et sûre d’elle, et dans une société féminine, le seul Art, la seule Culture, ce sera des femmes déchaînées, contentes les unes des autres, et qui prennent leur pied entre elles et avec tout l’univers

Qu’on se le dise les meufs, ce qui se passe c’est qu’on a mis des mots clairs sur nos dégoûts, sur nos dépressions.
Y en a qui peinent encore à le faire, qui se bourrent de médocs se défoncent à la merde pour zapper celle qu’elles vivent, et restent tout le temps plutôt seules, ou s’entourent de mecs .
Y en a qui s’organisent et se rencontrent régulièrement- ou pas-, se battent, se donnent des objectifs concrets, parlent- ou pas- mais soulagent un peu leur douleur de vivre, ensemble.
On portera aucun jugement sur qui fait quoi pour survivre.
Parce qu’on sait que c’est chaud de pas se défenestrer avec la vie de merde qu’on nous impose.
Perso, j’ai toujours fait un peu de tout ça, j’ai jamais trouvé la fameuse clé du bonheur, j’ai souvent trouvé que y avait vraiment de sens à rien.
Dernièrement j’ai lu cet article : https://leseumcollectif.wordpress.com/2017/04/18/sexnegative/, du Seum collectif, et je dois dire qu’il m’a frappée et remué les tripes.
C’est des trucs que je ressens depuis mes 13 ans, âge de ma première expérience sexuelle forcée, avec un bouffon de 17 ans avec qui je faisais de la natation en club et qui me martyrisait sexuellement, régulièrement, dans une cabine hyper glauque de cette piscine de merde que je hais maintenant autant que la sale tronche de ce petit ado violeur de merde, dont je me souviens encore très bien, malgré le fait que je ne sois pas du tout physionomiste. Je me souviens que ce petit abruti avait ensuite pris un certain plaisir à raconter ce que je subissais à tous mes « camarades de classe » (comme on dit), rendant mes années de collège un véritable calvaire.
Mais c’est pas grave, on a fait aller, avec une rage au ventre indicible, un truc qui déteignait petit à petit sur tous les aspects de mon existence comme une tache d’encre sur un buvard.
S’ajoute en terme de représentation masculine, la figure de mon père, qui nous tapait comme un taré, et celle de mon frère, qui se faisait un malin plaisir à insulter mon physique de préado et à critiquer tous mes choix vestimentaires et ma rage.
Je peux dire que j’en ai bouffé de la merde, comme toutes les autres meufs, depuis que je suis gosse, depuis que je suis en âge de culpabiliser, d’avoir honte d’être une meuf.
Honte de rentrer seule le soir, honte de me maquiller, de me foutre un décolleté, parce que bon, à 13 ans c’est normal d’être érotisée par sa famille, ses proches, ses profs, qui te font bien comprendre qu’il faudra pas trop t’étonner en somme, de te faire harceler ou même agresser dans la rue si tu n’es pas sage, si tu restes pas bien à ta place.
T’inquiète, je me maquillais en scred, je me foutais des décolletés hallucinants, j’insultais les mecs qui me harcelaient, je buvais, jme droguais, jme battais. Mais je baisais pas.
Je me souviens que je comprenais pas pourquoi mes copines devaient absolument se trouver un mec, à nôtre âge en plus, vraiment je captais pas. Je trouvais ça chelou, je les trouvais cons et asphyxiants « leurs » mecs . Et je comprenais pas que mes copines puissent kiffer baiser avec ces débiles qui leur manquaient de respect en permanence. Elles m’énervaient en fait, et je haïssais « leurs » mecs. J’ai d’ailleurs eu une révélation des années plus tard en lisant ce passage du Manifesto Scum : « L’amour n’est ni la dépendance ni la sexualité, c’est l’amitié. L’amour ne peut donc exister entre deux hommes, entre un homme et une femme ou entre deux femmes si l’un des deux, ou les deux, est un mec ou un lèche-cul à mec sans esprit et timoré. De même que la conversation, l’amour ne peut exister qu’entre deux femmes-femmes libres rouleuses, sûres d’elles, indépendantes et à l’aise, puisque l’amitié est basée sur le respect et non sur le mépris. »
Ces ptits mecs qui me draguaient en scred, qui insultaient toutes les meufs, qui « traitaient » leurs copines de salopes, qui voulaient pas qu’elles me voient, parce que j’avais une sale influence sur elles — parce que je baisais pas—, qui étaient plus vieux qu’elles, leur faisaient prendre de la coke, et finissaient leurs soirées à taper d’autres mecs hyper cons et hyper bourrés.
Bref, vraiment j’ai passé mon adolescence à rien capter, à hésiter sans cesse entre me sentir complètement étrangère à ce que j’avais autour et à développer une haine prenante pour les mecs, ainsi qu’un mépris de plus en plus prononcé.
Je ne comprenais pas comment fallait faire pour pas trop détonner, pour avoir quand même une existence sociale, pour pas me suicider. Je me suis donc mise à faire semblant, et j’ai vu que ça rassurait vachement mes proches. Je me suis trouvée un mec moi aussi, j’ai enfin eu ma « vraie » première fois (un mélange d’ennui et de dégoût), et ensuite un autre mec, un autre bouffon qui avait besoin de me baiser pour se sentir vraiment bien.
Bref, au final, j’ai toujours continué à en vouloir aux mecs et à les mépriser de plus en plus.
Ce qui est dur, c’est que t’as beau prendre sur toi, essayer de contraster cette haine et ce dégoût qui te submergent, le combattre, t’en reviens toujours à plus pouvoir t’empêcher de tacler les mecs pour ne pas leur laisser la moindre possibilité de te manquer de respect. Et vraiment, c’est du conflit en permanence.
C’est vraiment un truc de mecs de chercher les situations de conflit, pour avoir des interactions —violentes ou pas—, c’est vraiment un truc de mecs les réus, les grandes assemblées où ça s’engueule pour de la merde et de tenues questions rhétoriques sans grand intérêt, c’est vraiment un truc de mecs, connaître l’Histoire révolutionnaire par cœur et ses grandes figures, c’est vraiment un truc de mec, la guerre, le fantasme ou ce qui finit par devenir la réalité du conflit ; c’est vraiment un truc de mecs, parce que quand t’es une meuf, ta vie est une lutte pour la survie.
Ta vie est un décompte des jours où t’as résisté, où tu t’es pas annihilée par la drogue ou par le suicide, ou par autre chose.
L’antinomie d’être une meuf et d’être en couple, l’absurdité que c’est de sortir avec ton ennemi, n’en parlons pas ! Dans une relation hétéronormée, même si la personne avec qui tu es n’est pas un sale mec de merde, c’est quand même un mec, et des fois même si ça va, tu te dis qu’il se contrôle parce qu’il t’aime encore, te respecte encore, mais t’es pas sûre que tout ça ne soit pas qu’un énième leurre.
En vrai, j’ai des envies de meurtre tout le temps, quand je pense aux trajets dans le bus ou le métro, aux courtes interactions avec des mecs, à toutes les situations où je vais devoir être interrompue, où un connard va essayer de se foutre de ma gueule gentiment (oh, comme c’est mignon), à toutes les fois où un bouffon va essayer de m’expliquer que nous les meufs on est des privilégiées, qu’on a de la chance, qu’on nous demande pas grand-chose, et qu’on se plaint quand même.
Bref, j’ai la haine en permanence, je me réveille le matin, je pense à ça, je me couche je pense à ça, je mange je pense à ça, le seul moment cool c’est quand je fume de la weed, ça me permet de plus trop y penser.
En fait, ces derniers temps, avec les #balancetonporc, beaucoup de sœurs se sont défoulées, faut le dire, quelque part c’est cathartique, quelque part ça fait du bien d’inonder ces bouffons de mecs de la merde qu’ils font, juste de leur cracher à la gueule, et de leur dire qu’on sait ce qu’ils font, qu’on a bien capté ce qu’ils sont.
Mais aussi, qu’on va plus se laisser faire. Pour plus se laisser faire, faut plus du tout avoir peur, et ça c’est pas facile : ça peut passer par se voir, discuter, se battre, taguer, insulter, se défendre en groupe, attaquer si il le faut.
Mais faut que la peur change de camp, faut arrêter d’être passives.
Les mecs révolutionnaires veulent conspirer contre le pouvoir, nous faut qu’on conspire contre les mecs, car ils représentent le pouvoir qui nous opprime.
Faut arrêter de se faire prendre pour des connes, et faut qu’ils arrêtent de nous assigner au rôle de victime : depuis quand ça a fait changer les choses d’être sans cesse ramenées à ce qui nous tue ?
Faut se battre, partout, tout le temps, faut que ce soit notre projet.
Comme le dit Solanas (paix à son âme) : « Aucune véritable révolution sociale ne peut être réalisée par les hommes, car ceux qui sont en haut de l’échelle veulent y rester et ceux qui sont en bas n’ont qu’une idée, c’est d’être en haut. La « révolte », chez les hommes, n’est qu’une farce. Nous sommes dans une société masculine, faite par l’homme pour satisfaire ses besoins. S’il n’est jamais satisfait, c’est qu’il lui est impossible de l’être. En fin de compte, ce qui révolte « l’homme révolté », c’est d’être un homme. L’homme ne change que lorsqu’il y est obligé par le progrès technique, quand il n’a pas le choix, quand la société arrive au point où il doit changer ou mourir. Nous en sommes là. Si les femmes ne se remuent pas le cul en vitesse, nous risquons de crever tous. »

Remuons-nous le cul en vitesse !
Et arrêtons aussi de penser que juste lire suffira à nous affranchir définitivement :
« La vénération pour l’« Art » et la « Culture » distrait les femmes d’activités plus importantes et plus satisfaisantes, les empêche de développer activement leurs dons, et parasite notre sensibilité de pompeuses dissertations sur la beauté profonde de telle ou telle crotte. Permettre à l’« Artiste » d’affirmer comme supérieurs ses sentiments, ses perceptions, ses jugements et sa vision du monde, renforce le sentiment d’insécurité des femmes et les empêche de croire à la validité de leurs propres sentiments, perceptions, jugements et vision du monde.[…] L’artiste véritable, c’est toute femme saine et sûre d’elle, et dans une société féminine, le seul Art, la seule Culture, ce sera des femmes déchaînées, contentes les unes des autres, et qui prennent leur pied entre elles et avec tout l’univers. » (Valérie Solanas, toujours, paix à sa grande âme, un seul regret qu’elle ne nous aie pas définitivement débarrassées de Warhol)

Bref, enrageons-nous férocement.

Une meuf hyper vénère.

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