Les Gilets jaunes au rond-point de Châtelet !

Deuxième et troisième jour d’occupation de la place du Châtelet. L’occupation devient plus intéressante. Appel à investir massivement et urgemment les lieux. Venez manger, venez discuter, venez proposer des actions. Ramenez-vous toutes et tous avant qu’on se fasse dégager !

Mardi 8 octobre :

On a encore la gueule de bois du psychodrame de la veille : la lamentable quadruple AG qui a statué, pendant près de 10h, sur le fait de laisser passer ou pas des flics pour un cortège funéraire. Les flics sont passés ailleurs. Bref, on oublie.

Le soir, on est un peu inquiets. On arrive et on ne voit pas d’AG générale qui jouerait son rôle naturel de redispatcher vers des « comités actions environnement » qui seraient les équivalents des « comités actions travail » lors des mouvements sociaux. Quand une AG finit par se mettre en place, elle se limite à un type qui fait tourner la parole pour des informations logistiques. XR semble, en effet, organiser trois grosses AG principales par jour : une sur les actions le matin, une autre (dont on a oublié le rôle) et une le soir sur la logistique. On comprend bien la volonté de recruter du monde le soir, quand il y a le pic de badauds, ceux·elles qui rentrent du taf et d’autres curieuses et curieux qui cherchent un endroit où manger et trainer pour la soirée. On pense cependant que c’est justement à ce moment-là qu’on devrait mettre sur la table du contenu politique dans cette occupation : l’articulation du social et de l’environnement, quelques clarifications sur le capitalisme et des réponses anticapitalistes antiautoritaires, des idées d’actions qui permettraient à chacun·e de trouver sa place, selon son tempérament et ses limites.

Les 6 points de blocage de « b1 » à « b6 » ont chacun maintenant un nom qu’on utilise pour ne pas s’y perdre. Ce n’est donc pas à « b1 », mais au « Saloon » qu’on décide de se rendre pour assister à une présentation de la ZAD NDDL [1]. La discussion est calme, intimiste, on est tou·te·s assis·e·s dans la paille ou sur des palettes de bois. C’est agréable. Les questions fusent. C’est amusant d’entendre les interrogations qu’on se posait nous-mêmes, il y a quelques années : « Et comment on fait pour venir sur la ZAD ? Est-ce que je peux passer ? Comment je peux vous aider ? Est-ce que les enfants vont dans les écoles normales ? Vous piratez l’électricité ou vous avez votre propre entreprise (sic) d’éoliennes ? »

Après la discussion, on se dit : « Enfin ! Un peu de retours d’expériences : des témoignages des luttes par ceux·elles qui les ont menées ! » Faut-il le rappeler, la lutte pour la protection de l’environnement n’est pas apparue en octobre 2018, lors de la création d’XR. Ça serait bien de ne pas tout réinventer. Transmettre l’histoire des victoires et des échecs est nécessaire pour éviter de reproduire certaines erreurs. On est repartis avec l’idée que ce campement n’était finalement pas complètement inutile. On reviendra.

Mercredi 9 octobre :

Une difficile diversité des tactiques

On arrive vers 19h. Il y a du monde et c’est un peu plus diversifié que la veille. Une AG convergence des luttes GJ + XR démarre. Cool. On sent de la rancœur même si les débats se font dans le calme. XR, de par ses positionnements et sa communication, est sommé de s’expliquer sur ce que certain·e·s qualifient de désolidarisation avec les Gilets jaunes. D’ailleurs, on en est où avec la « convergence des luttes » d’Italie 2 ? La discussion ne dure pas, car XR ne veut pas faire de concurrence à l’AG principale. Et là… ce n’est pas passionnant avec encore beaucoup de points logistiques. Mais le problème soulevé la veille - ne pas se limiter à ces questions internes au camp, en particulier lors de la tranche 19h/23h - trouve une réponse : la logistique évacuée, une AG « générale » commence enfin.

Les interventions s’enchainent. Du plus mauvais au plus intéressant, le classique discours confusionniste anti-« banksters » :

  • « Ce qu’il faut, c’est combattre les banques et la finance internationale, car, quand ça sera fait, on sera souverain »

l’anticapitaliste de conviction :

  • « Il faut ramener du contenu, demain, pour l’infokiosque, je ramène brochures et livres et j’invite tout le monde à faire pareil »

des Gilets jaunes déterminé·e·s :

  • « On est plus en situation de négocier avec le gouvernement, il faut prendre, sans quémander »

et les sujets chauds chauds chauds :

  • « On aimerait qu’enfin XR ne mette pas en avant systématiquement la non-violence pour mieux cracher sur des militant·e·s prétendument violent·e·s et fasse preuve de beaucoup plus de solidarité avec les Gilets jaunes. La diversité des tactiques n’est pas une option, c’est une condition nécessaire. »
  • « Quels liens peut-on faire avec le 5 décembre noir ? »

Les interventions sont passionnées (certains XR, un peu sensibles, demandent un ton moins véhément) et s’enchaînent, mais on est trop nombreux. On va se répartir en petits groupes dans chaque point de blocage : « diversité des tactiques », « formation agriculture », « comment négocier avec l’État ? (sic) », « créations artistiques »…

On choisit « diversité des tactiques » au « Saloon ». Certain·e·s font un compte-rendu des blocages de la journée. D’autres parlent de l’exemple de la ZAD. D’autres se demandent pourquoi on ne prend pas les lieux de pouvoir (on aimerait leur rappeler qu’un mouvement appelé « gilet jaune » a pas mal tenté ce genre d’actions). Un XR rappelle la stratégie officielle :

  • massifier pour atteindre 3,5% de la population impliquée (et pas simplement sympathisant) [2]
  • non-violence, car une étude « montrerait » que c’est plus efficace
  • mixture entre happenings à la Nuit debout/Occupy et structure de long terme type ONG [3]
  • théorie de l’escalade : une dynamique qui ferait que des actions, actuellement hors de propos, car trop conflictuelles, deviendraient dans un plus long terme, envisageables. En gros, après une phase de « prise de conscience » des masses, tout devient possible. L’exemple du fondateur d’XR est donné : bloquer des aéroports avec des drones.

On essaie, au cours de la discussion, de dépasser le clivage violence/non-violence par le offensif/inoffensif, mais ce n’est pas gagné. Des tentatives sont faites en tentant de différencier :

  • violence physique contre des personnes
  • violences psychologiques
  • le sabotage et les dégradations ne sont pas violents et sont, en fait, une arme non violente particulièrement adaptée à l’époque.

Peu de choses ressortent réellement de cette mini-assemblée, mais la conversation était intéressante. On sent qu’en petit comité, la parole se libère et le dogmatisme XR se fait plus discret au profit des nuances des points de vue propres à chacun·e. Au final, chaque point de blocage va rédiger des revendications d’ici vendredi, histoire d’avoir des choses à dire, le jour où l’on se fera déloger et que les médias vont poser l’inévitable « Que voulez-vous ? » Va-t-on demander quelque chose de politiquement totalement inconséquent comme le nullissime « état d’urgence climatique de Extinction Rebellion UK » ? va-t-on la jouer réformiste avec une « descente énergétique planifiée » comme la levée de l’occupation contre la promesse d’une neutralité carbone pour 2025 ? Va-t-on transformer le campement en camp retranché pour s’affronter avec les forces de l’ordre ? Quitte à perdre, à se faire déloger, faisons-le avec un minimum d’amour propre.

Les Gilets jaunes ont leur cabane !

Les Gilets jaunes ont leur cabane suite à un appel à investir Châtelet par des groupes locaux de Gilets jaune parisiens ! Les 6 points de blocage et de campement s’améliorent en termes de confort. On sent moins le vent, la pluie et le froid, la nuit. Le campement a un énorme potentiel, il est grand, il est relativement confortable. Pour que son potentiel subversif augmente, il lui manque encore cependant :

  • de la diversité : le pourcentage de XR baba New Age est encore élevé, mais tou·te·s ne sont pas aussi perché·e·s et l’arrivée de Gilets jaunes et de collectifs anticapitalistes a changé légèrement l’ambiance
  • un infokiosque
  • un discours de clarification sur qu’est-ce que le capitalisme et qu’est-ce une réponse anticapitaliste antiautoritaire.
  • des comités d’action articulant social et environnement (faire lien par exemple avec l’acte Gilets jaunes du samedi 12 octobre)

Préparer l’expulsion

Quelques conversations avec des XR semblent montrer que, comme à Italie 2, cette occupation ne va pas s’éterniser. Il est probable que les militant·e·s présent·e·s aient déjà intériorisé le fait qu’ils et elles ne seraient plus là la semaine prochaine. Pour cette raison, et parce que les occasions sont rares de se rencontrer, de débattre et de s’engueuler, il est plus qu’urgent maintenant que les Gilets jaunes et des collectifs anticapitalistes, se saisissent du moment, constatent le potentiel subversif de ce camp et l’investissent pour l’enrichir de discussions et d’actions qui apporteront un nouveau rapport de force.

Venez manger, venez discuter, venez proposer des actions. Ramenez-vous toutes et tous avant qu’on se fasse dégager !

impatient-rebellion@protonmail.com

Notes

[1Notre-Dame-des-Landes

[2sur https://extinctionrebellion.fr/qui-sommes-nous/#nos-principes

La notion de « 3,5% de la population » est expliquée dans le Tedx de Erica Chenoweth The Success of Nonviolent Civil Resistance (en anglais). Erica Chenoweth, Ph.D., est professeure en politiques publiques à la Harward Kennedy School et au Radcliffe Institute for Advanced Studies aux USA. Cette personne ne croyait pas au succès des actions non violentes. Elle a alors étudié plus de 100 cas de campagnes violentes et non violentes de 1900 à 2006. Et elle a été époustouflée par les résultats de son étude qui se sont révélés à l’opposé de ses croyances. Non seulement les campagnes non violentes parviennent à leurs fins deux fois plus souvent que les campagnes violentes, mais de plus leur efficacité s’accroît à mesure que nous nous rapprochons de notre époque actuelle. Elle a constaté qu’il suffit de mobiliser 3,5% de la population d’un État pour réussir une révolution non violente. Et souvent, il a suffi de bien moins que cela.

[3sur https://extinctionrebellion.fr/qui-sommes-nous/#nos-principes

« Momentum-driven organizing » est un concept développé dans le livre This is an Uprising, co-écrit par Mark & Paul Engler. C’est un modèle d’organisation hybride qui combine la puissance explosive et à court terme des mobilisations de masse qu’il cherche à produire (type Occupy ou Nuit debout), avec la capacité à prendre des décisions collectives et à soutenir la lutte dans le temps qu’ont les structures classiques (types ONG). Ce type de mouvement est la clé de la stratégie globale d’Extinction Rebellion.