RESISTONS ENSEMBLE / bulletin numéro 149 / février 2016
Le procès qui contient tout
« N’oubliez pas que l’accusé n’est pas Amine Bentounsi, lui, c’est la victime, l’accusé est le policier qui l’a tué en lui tirant une balle dans le dos. Si vous l’acquittez, vous donnez un permis de tuer à la police… » Ces fortes et justes paroles n’ont pas été prononcées par l’avocat d’Amine… mais par l’avocat général, le procureur de l’État à la Cour d’assises de Bobigny. On se frottait les yeux. Il y aurait donc une justice dans ce pays ? Le représentant de l’État serait-il en train d’appeler le jury populaire à faire un exemple, face aux assassinats policiers, meurtres par balles, par étranglement, aux 15 morts par an ?
Mais, la Cour d’assise de Bobigny n’a pas déraillé. Avec ses 5 jours de débats, ses experts, médecins, ses 5 témoins directs qui ont assisté à la scène et vu que le policier n’était pas en état de légitime défense, avec son « témoin » policier qui admet piteusement avoir menti pour dédouaner son collègue, ses écoutes téléphoniques de conversations entre flics qui puent le racisme et où l’on apprend que, pour le flic accusé, le racisme anti-arabe n’est qu’une « opinion » (!)… Ce sont 5 jours d’enfumage qui laissaient croire que finalement l’évidente vérité pourrait, pour une fois, triompher. Puis ça a été le réveil : le jury « populaire » (3 magistrats et 6 personnes du 93 tirés au sort) se range derrière le flic tueur, et, à l’image de la fascisation des esprits, prononce l’acquittement du flic. Des cris de colère, de douleur des familles des victimes. L’ordre « naturel » est rétabli.
Durant ce procès, on a senti cette société qui chavire. Quelques jours après, Taubira démissionne, mais avant de partir, le Parquet, sous son autorité, fait appel contre l’acquittement du flic tueur. Cela montre les tensions au sein de l’institution à un moment où des changements profonds s’opèrent. État d’urgence, nouvelles lois en préparation… L’appareil policier gagne en pouvoir au détriment de la magistrature. A la télé, un des chefs du syndicat SGP/ FO, témoin de moralité pour le tueur, (« il était un bon délégué syndical, un boute-en-train »…) se félicite de cette démission et réagit à cet appel en accusant l’ex ministre d’être contre la police. Quant à l’avocat des flics, il accuse des « groupuscules » de manipuler la justice. Conséquence de la politique sécuritaire de la gôche : on apprend que l’intention de vote FN chez les flics passe de 30 à 50%.
Jusqu’ici, les perquisitions aux portes cassées, les violences policières, les morts dans les commissariats, dans les fourgons, dans la rue, les violences de la justice... étaient ultra majoritairement « réservés » à ceux qui sont désignés comme arabes, noirs, musulmans et/ou pauvres des quartiers populaires. Avec l’état d’urgence permanent et les mesures liberticides qui en découlent, on aura tous droit au même traitement.
Quelques jours après la fin du procès, ont eu lieu les premières manifestations importantes à travers le pays contre le projet raciste de déchéance de la nationalité et contre l’état d’urgence. Mais la lutte contre les violences policières, en étaient quasiment absentes. Comme les violences policières l’étaient de la manif pour les Goodyear. C’est clair, dans l’esprit des manifestants ce sont des affaires différentes, séparées, de même, vu des quartiers, ce genre de manifestations paraissent lointaines, « pas pour nous ».
Pourtant, face à l’enfumage et les matraques du pouvoir et de ses larbins, cas unique en Europe, si l’on reste isolés, c’est foutu, ils nous auront, on va être tous être emportés par le vomi « sécuritaire ».
> [ C H R O N I Q U E D E L ’ A R B I T R A I R E ]
Toute la vérité sur la mort de Tarek Belgacem
c’est ce que réclament les parents de ce jeune homme de 25 ans qui a été abattu par des policiers devant le commissariat de la Goutte d’Or, Paris 18, le 7 janvier dernier. Les policiers l’accusent d’avoir voulu entrer dans le commissariat après avoir crié « Allahou Akbar », il aurait été armé d’un hachoir et d’une ceinture d’explosifs. Les policiers disent ensuite que cette ceinture était fausse et que l’homme aurait eu sur lui un mot revendiquant son acte au nom de Daech. Mais, pour le père de Tarek son fils se serait rendu au comico en vue de régulariser sa situation. Les flics finissent par admettre que la ceinture d’explosifs n’existe pas, des témoins disent ne pas avoir entendu l’homme crier quoi que ce soit… mais aucune enquête approfondie n’est en cours. La famille a porté plainte.
État des lieux du traitement de la mort de Wissam El Yamni
Le jour de l’an 2012, Wissam retrouve des amis sur le parking de son quartier d’enfance. Son chemin croise celui de la police. Il ne s’en relèvera pas, et décède après 9 jours de coma. De nombreux témoins sur les lieux de son interpellation pour avoir jeté une pierre sur une voiture de police, attestent d’un passage à tabac. La famille, les amis, les soutiens constitués en collectif, se battent depuis pour obtenir vérité est justice. Le combat difficile a permis de mieux connaître le déroulement des faits, et révèle un deuxième passage à tabac des policiers dans le couloir du commissariat entraînant le coma. Des photos disparues, d’autres antidatées, des autopsies basées sur des rapports tronqués, des conclusions hâtives, abusives, voire mensongères… la recherche de la vérité est semée d’embûches pour le collectif. Un état des lieux revient sur quatre années de combat : http://resistons.lautre.net/spip.php?article558
Vive la contagion des luttes
M.Gao Peng père d’une fillette de 5 ans scolarisée à l’école Pajol, Paris 18e, a été enfermé au CRA de Vincennes le 23 décembre. Le 20 janvier, les parents d’élèves décident d’occuper l’école nuit et jour « sans limite de durée » et de manifester dans les rues « sans demander d’autorisation ni de permission à quiconque ». Leur lutte aura duré 5 jours, Gao Peng est libéré le 20 janvier. Pour les parents de l’école Orsel du même arrondissement, la victoire a été encore plus rapide : M.Mérabi Duglaze père d’un garçon de 5 ans, arrêté dimanche 31 janvier et jugé expulsable, a été libéré le vendredi 5 février après que les parents ont lancé une pétition, organisé un rassemblement et menacé d’occuper l’école.
Déchéance, lois, état d’urgence… le tournant dictatorial est engagé
Au moment de la parution de ce numéro on ne sait pas sous quelles forme la déchéance, l’état d’urgence, les lois sécuritaires, etc. vont être adoptés. Amnesty, la LDH… des démocrates authentiques protestent. En tous cas le tournant est désormais engagé : l’état d’urgence va être permanent, les lois vont être racistes et liberticides. Déchéance ou pas, la notion de « binational » qu’il y a quelques mois pratiquement personne ne connaissait, est désormais collée sur le front de millions de français comme une étiquette infamante : vous êtes des citoyens de seconde zone, de « papier ».
Regardez, par exemple dans le projet en discussion, la loi sur la « Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires ». Tenez-vous bien car elle entend installer dans les écoles, hôpitaux, RATP… des « déontologues », dont la tâche sera de déceler les mauvais comportements. Cette loi prétend viser les signes de « radicalisation islamique » mais c’est une police de la pensée digne de 1984 d’Orwell qui s’installe. La loi n’est pas encore votée, mais le racisme et l’islamophobie institutionnelle sévissent déjà. Exemple ? Amar, un des 3210 victimes de perquisition administrative (…), cité par Libération, résume en deux phrases le piège dans lequel il se trouve : « Il me semble que si vous affichez votre religion […], vous pouvez être considérés comme “radical” et donc pris pour cible. Si l’on s’efforce de ne pas trop afficher sa religion, ils pensent que l’on a quelque chose à cacher… »
Réparation pour les « victimes collatérales » de l’assaut de Saint Denis
C’est le minimum pour ces 39 familles dont 20 enfants dont le logement a été rendu inhabitable suite à l’assaut du 18 novembre contre les assassins du Bataclan. 3 habitants délogés ont été gravement blessés et l’un d’entre eux est encore hospitalisé. Constitués en association ils réclament tous un relogement en logement social à Saint Denis et la régularisation de ceux qui parmi eux n’ont pas de papiers.
À Calais, le pire est à craindre
Dans la nuit du 6 au 7 janvier, des no border ont filmé une vidéo qui prouve sans conteste la violence des membres du collectif « Calaisiens en colère ». Dans cette vidéo postée sur le site de Calais migrants solidarity, on reconnaît ces gens, armés de bâtons, jetant des pierres sur les migrants qui tentent une sortie hors de la jungle, sur la route de Gravelines ; plus grave encore, ces miliciens agissent de nuit alors que des CRS sont présents et ne font rien pour les arrêter. Par contre, un migrant afghan qui a riposté en jetant une pierre a été interpellé et condamné à 6 mois de prison ferme. Le samedi 23 janvier une manif rassemblant des migrants « politiques et économiques » et des militants venus de toute la France a eu lieu à Calais. Le lendemain, une action a été organisée pour envahir le port et a permis l’embarquement de 26 personnes à bord d’un ferry : 8 militants et 6 migrants ont été interpellés, le procès a été reporté au 22 février mais alors que les militants ont pu rentrer chez eux sous contrôle judiciaire et avec interdiction de pénétrer dans la région, les migrants, eux, ont été emprisonnés à cause de leur « farouche envie de passer en GB ». Leurs avocats ont relevé le caractère injuste de ce distinguo entre militants et migrants, de même que l’incohérence de la décision de poursuivre seulement 8 militants sur les 26 personnes interpellées. Début janvier, 3 véhicules blindés de la gendarmerie (VRBG) ont été livrés aux flics en poste à Calais : un signe que la volonté des politiques locaux de faire évacuer brutalement la « jungle » a été entendue par l’État socialiste ? Samedi 6 février, une manif à l’appel du mouvement allemand d’extrême droite Pegida qui entend « lutter contre l’islamisation de l’Occident » (avec notamment pour slogan « RAPEfugees not welcome ») a été interdite par la préfecture mais certains, se sentant bien chez eux, comptaient braver cette interdiction…
> [ A G I R ]
#NonAuPermisDeTuer
Un projet de loi prévoit de réformer la présomption de légitime défense pour les policiers. Infos et pétition : https://www.change.org/p/une-urgence-dire-nonaupermisdetuer
19 escargots en GAV
Une opération Escargot a eu lieu à Nantes le 12 janvier : bloquer le périph’ avec sa voiture, la lenteur contre l’aéroport et son monde. Au final, 19 personnes en GAV pendant 11h, relâchées en attente de leur procès le 24 février. À la répression, le mouvement répond : mobilisation ! Ayons tous les yeux (et le corps) tournés vers Nantes, le samedi 27 février, date d’une journée de mobilisation massive avec pour mot d’ordre l’arrêt des menaces d’expulsion sur les paysan-ne-s et habitant-e-s de la ZAD, ainsi que l’abandon définitif du projet d’aéroport. Toutes les initiatives d’ici là sont les bienvenues. « Ni travaux, ni expulsions ! »
Nantes, deuxième semaine de résistances !
À partir du lundi 15 février, chaque soir, dans des lieux différents, débats, atelier théâtre, projections... On parlera des Zad, des Kurdes, du Mexique, de l’état d’urgence... Et le week-end sera actif et festif. Infos à venir : http://www.semainederesistances.com/
Toulouse, appel à 10 jours d’autodéfense populaire
Du vendredi 15 au dimanche 24 avril 2016 au Centre Social Autogéré. Infos à venir : https://creatoulouse.squat.net/
Guide juridique spécial « état d’urgence »
Voici un précis juridique qui peut être utile à tous en ces temps d’état d’urgence pour ne pas être démuni face à la police et la justice, à lire sur http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article228
La voix des sans-papiers n° 14 est parue !
Bulletin du mouvement et des collectifs de lutte autonome, à lire sur : http://www.lavoixdessspap.domainepublic.net/
L’appel des Goodyear
« Pour la première fois depuis un demi-siècle un gouvernement a demandé que soit requises des peines de prison ferme contre des syndicalistes pour avoir participé avec les salariés à des actions en vue d’empêcher la fermeture de leur usine. » ainsi débute cet appel. Le 12 janvier, le tribunal correctionnel condamnait à 2 ans de prison, dont 9 mois ferme, huit anciens salariés Goodyear Amiens-Nord qui avaient retenu durant 30 heures 2 cadres de leur entreprise menacée de fermeture. En plus de la pétition sur https://www.change.org/p/fran%C3%A7ois-hollande-l-appel-des-goodyear et après les rassemblements du jeudi 4 février, des comités locaux se mettent en place dans plusieurs villes . 1res réunions le 16 février à 18h30 à Paris : Bourse du Travail - 3, rue du Château d’Eau 75010 Paris - le 18 février à 18h à Marseille : salle du Sporting Club du GPMM - Porte 4 Port de Marseille - le 19 février à 16h à Lyon : Bourse du Travail - 205 place Guichard 69003 Lyon – le 25 février à 18h à Lille : Espace Marx - 6bis rue Roger Salengro 59500 Lille…
Un site si instructif que les patrons aimeraient bien le voir disparaître…
62 personnes possèdent autant que la moitié de l’humanité, a-t-on appris ce mois-ci. Édifiant ou ... gerbant. À l’heure où les inégalités se creusent, un site internet qui recense les entreprises condamnées pour des fautes envers leurs salariés est poursuivi en justice. En avril 2015, le webmaster reçoit un jugement : 6 mois avec sursis, 3000 euros d’amende, 5000 euros de dommages & intérêts, sans avoir été convoqué à l’audience. Pétition pour l’arrêt des poursuites contre le site patrons-voyous.fr sur https://www.change.org/p/monsieur-le-procureur-de-la-r%C3%A9publique-des-hauts-de-seine-pour-l-arr%C3%AAt-des-poursuites-contre-le-site-patrons-voyous-fr