Le noir est une couleur chaude

Ce texte est écrit en réponse au texte « Rentrée des casses 2017-2018 : pour que le cortège reprenne des couleurs ». Il est une ode à la plus belle des couleurs, celle qui nous protège contre les attaques du pouvoir, le noir. Loin de celles et ceux qui l’associent à une couleur mortifère, nous le célébrons sans concession. Pour que le cortège de tête devienne une marée noire pour le pouvoir.

Le noir est la couleur de la tentative, celle des cachettes et de l’obscurité, celle de nos futures maisons lorsqu’on les visite la nuit, celle qui masque nos contours et dissimule nos gestes. Ce noir n’est pas mortifère, il est libérateur, et prétendre innover en voulant l’entacher de couleurs, c’est être bien aveugle et bien ignorant. Bien aveugle, car le cortège de tête fut un moment novateur justement parce que pour une des premières fois, la masse noire marchait en tête. Les bariolés suivaient derrière, avec leurs couleurs chatoyantes et leurs ballons gonflés d’hélium en haut de leurs camions sono. Bien ignorant ensuite de parler de l’action directe et du black bloc comme de l’expression d’une « diversité nouvelle des tactiques ». Cela devrait nous faire rire si cela ne nous affligeait pas à ce point. La destruction de l’autorité dans toutes ses expressions est aussi ancienne que l’autorité elle-même, et la seule diversité des tactiques qui nous intéresse est la diversité des moyens de la détruire.

Si ce cortège a tant attiré dans ses rangs, c’est par son dynamisme et son énergie. Breaking news : ce dynamisme et cette énergie ont été possibles justement grâce à cette couleur que nous portons tous et toutes. « Redonner des couleurs » à ce cortège, c’est lui couper les jambes et les bras, c’est lui redonner la forme et l’ambiance des cortèges que nous avons toutes fui. Le cortège de tête s’est regroupé autour de celles et ceux qui, habillées de noir et masqués de la tête aux pieds, avaient choisi l’attaque plutôt que l’égosillement. Il était noir dès le début, et c’est bien cela qui l’a rendu attirant pour tant de monde.

Au fil des mois et de sa croissance, les couleurs sont apparues entre les k-way. Là où une foule plus ou moins noire nous avait rejoint pour montrer son soutien, même si elle ne passait pas forcément à l’action, le cortège de tête a grandi à tel point qu’en certains endroits le noir s’est de nouveau trouvé en minorité. Cela signifie que, en groupe, nous étions devenus reconnaissables, repérables, attaquables.

En dehors de la partie tout à fait en avant de la manifestation, qui elle, restait toujours bien noire et bien compacte, il est arrivé qu’une partie du « cortège de tête » devienne hostile à notre présence, alors que c’est nous qui en étions à l’origine. Tandis que l’ambiance au départ était à la destruction et à l’attaque des flics, elle s’est parfois délitée à mesure que la couleur a fait son apparition. À tel point qu’à certains endroits du cortège, être un groupe de 10 personnes en k-way noir nous rendait aussi vulnérables qu’avant, lorsque nous naviguions entre les syndicalistes.

L’intérêt de s’habiller en noir est que l’on s’habille tous et toutes en noir, pas que seules quelques-unes le fassent au milieu d’une foule bigarrée, car dans ce cas elles sont encore plus visibles que lorsqu’elles n’étaient pas en noir ! Dans black bloc il y a black, mais il y a aussi bloc, et ce deuxième mot est au moins aussi important. Pour nous protéger du regard du pouvoir, il faut que nous soyons indiscernables, donc que nous soyons nombreuses, et tous de la même couleur. Si vous voulez vous habiller en arlequin, restez derrière s’il vous plaît, vous nous mettez en danger.

Si la manifestation du 31 mars 2016 nous a laissé un tel souvenir à tous, c’est aussi et surtout que, pour la première fois et sous cette pluie battante, le bon millier de manifestant-e-s qui marchaient en tête n’avaient d’autre choix que de défiler en k-way noir. Et c’est ce sentiment de force qui nous a submergés lorsqu’on avançait sur les flics et qu’on a entendu les premiers « ahou ahou ».

Le 18 mai 2016, des personnes intégralement masquées jusqu’au bout des ongles ont attaqué une voiture de police et l’ont incendiée. Un an plus tard, les flics ont déclaré en avoir identifié 9. Ils ont discerné les différences vestimentaires de ces 9 personnes, pourtant habillées presque intégralement en noir, d’avec le reste de la manifestation. Une de ces personnes est en prison depuis 16 mois parce que ses vêtements noirs étaient trop reconnaissables. Appeler à venir bariolées dans ce genre de contexte, c’est tout simplement compliquer la tâche des manifestantes qui se mettent le plus en jeu, qui risquent le plus gros.

Le noir est notre seule page blanche. Il n’est mortifère que pour cette civilisation et ses agents. Sous les cagoules, nous savons bien que pour nous, il est une promesse. Une promesse de destruction de ce qui nous empêche de vivre à tout prix. Il faut être vraiment à l’ouest pour croire que cette couleur peut repousser alors que c’est bien elle qui a attiré tant de monde dans ce fameux cortège de tête. Ou plus exactement, elle attire celles qui veulent agir et repousse ceux qui viennent en spectateurs. « Redonner de la couleur » à ce cortège, c’est l’affaiblir. Soutenir ce qui fait la force de cette partie de la manifestation, c’est en endosser la couleur de ralliement.

On a des marteaux sous les k-way et le cœur rempli de colère. On défile en noir comme la nuit, des éclats de rire plein les cagoules.

Cortège de tête, tendance sombre.
12 septembre 2017
Localisation : Paris

À lire également...