Le criquet pèlerin et la menace de la crise alimentaire

La crise du coronavirus n’est pas la seule rencontrée par les pays du Sud. De la corne de l’Afrique jusqu’au Pakistan, une nouvelle menace sévit depuis plusieurs mois : les invasions de criquets. La prolifération de cet insecte destructeur des récoltes risque d’aggraver l’insécurité alimentaire des régions concernées. Cette crise, inédite depuis 70 ans, rend plus urgente que jamais la nécessité de s’emparer de la question de l’alimentation dans une perspective communiste.

Depuis plusieurs mois, l’Afrique de l’Est, la péninsule arabique et l’Asie occidentale rencontrent le problème d’une multiplication inédite des criquets pèlerins. Regroupés en essaims, ces insectes détruisent les productions agricoles et présentent une menace pour la sécurité alimentaire des pays où ils se multiplient. Cette menace vient s’ajouter à la longue liste des problèmes rencontrés dans la région, de la guerre au Yémen jusqu’aux inondations en passant par l’expropriation des paysans par des capitalistes étrangers appuyés par les bourgeoisies locales. À tout cela, il faut encore ajouter la crise du coronavirus, obstacle de plus à la lutte contre la prolifération des criquets. La crise en cours est une conséquence du dérèglement climatique. Loin d’être une simple « catastrophe naturelle », elle rend urgente la nécessité de penser le problème de la production agricole et de la souveraineté alimentaire dans une perspective révolutionnaire, à rebours des palliatifs proposés par les organismes humanitaires dont l’objectif ultime n’est jamais que de rendre acceptable les mesures encourageant l’investissement capitaliste dans le secteur agricole, aux prix de millions de vies humaines.

Atlas of Places Network Semiotics I, 2020

Quelques données importantes

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le criquet pèlerin est l’insecte migrateur le plus ravageur au monde. Habituellement solitaires, les criquets se grégarisent lorsque leur prolifération les contraint à parcourir de plus grands espaces pour se nourrir. Leurs corps se préparent à de plus longs voyages, leurs muscles se développent. Plus inquiétant encore, ils se mettent à consommer des plantes normalement toxiques pour eux, ce qui leur fait prendre une couleur plus claire, avertissant leurs prédateurs habituels de leur toxicité nouvellement acquise par leur changement d’alimentation. Les essaims contiennent entre 40 et 80 millions d’individus au kilomètre carré. Chaque individu peut consommer l’équivalent de son poids en une journée. Ainsi, en l’espace de 24 heures, un essaim d’un kilomètre carré peut consommer la même quantité de nourriture que 35 000 êtres humains. Il y a quelques mois, l’un des plus gros essaims de criquets observés faisait environ 2 400 km² soit la superficie du Luxembourg. Se déplaçant au gré des vents, les criquets pèlerins peuvent parcourir jusqu’à 150 km en une journée. Le nombre d’individus peut augmenter de façon exponentielle à chaque génération, multipliant sa population par 20 au bout de trois mois, par 400 après six mois et par 8 000 après 9 mois. Le 28 avril dernier, la FAO publiait un bulletin d’information pour alerter de la situation alarmante en Afrique de l’Est. La multiplication de ces insectes représente une menace pour la sécurité alimentaire des habitant·e·s de cette région. Au Kenya, en Éthiopie, en Ouganda, au Soudan du Sud, en Tanzanie et en Somalie, environ 20 millions de personnes sont en état d’insécurité alimentaire aiguë. Au Yémen, ce sont 15 millions de personnes qui sont touchées par ce parasite. Il faut s’attendre à ce que les premières pousses des récoltes attendues pour le début du mois de juin soient en grande partie dévorées. Cette crise est sans précédent depuis 70 ans.

Carte de la situation au 04 mai 2020 (source FAO)

Les raisons de cette prolifération inédite

Pour expliquer la prolifération inédite des criquets pèlerins dans la région allant de la corne de l’Afrique jusqu’au Pakistan en passant par le sud de l’Iran, plusieurs facteurs sont en cause. Le premier est l’augmentation de la fréquence des cyclones, liée à une intensification des variations de température entre l’Est et l’Ouest de l’océan indien en 2019 (aussi appelé dipôle de l’océan indien) provoquant une multiplication des pluies et des inondations dans la péninsule arabique et en Afrique de l’Est déjà à l’origine de déplacements de populations. Pour se reproduire, les criquets ont besoin d’un sol humide et sablonneux dans lequel les femelles peuvent déposer leurs œufs. En s’étendant sur des périodes habituellement sèches, ces pluies ont rendu les sols propices à leur multiplication.

Outre cette explication météorologique, signe que la région est l’une des plus vulnérables au dérèglement climatique en cours, la guerre au Yémen a aggravé la situation, en rendant inapplicables les mesures de prévention contre le développement des essaims. En se déplaçant en fonction des vents, les essaims développés peuvent ravager d’autres territoires en dépit des mesures qui auraient pu être prises.

Des prévisions alarmantes

L’arrivée à maturité de jeunes essaims juste au moment de la saison agricole en Afrique de l’Est annonce une aggravation de l’insécurité alimentaire dans la région. Au Kenya, de nouveaux essaims sont en cours de maturation. En Éthiopie, on observe des essaims immatures dans le Sud, des essaims matures au nord des régions sud, ainsi que des essaims au stade intermédiaire de larves à l’Est. En Somalie, les criquets se multiplient à la frontière avec l’Éthiopie. Au Yémen, alors que des inondations ont lieu, les signalisations d’essaims matures se multiplient.

Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) alerte sur la probabilité que les invasions s’étendent à l’ouest de l’Afrique d’ici au mois de juin. Dans un article publié récemment, des chercheurs du centre ont construit une modélisation du risque d’arrivée des essaims au Tchad – pays considéré comme la porte d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest – au cours du premier semestre 2020. Les simulations effectuées sont basées sur les séries des vents entre 2015 et 2019, et montrent que la possibilité de l’arrivée de criquets au Tchad dans les mois qui viennent n’est pas à prendre à la légère.

Résultat d’une simulation avec la série des vents de 2019
Mots-clefs : crise | Afrique

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