Le 24 novembre, Paris s’est embrasé…

Samedi, nous étions dans les émeutes qui ont opposé les gilets jaunes aux forces de l’ordre. Récit.

Samedi 24 novembre. Il est plus de midi lorsque nous arrivons aux abords des Champs Élysées. Dans les rues, plusieurs cortèges se sont formés composés de milliers de tâches fluorescentes et animées. Des hommes, des femmes, des jeunes, des personnes âgées, voire très âgées et quelques enfants qui accompagnent leurs parents émergent de toutes parts. Les groupes paraissent s’être formés de façon spontanée en un cortège sans structure mais déterminé. Tous convergent vers l’Élysée dans l’intention de s’y faire entendre.
Pour les gilets jaunes, les hostilités durent déjà depuis le début de la matinée. Les Champs Élysées sont à cette heure complétement bloqués par des cordons de CRS, des barricades en feu et des milliers de manifestants. Sur place, c’est l’émeute : les lacrymogènes, GLI F4, grenades de désencerclement, canons à eau et coups de matraques qui ont accueilli les groupes venus de toute la France ont provoqué une colère vive, puissante, sonore et unanime.

Autour de nous marchent des familles, des bandes d’amis ou des collègues de travail. Les groupes qui affichent clairement leur appartenace à l’extrême-droite semblent finalement peu nombreux contrairement à ce que les médias de masse assènent depuis le matin. Plusieurs fois, la Marseillaise, entonnée en cœur par de nombreux manifestants est interrompue par des slogans anticapitalistes dans une ambiance bienveillante étonnante...
Très rapidement, la police intervient pour quadriller l’espace et bloquer chaque accès vers le Palais présidentiel. Tandis que les gilets jaunes avancent, les lacrymogènes se remettent à pleuvoir. Des salves répétées et particulièrement offensives sont envoyées sur la foule sans distinction. Elles s’abattront d’ailleurs sur des pompiers appelés pour embarquer un blessé.

Partout c’est l’indignation. Les grenades sont si nombreuses que les gens peinent à les éviter au sol. Difficile de retrouver son souffle. Il n’y a aucun abri, les commerces ont tiré leur rideau et les riverains ont condamné leur porte. Dans la rue, un petit groupe de black bloc, habitués des manifestations parisiennes distribue du sérum physiologique, calme les peurs et tente de protéger les plus fragiles pendant les assauts sous un brouillard à couper au couteau. Il n’y a pas d’eau, mais au coin d’une rue toutefois, un hôtel permet à des personnes gazées d’accéder aux toilettes pour se soigner les yeux.

Asphyxiés de toutes parts, les manifestants organisent alors de nouvelles barricades pour se protéger des Crs et les tenir à distance. Des poubelles prennent feu, des projectiles volent, il faut se défendre ! Les plus audacieux, près des boucliers, y trouveront gazeuses à main et tonfas.

Plus loin, les discussions vont bon train, on raconte son quotidien, des anecdotes, quelques blagues mais surtout sa colère. Désormais les regards qui s’échangent sont entendus, complices… Nous nous sommes compris.

A la tombée de la nuit, retour sur les Champs, transformé en champs de bataille. La mousse épaisse et grise projetée par les canons à eau recouvre chaussée et trottoirs. Barrières, chaises, pots de fleurs, vieilles planches et matériel urbain composent d’immenses barricades érigées sur toute la largeur de l’avenue. Sous la lumière des décorations de noël souffle un air séditieux qui nous provoque un sentiment de délice, voire d’euphorie. La fatigue se lit sur les visages des gilets jaunes mais la détermination est intacte. En face, les policiers font triste mine, tels des pantins articulés égarés dans un jeu de quilles, ils poursuivent leurs tirs et leurs déplacements en crabe sous les insultes et les huées du peuple français. Les blessés sont nombreux. L’un de nous est violemment atteint par un tir de grenade, une arme que la France affectionne particulièrement pour se défendre des manifestants et qu’elle est la seule en Europe à utiliser…
On réalise alors, mais nous le savions déjà, que l’État ne tient plus. Ne tient plus que par cela : un cordon de CRS.

Localisation : Paris

À lire également...