Laisser sa chance à Macron ? Certainement pas !

Depuis le 7 mai et la victoire de Macron, plusieurs manifestations ont eu lieu un peu partout en France et la volonté de s’opposer dès maintenant à la politique que va mener Macron se fait ressentir dans le Monde militant, mais dès lors que cette volonté sort du milieu militant, elle se heurte instantanément à deux réflexions que sont les traditionnels
« c’est la démocratie » et « laissez lui sa chance ». A cela, nous répondons « certainement pas ! ».

Ainsi, à en croire une partie de la population, une élection ferait disparaître toute divergence d’opinion et d’intérêts, ou du moins canaliserait ces divergences le temps de « laisser sa chance » au président nouvellement élu. N’est-ce pas paradoxal, dans une démocratie justement, de clamer haut et fort l’illégitimité de la contestation, voir d’appeler à la censure ? Le concept même de démocratie, pour exister, a besoin de contestation, de débat, de désaccords car les intérêts personnels et collectifs sont nécessairement divergents. Pourquoi alors vouloir faire taire l’expression de ces divergences alors que leur existence est inchangée après les élections ? Les millions de personnes n’ayant pas voté pour Macron ou ayant voté pour lui uniquement pour faire barrage à Le Pen devraient ainsi ne pas s’exprimer pendant quelques temps au nom de la démocratie qui leur donne pourtant le droit de s’exprimer et qui ne peut exister que par l’expression des avis divergents.

Cette idée selon laquelle s’opposer aux idées, au programme et à la légitimité d’un homme élu n’est pas possible dans le cadre de la démocratie est non seulement incohérente, mais elle est également dangereuse. Néanmoins, elle naît d’une confusion. En effet, en manifestant contre Macron, en s’opposant à lui, en clamant notre désaccord, nous ne remettons pas en cause le fait qu’il a été élu. Oui, Macron a été élu selon les règles applicables aux élections présidentielles en France, et personne ne remet cela en question.
Cependant, il n’est pas besoin de faire dans le complotisme et de remettre en cause sa victoire pour douter de sa légitimité.
Ainsi, afin de questionner la légitimité du président Macron, il faut soulever un certain nombre de points essentiels.

Avant de nous attarder sur la victoire de Macron, il convient de nous questionner sur le système électoral français de manière générale. En effet, le fait que Macron ait gagné selon les règles constitutionnelles françaises ne signifie pas pour autant qu’il est légitime.
En France, le mode de scrutin pour les élections présidentielles est uninominal à deux tours avec seuls deux candidats qualifiés pour le second tour. Si ce système nous paraît normal à première vue car nous avons tous grandi avec, il doit être analysé et remis en question. En effet, ce mode de scrutin n’est pas anodin et comporte un certain nombre de défauts. Il a été mis en place en France en 1962, c’est à dire à une époque où la vie politique française était composée de trois forces principales, la gauche, divisée idéologiquement mais unie lors des élections, et le centre et la droite composée d’une force centriste, le Mouvement Républicain Populaire et de divers mouvements rassemblés autour du Général De Gaulle. Le mode de scrutin a donc ainsi été créé sur mesure pour favoriser un système composé d’un faible nombre de forces politiques, système qui a été favorable au Général De Gaulle étant donné que ce dernier a remporté haut la main l’élection présidentielle de 1965.
De 1974 à 2012, à l’exception de 2002, le second tour de l’élection présidentielle a toujours vu s’affronter un candidat issu de la principale force politique de gauche et un candidat issu d’une des principales forces politiques de droite.
Jusqu’en 1995, le Parti Communiste présentait régulièrement des candidats n’étant pas des politiciens de formation ou du moins n’étant pas passés par les principales écoles de formation de la classe politique française, permettant de faire exister dans le débat public une voix non issue de ces milieux. Depuis, les principaux candidats sont tous issus des mêmes écoles, des mêmes milieux sociaux, des mêmes partis politiques.
Cette professionnalisation de la vie politique et cette confiscation du pouvoir par une élite issue d’un milieu particulier est en partie liée au fonctionnement de l’élection présidentielle.
En effet, le fait d’élire une personne et d’avoir fait de cette élection l’élection la plus importante en France a une forte valeur symbolique. On n’élit pas une programme, une idéologie, un parti, on élit un homme ou une femme. Ainsi, la forme importe plus que le fond, la personnalité plus que le programme, le charisme plus que l’idéologie, l’incarnation de la fonction présidentielle plus que le courant de pensée.
De cette personnification du pouvoir est née la « peoplisation » de la vie politique, instrument marketing beaucoup utilisé par Nicolas Sarkozy. A cette « peoplisation » s’ajoute la stratégie du story telling visant pour les candidats à insister plus sur une histoire personnelle qui ferait d’eux de bons présidents que sur leurs propositions concrètes.
Ainsi, François Fillon lors de ses meetings parlait de lui, jeune, faisant du porte à porte afin d’être élu maire de son village. Cette histoire n’apporte rien au débat public mais vise à créer une image d’un homme déterminé et combatif.
Macron, lui, a su se jouer de ce système de personnification du pouvoir, il a su utiliser le story telling et le système médiatique de la bonne façon afin de vendre non pas un programme, mais une personne, une incarnation.
Le fait que les grands patrons de presse tels que Patrick Drahi, Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Pierre Bergé, Xavier Niel, Mathieu Pigasse et bien d’autres aient un intérêt personnel au fait que Macron soit élu n’est sans doute pas étranger au fait qu’il ait tant été mis en avant, mais cette mise en avant d’une personne, d’une personnalité bien plus que de son programme et de ses idées doit être de nature à nous interroger sur le mode de scrutin et ses vices. Le fait qu’on élise une seule personne et que cette élection soit vécue par la population comme la plus importante amène nécessairement les électeurs à apporter une certaine importance à la personne, à ce qu’elle dégage, faussant nécessairement la légitimité de ses idées qui peuvent apparaître secondaires aux yeux d’un certain nombre d’électeurs. Ainsi, selon un sondage Ipsos publié après le second tour des élections, 33% des personnes ayant voté pour Emmanuel Macron l’ont fait pour le renouvellement politique qu’il représente et 8% pour sa personnalité. Autant de raisons portant bien plus sur la personne que sur les idées, d’autant plus que selon ce même sondage, seuls 16% de ses électeurs ont voté pour lui pour son programme, là où 43% ne l’ont choisi que pour faire barrage à Marine Le Pen.
On se retrouve ainsi dans la situation paradoxale où sur 47 568 693 inscrits sur les listes électorales, Macron a été élu par 20 743 128 personnes dont seulement 16% l’ont choisi pour son programme, soit un peu plus de 3 300 000 personnes, ce qui représente donc moins de 7% du corps électoral.

Ainsi, remettre en cause la légitimité de Macron, ce n’est pas remettre en cause le fait qu’il a gagné selon les règles constitutionnelles française, c’est seulement analyser les vices inhérents au système électoral français et en tirer des conséquences.

Néanmoins, cette remise en question de la légitimité de Macron découlant des vices propres au système électoral français ne saurait légitimer les autres modes de scrutin, tout autant illégitimes du simple fait qu’ils ont pour vocation la dévotion du pouvoir à des dirigeants.
Ainsi, le but de ce texte n’est en aucun cas d’insinuer qu’un autre mode de scrutin serait meilleur, mais uniquement de pointer du doigt les vices du système électoral à travers l’exemple français.

Qu’à cela ne tienne, il reste à répondre à l’autre argument massue, à savoir « laissez lui sa chance ».

Macron l’a déjà eue sa chance, il est dans les instances de pouvoir depuis des années, que ce soit le pouvoir économique avec son passage à la banque Rothschild ou le pouvoir politique qu’il a exercé en tant que secrétaire adjoint de l’Élysée puis de ministre de l’économie. Penser que celui qui a échoué en tant que ministre de l’économie réussira en tant que président de la République est un non sens. Macron a eu sa chance, et il a un bilan, que ce soit en tant que secrétaire adjoint de l’Élysée ou en tant que ministre de l’économie, Macron porte le bilan du quinquennat Hollande, car si les orientations prises par le gouvernement lui déplaisaient, il ne lui restait qu’à quitter ce dernier.
Ainsi, si Macron avait été en désaccord avec l’état d’urgence, la loi travail, la loi renseignement, le mauvais accueil des réfugiés, les expulsions de roms et de migrants, les lois anti terroristes qui ont affaibli nos droits, la tentative d’inscription dans la constitution de l’état d’urgence et de la déchéance de nationalité, le fichage généralisé des militants, la répression grandissante des manifestations, les renoncements du gouvernement sur le droit de vote des étrangers, le récépissé de contrôle d’identité, la taxation à 75%, il n’avait qu’a quitter le gouvernement, et il ne l’a pas fait. Ou plutôt si, il l’a fait, pas parce qu’il était en désaccord avec les orientations prises par le gouvernement, mais pour tenter sa chance à la Présidence de la République.

Mais Macron porte aussi un bilan personnel, qui lui est directement imputable, c’est notamment le CICE et la loi Macron, le CICE ayant permis de verser des milliards à des entreprises sans aucune contrepartie, dont par exemple plus de 3 milliards à la BNP Paribas, pratiquant pourtant l’exil fiscal comme les Panama Papers l’ont dévoilé.
La loi Macron ayant affaibli les pouvoirs des Prud’hommes sensés lutter contre le non respect du droit du travail et ayant permis le travail le dimanche, soi disant sur la base du volontariat, mais toujours avec le risque d’un licenciement si le salarié refuse.

Il faudrait donc laisser sa chance à Macron ? Lui laisser la possibilité d’appliquer son programme car il a été élu, et ce malgré le fait que seule une faible minorité de la population n’adhère à son programme ?
D’ailleurs, nous le connaissons son programme, pourquoi faudrait-il lui laisser sa chance comme si nous ne savions pas ce qu’il allait faire alors que nous savons d’ores et déjà qu’il a prévu de réformer le code du travail dès l’été par ordonnance ?
Ainsi, au motif que Macron et Hollande sont deux personnes différentes, il faudrait laisser sa chance à Macron alors qu’il a prévu d’aller plus loin qu’Hollande en terme de démantèlement du droit du travail ? C’est un non sens, des millions de personnes ont manifesté durant des mois contre la loi travail, obtenant notamment le retrait du plafonnement des indemnités prud’homales, et il faudrait laisser sa chance à celui qui a prévu de justement introduire dans la loi le plafonnement de ces indemnités ?
Il faudrait laisser Macron aller encore plus loin en terme d’inversion de la hiérarchie des normes, notamment en laissant à l’accord d’entreprise le soin d’organiser la durée effective de travail, les salaires, les conditions de travail et tout un tas d’autres sujets alors que ce sont justement des points qui devaient rester dans la loi, même après la loi travail qui a malgré tout entamé une inversion de la hiérarchie des normes ?

Non, nous ne laisserons pas sa chance à Macron, car il a déjà eu sa chance, nous avons vu ce qu’il a fait, et car il a un programme, et nous savons déjà ce qu’il a prévu de faire. Penser qu’il peut mener une politique qui nous sera profitable et attendre de voir ce qu’il fait pour en suite s’y opposer alors que nous savons d’ores et déjà ce qu’il a fait par le passé et ce qu’il a prévu de faire serait un non sens.

Ch

À lire également...