La Commune et son programme face aux opportunistes

Il y a cent cinquante ans, les Versaillais massacraient le prolétariat Parisien pendant la Semaine Sanglante. Petite leçon d’histoire à destination des opportunistes qui ne manqueront pas d’aller vomir leur révisionnisme au Mur des Fédérés et sur l’esplanade du Sacré-Cœur.

Le soulèvement du 18 mars doit être retenu pour ce qu’il fut : la révolte en armes du prolétariat parisien. C’est ce que rappelle Léo Fränkel, militant hongrois de l’Internationale élu au Conseil de la Commune auquel il fut élu par le peuple du 13e arrondissement : « Nous ne devons pas oublier que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. »

On ne saurait trop insister sur la nature de classe de l’insurrection, ni sur sa dimension militaire. La Commune appartient au mouvement ouvrier révolutionnaire international, pour qui elle constitue encore aujourd’hui une référence incontournable – et ce qu’on se réclame de Bakounine, de Marx ou de Lénine. La Commune fut aussi l’œuvre d’un peuple en armes, organisé militairement dans sa Garde nationale et confronté aux difficiles mais nécessaires épreuves propres à la formation d’un pouvoir armé en rupture avec l’ordre et la discipline militaires traditionnelles.

N’en déplaise à la gauche légaliste et opportuniste, toujours si prompte à neutraliser l’histoire et à désarmer la mémoire, on ne peut pas prétendre comprendre la Commune – en encore moins lui rendre hommage – sans honorer le choix du prolétariat parisien de s’armer. De même qu’on ne peut expliquer sérieusement la défaite militaire des enfants de la Commune sans admettre que leur première – et en définitive leur ultime – erreur fut de ne pas avoir marché sur Versailles immédiatement, et d’avoir laissé leurs ennemis organiser leur armée.

Cette gauche légaliste et opportuniste, qui ne manquera pas de monter au Mur des Fédérés la semaine prochaine, ferait sans doute mieux de se replonger dans le programme de la Commune, duquel elle a tout à apprendre.

Tout est à tous, rien n’est à l’exploiteur : reprendre l’outil et la machine

Le 16 avril 1871, la Commune décrète la réquisition des ateliers abandonnés par leur patron. Immédiatement, la Commission du Travail charge les chambres syndicales de recenser ces ateliers, et d’organiser leur remise en route en les confiant à des associations coopératives de salariés. Les travailleurs laissés sans emploi par la fuite de leurs patrons peuvent reprendre l’outil et la machine, et travailler dans de dignes conditions sur la base de la libre association.

Le décret du 16 avril prévoit également la création dans chaque mairie d’un registre permettant aux travailleurs sans emploi de renseigner leurs offres de travail et aux employeurs leurs besoins en main d’œuvre. Cette mesure est en quelque sorte une réponse à la devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », cri de révolte des Canuts qui s’insurgèrent en 1831 et en 1834 pour réclamer le droit de vivre dignement de leur travail. La Commune, en tant que gouvernement populaire – d’aucuns diraient « du peuple, par le peuple, pour le peuple » – considère le travail comme un droit et se donne comme prérogative d’assurer à la population l’accès à un salaire. De quoi donner des cauchemars au liquidateur Fabien Roussel.

Le 27 avril, le gouvernement de la Commune supprime par décret les amendes et les retenues sur salaire, dont le patronat avait l’habitude d’abuser pour réduire le coût du travail. La décision est rétroactive : toute amende infligée entre le 18 mars et le 27 avril doit être restituée au travail amendé. Cette réforme fait écho à d’autres efforts en faveur des droits des travailleurs et de la démocratie au travail, comme par exemple une décision permettant aux travailleurs d’élire leurs contremaîtres – et donc de les révoquer à tout moment.

Cette décision fait écho aux proclamations du Comité central de la Garde nationale qui, à l’approche des élections du 26 mars, affirmait : « Les membres de l’assemblée municipale, sans cesse contrôlés, surveillés, discutés par l’opinion, sont révocables, comptables et responsables. »

Une matrice programmatique

Sans chercher à être exhaustif, il importe de rappeler quelques réformes entreprises par la Commune en faveur de l’égalité salariale. Beaucoup de ces efforts furent partiels et insuffisants dans l’absolu, mais traduisaient une réelle volonté de transformation radicale de la société. Elles ne manqueront pas de faire rougir de honte certaines organisations progressistes qui, une fois installées au pouvoir (ou du moins à certains postes de pouvoir, dans les municipalités ou dans des gouvernements de coalition), s’avérèrent incapables de réaliser un dixième des efforts entrepris par la Commune, alors même que nul Versaillais ni Prussien ne les menaçait de leurs canons.

Parmi ces efforts, nous retenons en vrac :

  • L’égalité salariale entre instituteurs et institutrices, accompagnée d’une hausse des salaires dans l’enseignement, qui aurait pu constituer la base d’une égalité salariale totale sans distinction de genre.
  • La réduction de la journée de travail à 10h dans les ateliers de réparation d’armes du Louvre, afin de permettre aux ouvriers de développer leur vie sociale et de s’impliquer davantage dans la vie de la cité.
  • L’interdiction du travail de nuit dans les boulangeries, qui traduit clairement une volonté d’amélioration des conditions de travail et une reconnaissance de la pénibilité de certains métiers.
  • L’instauration d’un salaire minimum et d’un salaire maximal, ainsi que le plafonnement des salaires des représentants élus.
  • L’établissement d’un moratoire sur les loyers et la réquisition des logements vides pour y loger les victimes des bombardements versaillais et les sans-abris. De quoi donner des cauchemars à l’incapable Ian Brossat.
  • L’instauration d’une marge de profit maximale sur la vente de produits alimentaires, et la possibilité pour les municipalités d’arrondissement d’intervenir dans l’organisation du commerce afin d’assurer l’approvisionnement des habitants. On ne parle pas d’abolition de la propriété privée, mais on est déjà convenablement loin des sociaux-démocrates contemporains.
  • La création d’ateliers de femmes auto-organisées (TW non-mixité) et d’écoles professionnelles mixtes, marquant à la fois la volonté de ne pas dissocier l’enseignement selon le genre des enfants, et celle de rendre aux femmes la liberté de s’organiser et de vivre sans se subordonner à un mari ou à un patron. Car pour la Commune, la distinction de genre a été « créée et maintenue par le besoin de l’antagonisme sur lequel reposent les privilèges des classes gouvernementales ». C’est en suivant cette logique que le gouvernement de la Commune reconnaît le divorce par consentement mutuel, l’union libre et les enfants nés hors mariage, qu’il décide de verser des pensions aux compagnes et aux enfants des fédérés tués au combat, ou encore d’interdire la prostitution – non pas pour criminaliser les travailleuses du sexe, mais pour lutter contre l’exploitation sexuelle imposée à la quasi-totalité d’entre elles.
  • La suppression de l’armée permanente et l’armement du prolétariat, organisé dans la Garde nationale, que tout citoyen pouvait choisir d’intégrer – dans le cadre d’une citoyenneté élargie aux étrangers, dont la participation à la Commune est saluée et encouragée.
  • La révocabilité de tous les représentants et responsables dans l’administration publique, la justice, l’enseignement et la Garde nationale. Elle s’accompagne de la recherche d’une véritable représentativité, comme en témoigne l’appel du Comité central de la Garde nationale placardé la veille des élections du 26 mars : « Ne perdez pas de vue que les hommes qui vous serviront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant de votre propre vie, souffrant des mêmes maux. »
  • La séparation des Églises et de l’État, l’instauration de l’éducation obligatoire et gratuite – ce qui n’est pas acquis compte tenu du coût de la cantine, des fournitures scolaires et des autres dépenses indispensables à la scolarisation des enfants.

Autant de réponses directes à des problèmes immédiats qui n’ont malheureusement pas pris une ride. Autant d’efforts qui servirent d’exemple aux conquêtes sociales des décennies suivantes. Autant de décrets qui font du programme de la Commune une matrice potentielle – et souhaitable – à tout programme de politique digne de ce nom, qu’il soit réformiste ou extra-parlementaire.

À l’assaut du ciel !

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