L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration : au mépris des droits

Ce témoignage d’un salarié du secteur de la demande d’asile en Île-de-France fait cas de formes de maltraitance de la part de l’OFII vis-à-vis des demandeurs d’asile. Tous les moyens sont bons pour l’État afin de faire des économies, y compris priver des personnes vulnérables de leurs droits.

Depuis la réforme de l’asile de novembre 2015, c’est l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) qui gère les aides financières des demandeurs d’asile. Lors de leur premier passage au Guichet Unique (service rassemblant des agents de la Préfecture et de l’OFII), les demandeurs d’asile doivent accepter l’offre de prise en charge qui leur est proposée pour pouvoir bénéficier des Conditions Matérielles d’Accueil (CMA) auxquelles ils ont droit. Celles-ci incluent un hébergement (dans les faits il y a bien trop peu de places disponibles malgré un nombre de logements vacants considérable) et une allocation.

Rebaptisée Allocation pour Demandeurs d’Asile (ADA), le montant de cette aide est forfaitaire et dépend du nombre de personnes composant le ménage. Le fait d’être hébergé ou non au sein d’une structure d’accueil fait également varier ce montant. Une personne seule et hébergée bénéficie de 6,80 euros par jour soit 210,80 euros par mois. Une personne seule et à qui aucune place d’hébergement dédiée n’a pu être proposée bénéficie d’un supplément de 5,4 euros par jour ce qui revient à un total de 378,20 euros par mois. Les demandeurs d’asile sont pour la plupart plongés dans une situation matérielle très précaire. Ces montants mensuels, qui permettent à peine de subsister aux besoins les plus élémentaires, sont pour eux d’une importance cruciale.

Aussi constatons-nous, de la part des différents services de l’État, un déni croissant des droits de ces personnes.

Voici une illustration concrète du mépris que peut exercer l’OFII sur des demandeurs d’asile à travers deux exemples particuliers. Nous pourrions les multiplier. Pour un travailleur social, il est monnaie courante de voir les droits d’un demandeur d’asile être bafoués. Ces cas sont bien réels. Par souci de confidentialité les noms de ces personnes, les dates mentionnées ainsi que les numéros de départements sont modifiés ; seuls les écarts entre les différentes dates sont respectés.

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Fawad a 21 ans, il est Afghan, né dans la Province de Kaboul. Il a fui les menaces des talibans qui n’ont pas hésité à assassiner son père pour avoir porté secours à un militaire blessé. Il est arrivé en France en juillet 2016. Lorsqu’il a entamé les démarches pour demander l’asile, ses empreintes digitales ont été relevées. Le fichier EURODAC, qui répertorie les mouvements migratoires en Europe, a révélé que ses empreintes avaient été prises en Bulgarie. Conformément à l’accord Dublin III, c’est donc cet État qui est responsable de sa demande d’asile. Un arrêté de transfert lui a été remis afin de lui permettre d’y retourner, document assorti d’une information de placement en Centre de Rétention Administrative (une prison pour étrangers). Le tort qui lui vaut d’être privé de liberté ? Avoir été contraint par la police bulgare de déposer ses empreintes digitales. Les autorités de ce pays ne sont pas réputées pour leur tendresse à l’égard de certaines personnes étrangères qui traversent leur pays. Il est donc plus facile (davantage que pour un renvoi vers l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie par exemple) de déposer un recours contre l’arrêté de transfert, en invoquant les maltraitances dont font l’objet ces personnes. Il s’agit d’arguer que les personnes renvoyées peuvent subir de mauvais traitements en cas de retour en Bulgarie. Aussitôt que les autorités bulgares ont répondu favorablement à la demande de transfert, l’ADA que Fawad percevait a été coupée, conformément aux dispositions légales (notons qu’une absence de réponse de la part de l’État responsable vaut accord tacite). Soit.

Un recours a été introduit. À l’issue de l’audience, le Tribunal Administratif a décidé d’annuler le transfert et a ordonné à la Préfecture de lui remettre un dossier afin qu’il puisse demander l’asile en France. La décision souveraine du TA va plus loin : « Il est enjoint à l’OFII de rétablir M. **** Fawad dans ses conditions matérielles d’accueil et de lui verser l’allocation de demandeur d’asile à titre rétroactif à compter du 1er mai 2017, dans un délai de 15 jours à compter de la notification du jugement à intervenir ».

Ce jugement a été notifié à l’OFII début décembre 2017. Il a en effet permis à Fawad de déposer une demande d’asile qui est maintenant en cours de procédure. En revanche, il n’a toujours pas perçu le moindre centime de l’allocation qui avait été coupée (210,80 euros par mois depuis mai 2017). La décision de justice est intervenue il y a plus de deux mois. Fawad n’a reçu aucune information sur ce blocage. Fin janvier, son avocat a pourtant saisi le Tribunal Administratif d’une requête en difficulté d’exécution. Un épais mur de silence et de dédain se dresse face à Fawad. “’il ne meurt pas de faim, c’est uniquement grâce à l’association au sein de laquelle il est hébergé et nourri.

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Abdallah a 29 ans, il est Érythréen. Il a fui le régime totalitaire tenu d’une main de fer par Isaïas Afwerki depuis 1993. Il a traversé la mer Méditerranée à bord d’une embarcation de fortune et a eu la chance d’arriver sauf sur les côtes européennes. Il est entré en France le 30 juillet 2015.

Sa demande d’asile a pu être enregistrée rapidement, dans le département des Yvelines (78). Il est actuellement en attente de convocation pour une audience à la Cour Nationale du Droit d’Asile, institution qui pourra lui accorder une protection ou bien rejeter définitivement sa demande. Celle-ci étant toujours en cours, il a le droit de recevoir une ADA d’un montant de 210,80 euros par mois.

Abdallah a reçu une orientation en CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile) au courant de l’été 2016. Alors hébergé par une association, il n’a pas pu honorer ce placement car il était souffrant. Le versement de son ADA a été stoppée. L’équipe éducative qui suivait ses démarches a déposé un recours, expliquant, certificats médicaux à l’appui, qu’il était soigné dans un Centre Médico-psychologique et dans un service de maladie infectieuse. En vain.

Il restait cependant à Abdallah l’espoir de ne pas se voir définitivement radié de l’ADA, les travailleurs sociaux qui l’accompagnaient ayant relancé de nombreuses fois l’OFII afin d’en savoir davantage sur cette suspension. Ce n’est qu’en février 2017 que l’OFII du 78 a notifié à Abdallah un arrêt de versement de l’ADA pour un supposé “refus d’orientation en CADA” datant de l’été précédent. Il aura fallu attendre cinq mois pour que l’OFII communique une décision officielle.

Un nouveau recours gracieux a été effectué, toujours avec des certificats médicaux en appui. De l’autre côté, le même silence a continué. À la suite d’une énième demande d’information, l’OFII du 78 a répondu en avril 2017 par une nouvelle orientation dans un CADA de Seine Maritime (76). Elle se déclare donc désormais incompétente, il faut se tourner vers l’OFII du 76. Abdallah n’a pas perçu d’allocation depuis le mois d’août 2016, soit plus de dix-sept mois.

Cette suspension de droits est profondément injuste. La démonstration en a été faite à plusieurs reprises par des travailleurs sociaux qui ont alerté l’OFII sur cette situation préoccupante. Des dizaines de mails ainsi que des courriers recommandés ont été envoyés, des certificats médicaux attestant de la fragilité de son état de santé ont été versés à ces réclamations. Silence assourdissant des différents services départementaux de l’OFII. Au mieux, celle-ci déclare de manière laconique son incompétence pour des raisons évasives, au pire, elle ne prend même pas la peine de répondre.

En attendant, les droits d’Abdallah sont bafoués en toute impunité alors que sa vulnérabilité est avérée. Normalement, l’OFII aurait dû lui verser depuis août 2016 la somme de 3583,60 euros. Cette somme aurait pu lui permettre d’affronter l’avenir avec plus de sérénité, sa santé psychologique et physique se seraient nettement améliorées. Au final, il est plus fragile et désemparé que jamais. Il ne comprend pas cette injustice dont il est victime, ce qui accentue sa souffrance.

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L’article L.744-8 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit pourtant que : « Le bénéfice des conditions matérielles d’accueil peut être : 1° Suspendu si, sans motif légitime, (…) le demandeur d’asile (…) n’a pas respecté l’obligation de se présenter aux autorités (…) / La décision de suspension, de retrait ou de refus des conditions matérielles d’accueil est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. / La décision est prise après que l’intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites dans les délais impartis. / Lorsque le bénéfice des conditions matérielles d’accueil a été suspendu, le demandeur d’asile peut en demander le rétablissement à l’Office français de l’immigration et de l’intégration ».

Les travailleurs sociaux du secteur de l’asile sont confrontés au quotidien à un cynisme étatique sans limites. Très régulièrement, des demandeurs d’asile dont l’état de santé est très alarmant voire des personnes en situation de handicap se voient refuser les Conditions Matérielles d’Accueil pour des raisons infondées. Même lorsque la justice intervient pour rétablir les droits d’une personne lésée, la décision est bien trop souvent non respectée. La « vulnérabilité du demandeur » qui figure pourtant dans les textes de lois est une dimension inexistante dans les critères d’appréciation de l’OFII.

Dans le climat actuel de stigmatisation politique et médiatique des étrangers, il est plus facile pour l’OFII de ne pas respecter les droits des demandeurs d’asile. Ce mépris insidieux et systématique n’est qu’un aspect, parmi d’innombrables, de la violence que l’État exerce sur ces personnes qui comptent parmi les plus vulnérables. Il est profondément ancré dans le fonctionnement routinier des administrations auxquelles les étrangers doivent faire face. Le message est limpide : vous n’êtes pas les bienvenus dans cette Europe qui se façonne progressivement en forteresse.

En tant que travailleurs sociaux, lors de nos dialogues avec les différents services de l’État (OFII et Préfecture), s’il arrive que nous échangions avec des interlocuteurs respectueux et compréhensifs, le plus souvent, nous faisons malheureusement face à un grippage institutionnel, à un verrouillage d’informations, nos mails et courriers restent sans réponses, les appels téléphoniques infructueux. L’indifférence et, pire, la maltraitance croissante de l’État, sont très préoccupantes. Comment ne pas y voir une volonté politique ? Ces abus ne sont pas anodins ou accidentels, ils sont assumés, et d’autant plus facilement qu’aucun responsable ne sera indexé. Au mieux, les différents services de l’État pointeront des dysfonctionnements regrettables ou des pesanteurs administratives, quand il s’agit en fait d’une véritable stratégie de paupérisation et de fragilisation des personnes exilées.

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