L’huile de friture était fliquée - Réflexes nécessaires face à la bonhomie policière

Un flic en activité qui se balade tranquillement dans les milieux autonomes, proposant ici et là ses menus services, faisant bénéficier ses amis de prétendues infos estampillées « police nationale » ? C’est le mauvais roman proposé depuis des mois par l’association Les Marmoulins, qui cache la profession d’un de ses membres. L’occasion de se rappeler que s’il ne faut jamais parler à la police, il ne faut jamais l’écouter non plus.

L’association « Les Marmoulins de Ménil » est basée dans le 20e arrondissement de Paris. Parmi d’autres activités, les Marmoulins organisent une récupération de légumes au marché de Rungis depuis le début de l’année 2015 et une distribution bi-hebdomadaire dans le 20e arrondissement.

Des légumes au cœur de l’agitation sociale et politique

Les Marmoulins fournissent à l’occasion de nombreux groupes parisiens en légumes pour des événements ponctuels. Les Marmoulins ont, par ce biais, participé à des événements autour de la COP21, aux banquets contre l’état d’urgence, à la fête annuelle de la CNT à la Parole errante, à une projection du film « Paris grand Capital » à la CNT rue des Vignoles, à des fêtes de soutien face à la répression du mouvement loi travail, à la première semaine de Nuit Debout place de la République, plus récemment à la soirée « Social Trash » au Gros bat’. Lors de plusieurs de ces événements, l’organisation était commune à la cantine des Marmoulins et à une autre cantine, la cantine d’Ivry.

Un flic caché au fond de la poêle

En juin 2016, à l’occasion d’un conflit interne aux Marmoulins, une personne décide de jeter un pavé dans la mare. L’histoire ne dit pas le vrai prénom de cette personne, nous l’appellerons Jo. Depuis quelques mois, Jo habite une ville de banlieue parisienne et s’organise au quotidien avec une bande qu’on appellera « le collectif banlieusard ». Jo fait également partie du groupe des Marmoulins. Jo participe aux réunions des deux côtés, à la récupe de Rungis, aux cantines. Au printemps 2016, Jo commence à annoncer à diverses personnes : « Il y a un flic aux Marmoulins ». Lors de la fête de la CNT à la Parole Errante, les Marmoulins s’occupent de la cantine. Ce soir là, l’annonce devient publique, le bruit court vite et les langues se délient.

Rapidement, le récit de Jo et ceux de plusieurs autres personnes des Marmoulins concordent sur quelques points. Ils racontent qu’en 2015, une des membres de l’association leur a présenté Régis, son copain, et qu’il fait depuis partie intégrante de leur groupe. Ils disent qu’ils savent que Régis est policier. Que Régis aimerait abandonner ce travail, mais ne l’a pas encore fait. Qu’il est leur ami, et que c’est ça qui compte – plus que son métier. Mais qu’ils ont gardé cette information pour eux, pensant (à raison) que leurs nombreux partenaires ne comprendraient pas la présence de Régis s’ils connaissaient son boulot.

Puis l’histoire se complète, racontée en partie par Jo et en partie par plusieurs membres des Marmoulins. Pendant la COP21, Jo a été en garde à vue, au cœur d’une intense pression policière. Au sortir de cette garde à vue, Régis et sa copine lui ont proposé de faire jouer leurs réseaux policiers pour en savoir plus et se rassurer. Jo a accepté d’écouter l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre Régis et un supposé collègue à lui (qui travaille à la DRPP, Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris), Régis obtenant divers renseignements sur des membres du collectif banlieusard de Jo. En juin 2016, Jo reconnaît avoir accepté ces prétendues informations et les avoir gardées secrètes depuis des mois.

Régis a déjà par le passé formulé le même type de propositions à d’autres personnes. Il a fait circuler des « informations » soi-disant issues « de sources sûres ». Mais à partir de là les versions divergent trop pour pouvoir les raconter. Combien de fois a-t-il offert ses services ? À qui ? A-t-il parfois demandé quelque chose en échange ? Est-il sincère dans sa volonté « d’aider » les gens qu’il prétend informer ? Est-ce que Jo a simplement accepté les informations, ou les a sollicitées ? Quel rôle joue la copine de Régis ? L’histoire ne le dit pas.

Couper les ponts ou garder le secret ?

Le grand déballage de juin 2016 a eu quelques conséquences. L’exclusion de Jo des deux collectifs : du collectif banlieusard pour avoir caché la présence d’un flic à de nombreux événements, du collectif des Marmoulins pour l’avoir révélée. Du côté du groupe banlieusard, l’accusation contre Jo porte surtout sur la communication des noms de membres du groupe à la police.

Les Marmoulins et les banlieusards ont eu plusieurs discussions collectives à ce sujet, qui se sont toutes assez mal passées. Plusieurs banlieusards ont pu écouter une partie du fameux enregistrement, où ils et elles ont appris que Régis était instructeur (au tir) de la police nationale, après avoir successivement travaillé 4 ans dans des bureaux de la police et 10 ans comme membre de la BAC. Les Marmoulins ont ensuite expliqué que l’affaire n’avait pas d’importance, puis face à l’insistance des banlieusards à réclamer des explications, certains des Marmoulins sont devenus menaçants et ont intimé l’ordre de ne rien dire à personne. Dans des discussions informelles, plusieurs membres des Marmoulins ont dit leur gêne, voire leur désaccord quant à la présence de Régis. Mais la position collective est restée claire : « Régis est avant tout un ami, il est pleinement légitime à participer aux réunions et activités des Marmoulins ». Et les Marmoulins assument de continuer à garder le secret – tant que possible – sur la profession de Régis. Face à ces positions, le collectif banlieusard a décidé de couper les ponts avec les Marmoulins afin que plus jamais Régis ne puisse être mêlé de près ou de loin à leurs activités.

En effet, en remontant le fil de l’histoire, les banlieusards se sont rappelés ce dîner où Régis était présent, à un moment où la police s’intéressait de près au collectif, cette soirée de soutien à la Palestine que Régis a filmée en toute camaraderie, ce long trajet effectué par un camarade avec la voiture de Régis, etc etc.

Il était urgent que ce type de situations cesse définitivement. De même, l’Action antifasciste Paris-banlieue (AFA), la cantine d’Ivry, le Mouvement inter-luttes indépendant (MILI), mais aussi un certain nombre d’individus ont décidé de ne plus rien organiser en commun avec la cantine des Marmoulins.

On ne parle pas aux flics...on ne les écoute pas non plus !

Il est fréquent que la police tente d’obtenir des informations sur des gens en leur promettant divers services : échapper à des poursuites ou à une peine de prison, obtenir des informations sur leurs adversaires ou sur le degré de répression à attendre lors d’un événement, etc. Dans l’histoire du flic des Marmoulins, la situation est plus originale puisque les services semblent avoir été offerts à titre personnel – et non dans le cadre d’une mission de renseignement assumée comme telle par Régis, et apparemment sans contrepartie. Peu importe que ce soit vrai ou non, que Régis ait profité de sa situation pour faire remonter des informations ou non. Évidemment, prendre le risque d’avoir près de soi un policier à même de raconter tous nos faits et gestes sans même avoir à faire l’effort de « s’infiltrer » sérieusement (avec une fausse histoire personnelle, un faux métier, etc.) est complètement délirant. Mais même en considérant que les propositions de Régis étaient réellement gratuites et de bonne foi, ces offres de services ont mis en danger des dizaines de personnes. Compter sur un policier pour donner une information, c’est lui donner du pouvoir sur nous. C’est faire confiance à ceux-là même qui ont pour métier de nous pourrir la vie. C’est laisser entre les mains de nos adversaires le loisir de discréditer une personne en laissant croire qu’elle serait leur informateur. C’est permettre qu’on passe notre temps à nourrir et démentir des rumeurs, à se disputer, à écrire des textes comme celui-là au lieu de conspirer efficacement contre tout ce qui nous révolte.

Tant que l’on ne dispose pas d’espions à même d’infiltrer sérieusement l’institution policière, il faut donc accepter qu’elle reste opaque pour nous, et ne jamais se laisser griser par l’illusion d’y passer un œil, comme ça, pour voir. Surtout si c’est un flic lui-même – aussi gentil qu’il puisse avoir l’air – qui nous le propose.

Texte co-écrit par des personnes touchées et concernées par cette affaire, puis relu par d’autres personnes et collectifs.

Note

Les mois passant, il apparaît petit à petit que de nombreuses personnes issues de plusieurs groupes connaissaient la profession de Régis depuis longtemps : « Hé, la prochaine fois, gardez pas les bonnes infos comme ça pour vous ! »

Mots-clefs : surveillance | police
Localisation : région parisienne

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