L’été tu lis (ou pas) : Pédagogie des opprimés, Paulo Freire

Ça y est, c’est l’été !

Il paraît que c’est le moment privilégié pour lire : hé oui, loin du taf, on se sent plus léger, plus loin du capitalisme (mais rassurez-vous, ce n’est qu’une illusion !) Les vacances, ça permet de restaurer votre force de travail, mais de booster aussi votre motivation de militant·e !

Pour frimer en cultivant votre esprit d’insoumission, que ce soit à la plage, à la ZAD, à la montagne, en colo, en rando et, pourquoi pas, au taf, en prison, en contrôle judiciaire, voici une sélection des livres que vous n’avez jamais pris le temps de lire !

La Pédagogie des opprimés, Paulo Freire

En 1974 arrive du fin fond du Brésil en pleine dictature militaire un OVNI révolutionnaire : Paulo Freire publie La Pédagogie des opprimés.

Issu d’une famille bourgeoise d’une région agricole pauvre du Brésil, touchée de plein fouet par la grande dépression, Paulo Freire devient avocat.
Puis il s’intéresse à la formation des adultes et à la pédagogie, dont il passe un diplôme en 1959. Il fonde le Mouvement de culture populaire (MCP) et milite pour une éducation pour tou·te·s.
Entre 1962 et 1964, au Brésil, Paulo Freire est enseignant : il est chargé par l’université de Recife d’un programme d’alphabétisation qui concerne des milliers d’hommes et de femmes analphabètes.

En 1964, c’est le coup d’État de la junte militaire menée par le général Branco. Freire est emprisonné, questionné pendant plus de 2 mois, puis expulsé en Bolivie où il obtient l’asile politique.
Malheureusement, il arrive en plein coup d’État (encore !), ce qui le force à se réfugier au Chili, où de 1964 à 1967, il continue ses expériences d’alphabétisation sous le gouvernement d’Eduardo Frei (conservateur de la démocratie-chrétiennne, qui soutiendra par la suite Pinochet, mais mène à l’époque des réformes plutôt keynésiennes).

Paulo Freire s’inscrit dans une optique de lutte pour la libération des populations opprimées : l’éducation est une pratique de la liberté.

Ses expériences d’alphabétisation l’amènent à comprendre la place primordiale de la conscientisation comme préalable à toute action transformatrice de la société : son but, c’est la révolution, et elle ne peut se faire par un mécanisme de parti qui dicterait les données du réel aux exploité·e·s, y compris pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Parce que le dialogue est la rencontre entre des femmes et des hommes qui nomment le monde, cela ne doit pas être une situation où certains le nomment pour d’autres. C’est un acte de création, cela ne doit pas servir d’instrument ingénieux pour la domination d’une personne sur une autre. La domination implicite dans le dialogue est celle du monde par les dialoguistes ; la conquête du monde pour la libération, l’émancipation de l’humanité.

La Pédagogie des opprimés part du postulat suivant : la pédagogie, faite par et pour les opprimé·e·s, est indissociable du projet révolutionnaire, car elle est partie prenante du phénomène de conscience critique/conscientisation (conscientização).

L’apprentissage de la lecture et de l’écriture doit être intéressé, au plus près du quotidien des adultes qui apprennent ; la distance entre l’apprenant·e et l’enseignant·e (que Freire appelle : le·la converti·e ou l’éducateur·rice) doit être minimale, les décisions doivent se prendre en commun.

Le processus de la conscientisation (aussi appelée « conscience critique ») répond toujours aux mêmes impératifs :

  • observation des participant·e·s par les éducateurs·rice·s, qui s’emploient à entrer dans l’univers de leur vocabulaire ;
  • recherche approfondie de mots et de thèmes générateurs
  • première codification de ces mots en images visuelles, qui encourage les gens « submergés » dans la culture du silence à « émerger » comme créateurs·rice·s conscient·e·s de leur propre culture. Freire est d’ailleurs un des premiers à utiliser les diapositives dans l’apprentissage.

Les mots sont ensuite décodés et recodés sous l’animation de l’« enseignant·e/éducateur·rice », qui est enseigné·e par le dialogue constant avec les apprenant·e·s, amené·e·s à rejeter leur rôle d’objets de la société pour devenir les sujets de leur propre destinée.

Il n’y a pas de réalité historique qui ne soit pas humaine. Il n’y a pas d’histoire sans l’humanité et pas d’histoire pour l’être humain ; il n’y a qu’histoire de l’humanité, faite par les gens et (comme l’a souligné Marx) qui à terme les fait.
C’est quand la majorité se voit refuser le droit de participer à l’histoire en tant que sujets qu’elle devient dominée et aliénée. Ainsi, dépasser la condition d’objets par le statut de sujets, l’objectif de toute véritable et authentique révolution, demande que les gens agissent tout autant qu’ils réfléchissent sur la réalité à être transformée.

La Pédagogie des opprimés a été publiée en français par les éditions Maspéro en 1974, mais jamais rééditée depuis.

Pourtant la postérité de ce livre a été énorme : il a lancé ce qu’on a appelé dans les années 1980 le mouvement de la pédagogie critique.
L’enseignant·e utilise les théories critiques pour aider les apprenant·e·s à faire le lien entre les situations vécues qui permettent de montrer le caractère systémique des oppressions.
Il s’agit d’augmenter collectivement la capacité à agir contre l’injustice sociale, contre les structures aliénantes en mettant à jour les processus d’exploitation à partir de l’expérience, collective et individuelle.
Augusto Boal, dans la continuité de Paulo Freire, a développé le théâtre de l’opprimé, dont les techniques sont utilisées par les mouvements d’éducation populaire et différentes pédagogies libertaires.

Lire en ligne La Pédagogie des opprimés

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