L’avocat et la tarte aux fraises

Garde à vue pour la détention d’un couteau à beurre...

J’ai eu la douloureuse expérience de mettre au monde par voie basse un enfant, qui se présentait en siège -donc à l’envers- un enfant quand même, de sexe masculin, le 21 avril 1997.

A ce jour, le 23 juin 2016, le petit a grandi, il pèse son poids, est plus grand que moi, ça va de soi et arbore fièrement son bouc de couleur rousse.
Ce matin-là, cet enfant-là avait compilé une journée bien remplie. Ne le voyant pas s’agiter à chercher ses chaussettes propres ou sales, je suis me suis déplacée afin d’aller le réveiller. Il était 9h30. Pourquoi si tard ? Parce que les dernières épreuves orales de son baccalauréat étant terminées, le petit avait dû rentrer tard dans la nuit.

Il avait passé la soirée de la veille avec des amis pardi, à pique niquer dans un parc. Comble de bonheur une grande partie d’une TARTE AUX FRAISES 8-10 personnes trônait encore dans le réfrigérateur. Avec acquiescement de sa maman, il embarqua donc cette tarte aux fraises. Et comme ce petit-là a été élevé non pas sous la mère, mais sous l’autonomie du geste... une idée saugrenue a certainement dû lui parcourir la tête... au point d’ouvrir le tiroir à couverts et d’y prélever un couteau. Un couteau à bout rond, sans dent, en inox certes.
Le genre de couteau qu’on ne trouve pas en dix exemplaires dans des tiroirs, car il ne sert qu’à couper du camembert ou à tartiner. Allez savoir pourquoi, cette main-là s’est dirigée vers ce couteau-là ce soir-là. Pour la beauté du geste prémédité probablement.
Ce petit-là s’était déjà blessé avec un opinel quand il mesurait 1,10m, il se servait de couteaux pointus et tranchants depuis qu’il avait des dents...mais non, ce soir-là, c’était ce couteau à beurre qui attira son attention. ARME DE CATEGORIE D. Il s’en servit donc pour couper la tarte aux fraises.

Or ce matin du 23 juin 2016, réveillé en sursaut par sa mère, il vida son sac des rebuts du pique-nique de la veille et sa main, cette douloureuse, n’a pas dû fouiller jusqu’à la lame collante et agrémentée de crème pâtissière de ce couteau à beurre. GRAVE ERREUR.
Il s’en fut donc, un rendez-vous administratif, un rendez-vous médical, un rendez-vous familial... vaste programme pour une journée d’été.
Et pourtant il n’est jamais arrivé au point du rendez-vous numéro 3. Sa grand-mère était tellement en colère qu’elle déversa sur son portable éteint toute sa haine de ce rendez-vous manqué, sms et messages vocaux à volonté.

Quant à moi, je voulais profiter de cette journée particulièrement ensoleillée pour aller me balader, humer l’air parisien et faire du sport, mine de rien, sur mon deux roues à traction corporelle.
Raté. 14H15 un appel.

  • Commissariat du 18e.
  • Vous êtes la mère de X ?
  • Oui, votre fils est en garde à vue pour :
    DETENTION ILLEGALE D’ARME. SANS MOTIF LEGITIME.
  • Hein ?
  • Oui madame, détention d’arme... Vous avez cinq minutes pour trouver le numéro de l’avocat.

J’essaye de passer sous silence le cri, le vagissement de la parturiente sur la sellette... mais n’étant pas sans voix, il résonna malgré le monde autour de moi... Tiens, une folle...
J’avais l’avocat sous la main mais j’avais oublié les fraises en chemin. Était ce cette envie de fraises ou le sucre glace déposé sur l’ensemble ?

Le petit n’a dormi qu’une nuit à l’hôtel.

48 heures après les faits, je me pose des questions quant à l’acheminement des couteaux de cuisine jusque dans nos tiroirs... Serions-nous tous des détenteurs d’armes à différents moments de notre vie ? Je n’irai plus ni chez Ikéa ni sur un vide grenier, ces endroits sont sûrement des repères de receleurs.
Quant à mon couteau à beurre, il est parti à la destruction, une décision du procureur.
Comment vais-je tartiner mon beurre si je ne peux pas porter « sur le territoire national, hors de mon domicile un couteau plat en inox ». Rappel à la loi. ...je vais tartiner avec des couteaux à bout pointu, mais c’est beaucoup moins pratique...

Et avec l’été arrivant, je vous souhaite à tous de merveilleux pique-niques...

Marine Fieyre, le 25 juin 2016.

Mots-clefs : justice | manifestation
Localisation : Paris

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