Introduction, propriété privée et monolithisme militant dangereux
Après plusieurs années à militer, puis à suivre de loin ce mouvement, j’en arrive vraiment à repenser son efficacité et sa pertinence. Je reste de toute façon convaincue que la consommation de produits d’origine animale n’a aucun sens, quand on s’inscrit dans une perspective anarchiste ou marxiste. Je m’explique, et j’essaie de vous emmener vers des traces historiques qui nous permettent de contextualiser rapidement la cohérence entre pensée antispéciste et monde agricole.
Avant même le concept obscur d’« animal-machine » de Descartes – parce que beaucoup d’antispécistes ne captent pas le contexte – la séparation entre nous et le reste des animaux était claire. Il voulait juste séparer la science de croyances religieuses qui poussaient l’Église à excommunier des animaux. Genre envoyer des lettres de convocation à des ânes, ou à des petits mulots… Oui le moyen-âge c’était vraiment incroyable. On comprend mieux pourquoi René a usé de ce concept pour écarter définitivement ce genre de pratique. Il a juste dit : « arrêtez de faire de la merde, et rendez la dîme aux abonné-es ».
Bon, il l’a dit différemment, mais il le pensait vraiment très fort. Le but en tout cas, c’était de faire la distinction entre l’âme divine et rationnelle et le corps physique et mécanique [1]
Et depuis longtemps, depuis le début de la paysannerie, il y a toujours eu dans les bocages, les campagnes, les terroirs, les chaumières, tout ce que vous voulez, des animaux. Certain-es vivaient dans la maison, d’autres dans des étables, mais ce qu’on appellera le spécisme a toujours existé, même avec les cités grecques antiques (je vous renvoie à Aristote qui faisait déjà une graduation des âmes). Ça ne veut pas dire que c’est naturel. Je te vois venir espèce de hater parisien. On a tout simplement construit une agriculture qui par des formes de sédentarisations sporadiques, a conduit l’humanité en Occident, en Asie et en Afrique principalement, à organiser des fondements pour des enclosure primitives (définir des propriétés communes ou privées, de façon physique ou non). Tout cela étant associé à des rites religieux, n’en demeurait pas moins que la viande était également perçue comme aliment de richesse, donc réduite. En Europe, sous le Moyen-Âge, la population rurale avait accès à la viande les jours de fête ou le dimanche [2]. Selon Gabriel Désert et Robert Specklin, « la connaissance que l’on peut en avoir est très imparfaite, vu la place qui revient à l’autoconsommation, à base de porc, dans les campagnes. » [3]. Mais c’est plus tard, fin XVIIIe, début XIXè siècle, que la production de tête de bétail s’accroît. Dans l’Angleterre du XIXe siècle, avec les premiers mouvements d’enclosure – c’est-à-dire la mise en clôture du champ pour imposer la propriété privée – remplaçant les petit-es paysan-nes par des moutons [4], on commence à voir un accroissement de la production lainière, et par extension de la viande, donnant naissance plus tard aux premières industries spécistes épouvantables – laissant de côté des pratiques comme l’équarrissage public oklm dans la rue, sous le regard assez choqué de gosses – pour passer aux premiers abattoirs comme celui de la Villette à Paris ; ce truc moche du dix-neuvième arrondissement de Paris, qui sert aujourd’hui de refuge pour les arts contemporains… Encore plus dégoûtant…
En France, contrairement à l’Angleterre, l’exode dit rurale était plus tardive, et fut la conséquence de l’inégale redistribution des rentes foncières entre les habitant-es. Avec l’annulation d’anciennes pratiques de l’Ancien Régime, on voit également apparaître comme avec l’exemple des enclosures anglais, des formes de propriétés privées, de plus en plus sacralisées, par une chose qu’on appelle étrangement une science, le droit : « C’est précisément parce qu’il y avait, au bas de l’échelle sociale, beaucoup de paysans micro-propriétaires pauvres et quelques non-propriétaires misérables que la propriété foncière n’avait pas su se dégager encore des vieux usages communautaires qui limitaient son absolutisme. En le schématisant quelque peu (mais là encore la diversité des situations locales était infinie, et c’est un nouveau tour de France qu’il faudrait comprendre), le « communisme » agraire subsistant comprenait trois éléments principaux : la vaine pâture et le parcours (des troupeaux, sur les friches, et sur les cultures après enlèvements des récoltes) les droits d’usages dans les forêts (dominicales, communales ou privées) » [5]. C’était le résultat de tout un féodalisme agraire. Et au bout d’un moment, pour éviter de se faire déclasser salement par la naissance du capitalisme agraire anglais – laissant plus tard apparaître ce que Thompson décrira comme la révolution industrielle (prolétarisation de masse, modes de vies ultra précaires, décrit par Engels) – la France et ses notables décidèrent de passer à l’action : « Les classes dirigeantes éclairées étaient très hostiles à ces vestiges d’un temps où la propriété privée n’était pas encore sacrée. » (Ibid., page 94). Le mouvement a été lent, le souvenir de la Révolution de 1789 et les jacqueries rurales des années 1891-1893 (dû au mécontentement des campagnes faute de manque d’investissement du Gouvernement pour accompagner au mieux la production paysanne > crises) étant encore bien présentes. Rien qu’à imaginer la terreur des notables et des bourgeois-es : "Pas mon château, nooooon" … Ouhouhou … J’adoooooore çaaaaa. Et pourtant mon pic hormonal est passé.
Bref.
Tout ça pour dire que l’origine de l’élevage industriel a trois origines : les religions/cultures, avec des croyances assez obscures ; la consommation de viande comme quelque chose de très ancien et associé à des jours de célébration ; et enfin la propriété privée ! Et c’est ce dernier point qui n’est absolument jamais interrogé chez les groupes antispécistes/vegans. Genre JAMAIS. Et ça m’insupporte.
Quand j’ai participé à un blocage d’abattoir, je me demandais vraiment à quoi ça servait de juste bloquer quelques heures un abattoir pour passer quelques heures en GAV – question légitime. En soit, on fait perdre de l’argent à un gros bourgeois qui pratique couramment le monopole foncier, et c’est rigolo, mais il y a vraiment un manque de théorisation et de culture politique dans les rangs de l’antispécisme. Dans leurs têtes, et y compris dans la mienne, on était là pour nuire à une forme d’exploitation ignoble et meurtrière. Cependant, je n’arrêtais pas d’entendre une voix dans ma tête me dire : « MEUF T’ES EN TRAIN DE STOPPER LE CYCLE DE ROTATION DU CAPITAL FIXE ! C’EST TROP BIEN ! ». Et franchement, en avoir conscience, ça montre juste que cette action a vraiment des portées risibles. Pourtant je le referais sans hésiter, parce que c’était également un moment extrêmement formateur : participer à une forme d’action directe, me confronter aux forces de l’ordre, garder mon calme, assister à des formes de camaraderie, à des gestes de sororité en cellule (humhumhum), et réaliser ce que c’est, tout simplement, que de se botter à des entreprises comme celle-ci. Ça m’a permis de voir le pire, comme le meilleur, ainsi que tout un large panel de mobilisations antispécistes, allant de collectifs réformistes-opportunistes, en passant par des partis politiques monolithiques qui puent du cul (un peu comme Zemmour qui fait son programme sur une seule question), jusqu’à des groupes anarchistes qui font des choses stylées mais qui manquent clairement de monde, et dont la renaissance pâtit à s’imposer comme forme de lutte légitime et possiblement puissante.
Après cette brève introduction, on peut se demander ceci : pourquoi est-ce que vous n’avez pas une analyse révolutionnaire de la production capitaliste, pourtant une des premières causes et calamités du massacre des personnes non humaines ? Pourquoi n’avez-vous pas conscience qu’il est capital aujourd’hui de penser l’antispécisme révolutionnaire en fonction de l’évolution du monde rural, et de l’accumulation du capital à travers la rente comme investissement qui permet de créer une plus-value avec des usines [une forme possible de capital fixe] ? Pourquoi restez-vous ancré·es, comme beaucoup d’anarchistes hippies de merde, dans des formes de confusions idéologiques mettant en première instance la morale et l’éthique, alors qu’il faudra également penser la lutte dans un cadre de renversement de l’ordre économique et social en place ? Vous êtes dans un entre-soi, vous sortez ensemble, vous couchez qu’entre vous, vous êtes des naz... pardons, des emmerdeur-euses de premières, et ça m’a déter d’écrire cet article. Déjà parce que je pense que cette lutte est capitale, aussi parce que que les camarades non vegans – ne souffrant pas d’avoir un TCA, d’être bipolaire ou d’avoir d’autres handicaps qui empêchent souvent de maintenir une rigueur de régime alimentaire – ne font aucun effort (sous couvert de « je mange des trucs qui viennent de la poubelle », pitié… On peut penser au-delà ?) ; enfin parce que le végétalisme, comme mode d’alimentation, peut selon moi amener vers des formes de sociétés communistes. Et là vous allez me dire : wsh elle a mangé son jus de goyave de travers cette bolosse ». Et bien non, je suis très sérieuse.
La viande comme source de survaleur plus pertinente
Pour commencer, rappelons que les monopoles fonciers et l’élevage de masse sont inscrits dans des formes d’accumulation de capital qui ne sont pas à sous-estimer. En effet, le capital ce n’est pas seulement des gars avec des chapeaux haut de forme qui font gling gling quand ils marchent avec du cash dans les poches. Le capital regroupe tout un panel qui en effet peut permettre de créer de la richesse, mais pas que. De toute façon, vis-à-vis de la richesse, la création de plus-value nécessite obligatoirement d’investir du capital dans le cycle de production pour en dégager plus qu’il n’y en avait au départ. Cette création de capital est ensuite divisée en plusieurs part : une va permettre de faire tourner le cycle de rotation de production, une autre va devenir du salaire pour les travailleur-ses exploité-es, et enfin une autre va aller dans la poche du patronat. Tout cela pour nous amener à une question fort importante qui influence directement le corps d’un individu victime du spécisme. On va avoir tendance à chosifier de plus en plus les animaux non-humains, c’est-à-dire à détruire des identités singulières. Rappelons un peu le contexte : en France, vers 1850, la consommation unitaire progresse de 35% (Ibid. p. 100) : « Entre 1840 et 1852, un phénomène de grande importance s’amorce. Le porc reflue – baisse de 2,7% de la ration annuelle – au profit de la viande bovine dont la consommation unitaire croît de 35%. Le bouleversement, lourd de conséquences, surtout au long terme s’il continue, résulte de l’essor urbain et d’un développement de contraction de l’autoconsommation rurale [RIP les porcs qui étaient couramment élevé-es à la campagne]. Dans les villes, le porc n’entre en effet que très peu dans l’alimentation carné : environ 15%, alors que la viande bovine en constitue les quatre cinquièmes. L’accroissement de la population urbaine gonfle la demande de viande de boucherie et entraine un recul relatif du porc. »
D’après le tableau que j’ai partagé, on voit que la baisse tendancielle des prix due à la hausse de la concurrence rentière (une des causes de l’exode rural définitif), concerne moins la viande que le reste. Ce qui veut dire que d’un simple point de vue économique, la viande était plus rentable, d’où le fait qu’on ait accru sa production. Et grâce au progrès technique, notamment les chemins de fer et la machine à vapeur, on va pouvoir transporter les animaux. On va donc pouvoir assumer l’enclosure générale au fil du temps. Et chaque région va pouvoir se spécialiser dans un type de viande en particulier. Bien-sûr il faudra faire un focus sur cette question pour en comprendre les fluctuations économiques, et faire une comparaison entre les régions, et accentuer sur les évolutions de techniques d’élevage. À voir pour un prochain article.
L’augmentation de produits animaliers comme garantie de la prospérité alimentaire est une fable. Elle a surtout été garante d’une part de l’exode rurale et de la fin de la petite propriété rurale, créant de ce fait une prolétarisation conséquente, travaillant dans les manufactures et dans le bâtiment. Elle a laissé la place à de nouvelles formes de bourgeoisies agraires, ayant joué le jeu de la concurrence, et n’ayant pas requestionné la nouvelle rationalité du progrès technique dans ses conséquences sur la paupérisation de masse, le vagabondage des campagnes et la mendicité. Personnellement je ne suis pas contre le progrès technique. Je suis contre le capitalisme et la centralisation par la bureaucratie de la souveraineté du peuple.
Et là, dans ce contexte de production anti-coopératif, l’expropriation de la terre serait totalement légitime !
On a pas à réfléchir avec la paysannerie aujourd’hui qui ne représente plus que 3,6% de la population active. C’est pas nos potes ! La plupart sont des bourgeois-es avec des milliers d’hectares de propriété, les autres, plus petit-es rentier-es, subissent les conséquences de la concurrence, et faute d’alternative, peuvent difficilement faire autre chose (donc ce n’est pas leur faute, et ce ne sont pas des « meurtrier-es », juste des victimes des impératifs du marché). Et je suis désolée, mais c’est dégueulasse et hors sol en tant qu’urbain-ne de demander une "transformation" de la production, passant de l’animal à du végétal. C’est tout sauf simple, et j’aimerais bien vous y voir.
Idéalement, dans un projet révolutionnaire, il faut prendre leurs terres et faire propager le communisme agraire ! Je plaisante pas, pourquoi tu rigoles ? Plus sérieusement, c’est pas comme le contexte de la révolution Russe, quand Lénine était terrifié par des petites propriétés. Qui plus est, c’était la population majoritaire. Aujourd’hui ça ne l’est plus. Comme en France. Qu’est-ce qu’on attend ? Allons-y !
Je vous propose une illustration en image, avec le camarade Nestor Makhno qui va nous parler comment on fait la révolution (le contexte : il sort de la prison de Boutyrka et il retourne chez lui, à Gouliaï-Polié.
Pour en revenir à la plus-value que génère la production animalière
Cet élément, pourtant super important et qui explique encore aujourd’hui la production de viande, est délaissé au profit d’une explication des conséquences climatiques de la viande [6]. Mais on ne peut pas se contenter de ça. Il faut dire les choses clairement : c’est rentable de tuer des animaux non humains, et c’est possible d’exploiter de nombreuses façons les corps pour y dégager des formes de survaleur. Cependant ça n’a jamais constitué une réponse suffisamment importante dans le milieu de la protection animale et dans le milieu antispéciste. Pourtant on voit bien que s’imbriquer dans une logique de marché montre que ce n’est pas seulement parce que la viande c’est bon qu’on continue à en produire ; ou pour une question de culture. On est aussi en plein dans le capitalisme.
On pourrait presque dire en regardant de plus près l’histoire du mouvement que celui-ci s’est très vite détaché de la lutte des classes, ce que d’ailleurs leur ont beaucoup reproché des camarades anarchistes et socialistes, ne comprenant pas le fait qu’il ne corrèle pas la souffrance dénoncée avec la leur. À ce propos, le texte de Charles Gide, « Une classe de travailleurs oubliés », publié en juillet 1888 dans La Revue socialiste, apparaît des plus significatifs :
Je veux ici plaider la cause d’une classe particulière de travailleurs et de salariés : – classe nombreuse, car ses membres se comptent par millions ; – classe misérable, car pour obtenir de quoi ne pas mourir de faim, ils sont assujettis au travail le plus dur, à la chaîne, et sous le fouet ; – classe qui a d’autant plus besoin de protection qu’elle est incapable de se défendre elle-même, n’ayant pas assez d’esprit pour se mettre en grève et ayant trop bonne âme pour faire une révolution ; je veux parler des animaux, et en particulier des animaux domestiques. II semble que les travailleurs-hommes devraient avoir certains sentiments de confraternité pour les travailleurs-animaux, ces humbles compagnons de leurs travaux et de leurs peines [...]. Je ne sais pas trop si les animaux sont nos frères par les lois de l’hérédité et par le fait d’une commune origine ; mais ce que je sais bien, – et cela me suffit, – c’est qu’ils sont nos frères par le fait d’une association indestructible dans le travail et dans la peine, par la solidarité de la lutte en commun pour le pain quotidien. »
On ne retrouve plus pareil texte aujourd’hui, et c’est bien pour une raison : le mouvement dans sa presque totalité n’est plus révolutionnaire.
La protection animale comme projet avant tout bourgeois
Depuis l’origine du mouvement, rien ne va. On passe de la Royal Society for the Prevention of Cruelty to Animals en Angleterre à la Société de Protection Animale en France, toutes les deux ayant reçu la bénédiction de la Reine Victoria, et de quelques notables. Pourquoi cela ? Pas par sensiblerie (ou pas uniquement). Non, on ne va pas être sensible alors qu’on envoie des prolétaires au charbon et des mendiant-es dans les prisons et les workhouses [7]. Le but recherché était de remédier aux possibles agitations sociales, très présentes en Angleterre, avec l’aliénation des prix par l’importation, la prolétarisation de masse qui détruit des modes de vie, et par l’inégale création de richesses entre la ville et la campagne. Pour canaliser les jacqueries, on s’est dit que ce serait bien d’interdire les combats clandestins d’animaux, les corridas et l’abattage public par des bouchers dans un coin de la boutique. En effet, il y avait une croyance parmi les riches, que ces pratiques et visions pourraient provoquer des comportements violents, menaçant le progrès civilisationnel en plein essor capitaliste agraire. C’était aussi une nécessité que de faire sortir les animaux des villes, par souci d’hygiénisme. Paris à l’époque, comme d’autres villes au XIXe siècle, c’était immonde (je vous renvoie à cet excellent ouvrage : La cause animale – Essai de sociologie historique (1820-1980) par Christophe Traïni, et si vous avez du temps, celui d’Alain Corbin, Le miasme et la Jonquille, qui parle de gens qui meurent à cause des odeurs putrides).
Peu après les débuts du mouvement, ce que ne traite pas Christophe Traïni, on voit diverger des mouvements anarchistes français, et plus spécifiquement des courants naturiens (prémisses de l’écologie radicale), les premières personnes à se revendiquer comme végétaliennes. Celles-ci fondent différents foyers végétaliens, à Bascon, à Paris, et à l’étranger (notamment en Amérique Latine), avec l’idée de revenir à des bases alimentaires indigènes et pures pour le corps. Sombre. C’est une idéologie qui est totalement dans l’air de son temps : l’évolutionnisme bat son plein, et le positivisme comme courant « scientifique » ayant l’espoir de créer les outils d’analyse des vraies lois de la société et de l’économie, s’enracine dans les discours militants qui n’ont pas compris le principe de construction sociale. Ces personnes pensaient vraiment détenir l’alimentation parfaite et imbattable sur le plan nutritionnel. Elles ont accordé un nombre incalculable d’articles parlant de recettes de salades, avec de vrais récits de militant-es qui expérimentent des aliments crus, et tentent de faire des mélanges subtiles.
Ce point de départ dans le mouvement antispéciste, influencé par les idées individualistes et primitivistes, laisse peu de place pour la convergence des luttes. C’est d’ailleurs ce qui provoquera son déclin. C’est ce qui laissera la place plus tard à des mouvements comme ceux que l’on connaît aujourd’hui, qui, ayant hérité des stratégies de Green Peace et Sea Shepherd, vont utiliser l’image et la sensibilisation du public en créant du spectaculaire. La souffrance devient un spectacle avec lequel on extrait les mystères que cachent les murs des abattoirs et des centres d’expérimentation et de vivisection. Cependant, toujours début 20e siècle, une production littéraire ne laisse pas indifférente, celle de Georges Butaud, une des premières figures du mouvement, n’ayant pas totalement rompu avec le communisme. Il sort une brochure, qui paraîtra dans la revue Le végétalien, sous la direction de Sophie Zaikowska : L’Individualisme conduit au robinsonisme. Le Végétalisme permet le communisme. Avant d’écrire ce document, il publie de nombreux textes dans des revues anarchistes et naturiennes/néo-naturiennes. Il montre bien qu’il est au courant de l’impact de l’augmentation de l’élevage intensif. Pour lui, il est clair que le déracinement des paysan-nes à leurs terres a conduit à la pauvreté et a détruit le paysage rural. C’est à la fois un danger écologique, mais également une incohérence utilitariste qui conduit au gaspillage de la terre par la création d’un surpeuplement d’animaux « domestiques » :
Ce que le maître ne peut limiter, c’est la concurrence entre l’animal et l’homme. L’animal mange énormément, et il lui faut de la terre, des hectares et des hectares de prairies et de cultures. Supprimez l’animal domestique, la terre sera abondante, pour presque rien chacun en aura, l’avilissement de son prix rendra la vie plus facile à tous les hommes, et spécialement à celui qui vit ou voudra vivre de la terre.
Pour Butaud, il est impératif de détruire la domesticité qui n’est pas une nécessité pour la survie de l’espèce humaine. Bien au contraire, elle la met en péril et nous empêche d’augmenter notre démographie. C’est d’ailleurs aujourd’hui un phénomène bien connu, et il existe des centaines de techniques d’agricultures pour travailler correctement la terre. On est aujourd’hui en moyen de se préserver des intempéries climatiques grâce à la technique, que Butaud avait en horreur. Il disait plein de choses étranges. Quoi qu’il en soit, casser la propriété privée, pour lui, c’est permettre de casser la sédentarisation trop contraignante, et donc d’en finir avec l’élevage d’animaux non humains qui nécessitent ces formes d’existence ! L’agriculture végétale est beaucoup moins contraignante et permet plus facilement le communisme agraire qui permet soit de créer des temps de rotation saisonniers, soit de juste habiter ensemble comme au jardin des Lentillères à Dijon qui propose une prémisse d’un modèle d’agriculture communiste, si vous avez envie de baver d’idéologie. Idem autrefois et encore un peu maintenant à NDDL dans quelques jardins où le travail productif est collectif. Vous avez déjà vu des troupeaux de carotte franchir les plaines pour aller brouter ? NON ! Elles n’ont pas besoin d’autant d’espace !
Je vais vite et ça créera sûrement débat, mais ça permet de nous questionner sur cette question : est-ce vraiment pertinent de pratiquer le boycott ? De vouloir, par l’action civique, transformer l’offre et la demande ? Est-ce qu’on a vraiment le pouvoir d’agir sur l’offre et la demande (non, mais je ne rentre pas dans les détails). Pourquoi ne pas viser de façon systémique des industries, si possible réclamer par la force leur destruction ? Est-ce possible de continuer sur une pente glissante qui laisse de côté la révolution ? Je ne dis pas que c’est facile d’agir. Je dis que c’est juste évident et absolument inévitable de changer de discours si on veut être pris au sérieux et arrêter de faire la promotion d’une économie de l’émotion. Notre rage est légitime. Les sanctuaires et le sauvetage d’animaux non humains aussi. Mais arrêtons de donner trop d’importance à des répertoires d’actions sans les inscrire dans une perspective révolutionnaire qui propose des modèles de réflexions plus inclusifs, qui permettraient d’élargir les possibilités d’organisation autonome, et sortir de modèles autoritaires. Je ne suis pas à l’aise avec certains textes qui jouent sur les sentiments, et prêtent une force révolutionnaire à des situations minimalistes, même si je comprends le fait de visibiliser la réappropriation de la puissance des corps par les sauvé-es du spécisme.
Redonnons leur dignité aux animaux domestiques par les sanctuaires, et par la destruction des moyens de reproduction du spécisme systémique : la domesticité. On ne veut pas de société donnant des droits aux animaux non humains. On veut une société démocratique qui stop l’incohérence de la production de l’agriculture, considère la sentience, et abandonne des formes de « gloutonnerie » (Butaud) dangereuses.