Jeudi dernier, un truc drôle est arrivé dans la Vallée du Jourdain

En Israel, l’activiste Amitai Ben-Abba, natif de Jérusalem Ouest raconte son expérience contre la colonisation de l’État d’Israel dans la Vallée du Jourdain.
Traduction par unE camaradE d’une drôle d’histoire.

Vous pourrez trouver l’article original publié en anglais sur ce site, ainsi qu’un grand nombre d’autres qui décrivent certaines activités d’Anarchistes contre le mur en Israël. (note de la modé)

Jeudi dernier, un truc drôle est arrivé dans la Vallée du Jourdain

Voici une histoire assez incroyable d’une journée avec Ta’ayush, un groupe d’activistes israéliens juifs solidaires qui accompagnent les villageois palestiniens dans leur combat quotidien à survivre sous le régime militaire de la Cis-Jordanie.

Je me suis retrouvé devant un bulldozer militaire comme ça :

The author and the bulldozer, the Jordan Valley, 10/13/2016. Photo : Guy Hirchfeld, Ta’ayush

Il faisait 42 degrés Celsius dans la Vallée du Jourdain. J’ai rejoints “Ta’ayush : Arab-Jewish Partnership” pour une visite solidaire avec les villageois qui se confrontent chaque jour aux harcèlements des autorités israéliennes. C’est pendant cette visite que les forces israéliennes de défense sont venu détruire une route en gravier, le seul accès pour Al Hadidiyye, un village qui n’a pas l’eau courante hormis les tanks d’eau hors de prix livrés sur cette même route.

Ro’i, la colonie israélienne voisine reçoit l’eau courante. Leur industrie principale est la pisciculture de poissons d’ornement (soit d’aquarium). Oui, ils élèvent des poissons pour ornementer les aquariums dans un désert comme ça :

Clown fish. Image captured in a Youtube video promoting the Israeli fishkeeping industry.

Une recherche rapide sur le site online Israeli “Yellow Pages” révèle que certains poissons qu’ils élèvent sont exportés via des entreprises qui sont matriculés à Jérusalem et Rosh Ha’ayin, de l’autre coté de la frontière tracée par l’armistice de 49. Juste un exemple montrant que le mouvement de boycott de l’économie israélienne doit être considérée comme un tout, et pas comme une atteinte à la tache logistiquement impossible de différenciation des produits produits dans les colonies israéliennes (à l’intérieur des frontières d’Israël) et les colonies à l’extérieur des frontières (par exemple en Cis-Jordanie).

Retour au chemin de gravier. Je me suis fait bousculé sur le côté quand le bulldozer tourna ses pinces pour atteindre le chemin sous un antre angle. On a finit par jouer à un jeu de chat à la souris bizarre, avec le bulldozer jouant le rôle de la souris. La souris doit atteindre le fromage -le chemin de gravier- de l’autre côté du chat. Si le chat se tient droit devant elle, elle doit s’arrêter, faire marche arrière, et essayer un autre itinéraire. Le problème c’est que dans cette version, si le bulldozer s’arrête trop tard, le chat se transforme en chair humaine. Rachel Corrie est morte ainsi. L’opérateur du bulldozer était en train de jouer avec un grand sourire au visage, testant les limites dangereusement. Pas comme Rachel Corrie, je suis un juif israélien parlant l’hébreu, alors j’ai saisi le moment où il s’est arrêté et je suis allé lui parler, il a ouvert la porte ainsi :

Israeli military bulldozer operator. Photo : Guy Hirchfeld

Il m’a crié de partir, je lui ai dis que ma conscience ne m’autorisait pas à obéir à ses vénérables ordres, et je lui ai mentionné le cas de Rachel Corrie et comment il n’aimerait pas avoir un incident similaire sur la conscience. Je lui ai donc conseillé d’arrêter la machine, de se calmer et de fumer une cigarette jusqu’à ce que la police arrive. Il avait entendu parlé de Rachel Corrie, et après des cris cordiaux, il arrêta le moteur. Son collègue, portant une veste jaune rayonnante sur son uniforme vint parlé avec moi.
Il me sort : « Mec, es tu fou ? Tu veux te faire blesser ?
Je lui demande : « Vous savez qu’ils n’ont pas l’eau courante dans ce village ? »
« Pourquoi tu réponds par une question à une question ? »
« On demanda à un rabbin pourquoi les Juifs répondaient aux questions par des questions et il répondit : pourquoi pas ? »
Ils gloussèrent.
« Sérieusement » je leur ai dit, « il y a quelques mois, ils ont connecté les canalisations d’eau à ’Atuf à côté. Ils ont installés des compteurs d’eau pour les payer et tout et vous, vous venez, et vous détruisez ça. »
« Ils n’ont pas eu de permission pour ça. »
« C’est un droit humain fondamental ! »
Il m’a répondu : « Ils ne devraient pas être ici. Pourquoi ne vont ils pas en Jordanie ? »

J’interpelle les militaires israéliens depuis des années, et je ne me suis toujours pas habitué au fait que les soldats du bas de la pyramide sont les messagers, les hérauts du nettoyage ethnique de la Palestine. Quand il s’agit de l’armée, l’oiseau ne tombe jamais loin du nid, comme cette culture est si bien embourbé dans la voie hiérarchique. La dernière fois que j’ai visité Al Hadidiyye, notre hôte Abu Saqr nous a emmené faire un tour pour voir les citernes d’eau qui ont été détruites lors des premières années de l’occupation de 67. Quelques bureaucrates malades se sont assis et ont pointé sur la cartes toutes les citernes d’eau qu’utilisaient Abu Saqr et les autres villageois palestiniens dans la région de Jiftlik-Tubas-Tamun, afin de toutes les détruire systématiquement. Ce que ce guerrier fou a compris dans son esprit malade c’est que si tu prives des gens d’eau et de moyens de subsistance, tu peux les déplacer tranquillement pour faire en sorte d’invisibiliser cette horreur aux médias internationaux. « Avant 1967, il y avait 2000 d’entre nous à Al Hadidiyye », nous a dit Abu Saqr. « Aujourd’hui, on est 98 ». Al Hadidiyye est comme un microcosme de la vallée du Jourdain comme un tout : comme nous montre ce rapport OCHA report, entre 200 et 300 000 palestiniens ont été déplacés de la vallée du Jourdain depuis 67. Et maintenant encore, les gens me regardent comme un prophète de malheur timbré quand je parle d’un processus de nettoyage ethnique en cours en Palestine.

Puis soudainement, quelque chose d’incroyable s’est produit. L’opérateur du bulldozer, ayant écouté mes propos, paru en avoir marre de servir un système d’apartheid qui prive les enfants de boire de l’eau pendant l’année la plus chaude qu’on est jamais recensé (the hottest year ever measured ), fit des tours avec le bulldozer entre ici et la colline, abaissa la lame, et laboura la base militaire jusqu’à ce que plus aucune structure ne tiennent debout. Puis, retourna à Al Hadidiyye, donna à Abu Saqr tout l’argent qu’il avait sur lui, lui conseilla de connecter une des canalisations à Mekorot, l’eau des installations de forages acheminant l’eau potable et utilisée, jadis, pour alimenter l’eau pour la pisciculture de poissons d’aquarium, il lui dit que si quelqu’un vient faire de la merde avec les canalisations, il reviendrait avec son bulldozer pour lui donner une bonne leçon, et il finit par partir à l’horizon, les lames bien levées, loin du régime suicidaire et raciste qui a voulu lui voler sa jeunesse et le faire devenir un criminel de guerre.
Bon je plaisante. En fait, il a crié : « qu’est ce que j’en ai à faire ? » et attendu pour qu’un nouveau groupe de soldats arrive et pousse mes os hors du chemin pour qu’il achève de transformer Al Hadidiyye en un véritable ghetto.

Mots-clefs : Palestine | antifasciste

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