Je bloque donc je suis - Pour la critique des illusions de septembre

Sans même avoir commencé, le mouvement qui s’annonce n’en finit pas de soulever l’enthousiasme malgré un arrière goût de réchauffé. D’AG en AG, on se prépare pour la date fatidique mais on peine déjà à comprendre quelles sont les réelles perspectives. Dans ce texte, nous prenons le contre-pied de l’idéologie du blocage et appelons à la critique de l’activité pratique du militantisme autonome.

Texte initialement publié sur le site Sans Treve

Après une fin d’année militante marquée par l’absence de mouvement social, nos milieux politiques se creusent la tête pour trouver quelque chose à faire dans ce qu’ils interprètent comme le calme obligé avant la tempête. Quoi de mieux que le spectre des Gilets jaunes, aperçu au travers d’appels sur les réseaux sociaux aussi inattendus que fourre-tout, pour raviver la flamme du stade suprême de l’aliénation : le militantisme [1]

Les luttes sont bavardes [2], les appels et analyses tactiques de la gauche se multiplient sur les blogs et journaux respectifs. La ferveur se nourrit de l’appréhension de reproduire l’hésitation face au mouvement des Gilets jaunes et de la crainte de la “récupération” par les franges les moins radicales du mouvement social. Ici on s’active à proposer des tactiques pour réussir le blocage du pays, là on propose des formes organisationnelles censées garantir la force du mouvement contre ses ennemis. Contrairement aux éternelles rentrées sociales promises par la gauche depuis 2016, cette fois les initiatives ne sont pas venues de ses rangs. Les mots d’ordre semblent plus radicaux et les actions appelées sont variées : le potentiel de l’appel du 10 Septembre enthousiasme les gauchistes dont la production écrite redouble de cadence.

Face à cette effervescence, il nous faut toutefois faire preuve de sang-froid avant de nous jeter tête baissée dans un mouvement balbutiant. Par ce texte, nous voulons prendre le contre-pied des appels qui abondent finalement tous dans le même sens. Soyons tout de suite clairs : nous sommes sceptiques concernant le blocage et l’auto-organisation et donc circonspects de voir l’absence totale de critique dans notre camp politique. Il s’agit donc ici d’y remédier.

Le blocage, une perspective qui n’en est pas une

L’objectif martelé partout est le “blocage de l’économie”. Exit les modes d’action fantaisistes (éteindre sa box, ne plus payer par carte-bleue etc.), celui qui s’est désormais imposé est le même qu’on entend depuis le mouvement contre le CPE en 2006 et qu’on retrouvait lors de la réforme des retraites… de 2010. À l’époque déjà, cette solution était présentée comme une méthode de contournement de la grève (une trop vieille recette), notamment parce qu’elle pouvait être appliquée par tout le monde [3] . Pourtant, et c’est loin d’être une nouveauté, le blocage comme tactique est critiquable sur plusieurs points.

Le premier est le plus évident. Bloquer, oui, mais pour quoi faire ? Une chose est limpide dans l’ensemble des textes produits ici et là : personne ne sait où et comment est censé nous mener ce fameux blocage. Parfois, il est censé contraindre les gouvernants à retirer telle ou telle loi. D’autres fois, on se contente de dire qu’il pourrait “arracher” quelque chose qu’on se garde prudemment de préciser [4]. Encore ailleurs, il s’agit de contraindre les syndicats à l’action et même (soyons fous !) le gouvernement à la démission. Dans ce raffut, il est difficile de comprendre comment tout cela se combine. Comment le “blocage de l’économie” changerait la situation si profondément qu’en adviendrait ces évènements. Ainsi, contrairement à ce que l’on peut lire dans le texte 10 septembre - Pousser la ligne : Bloquons tout ! [5], “bloquons tout” n’apporte pas de perspective stratégique, mais uniquement tactique. Une fois l’économie bloquée, s’agira-t-il de s’attaquer à la question de la production ou bien de réclamer un simple changement de personnel politique au sommet de l’État ? Personne ne peut le dire et c’est bien le problème. Le blocage n’a pour perspective que le blocage lui-même. Ce qui est visé le 10 septembre est un coup d’éclat en espérant que des effets en découlent mécaniquement, sinon la question serait bien plus centrale que celle du blocage.

À ce stade, nous avons mis de côté toute considération sur l’efficacité ou non de la manœuvre, mais cela est un élément central des questions qu’un mouvement voulant se donner les moyens du blocage doit se poser. Bien que nous ne soyons pas devins, nous sommes sceptiques quant à la faisaibilité d’un tel blocage. Au jeu de la logistique, l’État a montré sa capacité à devenir maître en la matière [6]. Mais notre intérêt se porte davantage sur l’ensemble des réponses apportées dans nos milieux. Ainsi, le média Contre-attaque nous donne la clef de la réussite [7]. Il suffirait de bloquer tous les périphériques par des banquets populaires. Qu’en est-il de la réaction de l’État ?

La police arrive ? Que peut-elle faire face à 10.000 personnes sur une 4 voies ? On se défend, on se déplace, on revient, on évite les arrestations. Autant de fois que nécessaire. Jusqu’à satisfaction des revendications. […]

Tout cela ne peut marcher qu’à deux conditions : si ces blocages sont coordonnés, car la police ne peut pas débloquer des dizaines de périphériques en même temps, et durables, pour avoir un véritable impact sur l’économie.

Il suffisait d’y penser.

Notes

[2“Mais si les luttes sont théoriciennes cela implique qu’elles sont très « bavardes », on y parle de tout et de n’importe quoi mais jamais par hasard ni à tort et à travers.” Roland Simon, “Que faisons-nous ?” in Meeting n°4

[3S’ils ne sont pas les premiers à y faire mention, le Comité invisible en était alors devenu le plus célèbre des porte-voix dans son texte Le Pouvoir est logistique. Bloquons tout !

[6À ce propos voici un texte paru au début du mouvement contre la réforme des retraites de 2019, toujours d’actualité : https://blogs.mediapart.fr/carbure/blog/011219/blocage-0

[7Un des exemples notable peut se trouver ici

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