Introspection Révolutionnaire et synthèse critique du milieu Autonome : NUMERO 2.4

Entre la défaite entêtée du citoyennisme politique, la montée des processus d’embourgeoisements urbains, d’éparpillement extrémistes, d’autoritarismes hybrides et de prolétarisation, surgit la mise en récit d’une figure historique à peine augmentée, conforme à la révolution culturelle de son siècle.

Pastiche s’applique à la recomposition d’une intelligence collective et critique.
Pas à la polémique vide de sens, mais au débat.
Par un travail de synthèse entrepris vers le dépassement.
Pastiche pense la nécessité du conflit, du désaccord, de l’argument contre la croyance.
Pastiche n’est pas un énième mode d’emploi subversif.
Il n’est que l’opportunité du constat, du raisonnement et de la contradiction.

Ce nouveau Pastiche est la suite logique des numéros précédents.

Il tente de traiter des mutations idéologiques du capitalisme, en retraçant les accompagnements successifs et autres renforcements que "culture" et monde de l’art ont appliqué et permis.

Il s’agit donc d’une lecture du présent par l’entrecroisement des divers processus à l’oeuvre, économiques, culturels, technologiques et "critiques".

EXTRAIT :

La stratégie du scandale prônée par la plupart des avant-gardes artistiques est partout.

Polémiques, transgressions, impertinence, buzz ; tout un héritage au bénéfice de campagnes de communication.

L’ambiance de « moments périssables délibérément aménagés » que soutenaient les situationnistes, accessible dans n’importe quel pop-up store.

La pratique du détournement, saluée jusque dans les talk shows en plastique, la presse people, le street marketing.

Il devait bien y avoir dans ces agissements des choses déjà conciliable au pouvoir, la suffisance du bel âge, l’orgueil d’une originalité, de son renouvellement et le goût bouffon du mystère...

Mais comment en vouloir à la tentative qui ne sait pas encore ?

Maintenant nous savons.

Nous n’estimons pas le capital capable de produire autre chose que des multitudes d’ajustements, c’est sa faculté d’adaptation qui est prodigieuse, sa tendance à s’appuyer sur des constitutions primitives, originaires, déjà présentes, autant que sur l’émergence de tendances nouvelles, sur le tempérament d’une jeunesse, son énergie à « vouloir ».

C’est sa prise en compte des revendications sociales, protestataires, la manière que ce système a de digérer « la nécessité du changement », a de la dégrossir jusqu’à communion finale qui nous ébranle ; et ce que l’on présumait apte à nous délivrer nous enchaîne à nouveau.

Le cas des torches de la liberté du célèbre Edward Bernays qui, en 1929, saisit la montée du mouvement féministe américain comme une occasion commerçante témoigne de cette promptitude, de cet incroyable ajustement du marché aux requêtes de son temps.

La récupération est une affaire banale et au fond, nous savons désormais que toutes les armes que nous créons, même les plus subversives, les mieux élaborées, peuvent être retournées contre nous avec l’habileté d’un gestionnaire.

Aucune larme à verser pour autant, nous avons fait le deuil de ce qui fut et, même s’il y avait le moindre espoir à épargner le dernier temple, nous resterions très certainement tentés par l’incendie.

Évitons d’être plus bêtes que celles/ceux qui cherchent à sauver la virginité « du monde », de la « nature humaine » ou des arts populaires.

Car de quelle authenticité nous parle t-on ?
Et avec quelle naïveté encore ?

Évitons de donner corps à la contradiction suivante :

Révolutionnaires en théories, conservateurs en pratique.

Nous ne scanderons donc aucun rap de brochures ni ne débattront des potentialités territoriales que représentent les free party, autant que nous avons cessé de nous illusionner des dimensions politiques du mouvement punk.

S’acharner à ressusciter l’impossible par ressort activiste, un autre type de culte.

Car derrière la réhabilitation de l’immaculée, de l’incorruptible, derrière les blâmes et l’invective ; une impuissance ventriloque.

Tous ces défenseurs de « cultures populaires » détestent en définitive tout ce qui le devient ; à l’avant-garde du sentiment d’exclusivité.

Admiration fanatique et nostalgie, contre tout ce qui enfreindrait la genèse d’une identité prétendument leur, voilà le don de quelques mémoires dressées contre le temps.

À l’évidence, nous ne défendons rien des gigotements permanent de la culture, rien non plus de cette immobilité de l’angoisse, ni oublier, ni conserver, ni s’adapter.

Chercher la valeur du mouvement dans le mouvement, plus dans les phantasmes du regret.

En conséquence, que dire des leçons alternativistes ? Qui, en parallèle des discours monopolistes, des vieux principes de compétition et de l’automation qui vient, évoquent les bienfaits de l’épicerie familiale, du petit café de quartier, du fromage de chèvre précapitaliste ou, plus transcendant encore, de l’économie locale et solidaire, du transitionnisme statutaire par le salaire à vie, du « renversement » par la jurisprudence...

Que de matière à débattre, de réflexions offertes aux pourfendeurs de révolutions, que de belles idées, que de belles propositions à émettre lors du prochain brainstorming intitulé « réformisme superstructurel participatif ».

Si le capital a la témérité d’exproprier les luttes révolutionnaires, s’il est en mesure de mêler à leurs sèves un peu d’eau gazeuse pour les solder en bouteille, alourdir les transpalettes et partir en chantant. Il n’est pas si difficile d’envisager ce qu’il est en mesure de faire de toute cette innocence en quête « de changement », de « valeurs », nouvelles ou retrouvées.

La mémoire n’est pas une décalcomanie.
Le rétroviseur éconduit toujours l’horizon.

Folklore.

Ritualisation.

Enfermement.

Le retour récurrent de Mai 68 fait parti de cette même agonie de l’invention.

À chaque départ de mouvement, les même repères historiques viennent empiéter l’actualité de nos expériences, trompeter nos défaites de retardataires au nez d’un publicitaire amusé.

Une pantomime historique, embarrassante et désarticulée.

NU

À la fin du 19e siècle, Marx & Engels (L’idéologie allemande) estimaient la production artistique en ces termes :

« La concentration exclusive du talent artistique chez quelques individualités, et corrélativement son étouffement dans la grande masse des gens est une conséquence de la division du travail (…) Dans une société communiste, il n’y aura plus de peintres, mais tout au plus des gens qui, entre autres choses, feront de la peinture. »

C’est en ce sens que, des Dada aux surréalistes en passant par l’internationale situationniste, des générations de jeunes artistes tentèrent, entre la bonne volonté naïve et une légèreté d’ordinaire fortunée, de redéfinir, dépasser ou simplement détruire la production artistique pour ce qu’elle conservait de réactionnaire et d’aliénante.

On se souvient du jeune Vaneigem (Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations) écrire :

« L’œuvre d’art à venir, c’est la construction d’une vie passionnante. »

La popularisation des moyens de « reproductibilité technique » et sa récente digitalisation ont nettement réduit la « concentration exclusive du talent artistique », quant à cette « vie passionnante » convoitée, elle pourrait sembler avoir triomphé, tout du moins dans la représentation « Yolo » qu’on peut désormais en faire par l’intermédiaire des réseaux sociaux, à savoir par une énième forme de valorisation spectaculaire de la vie sociale.

Le pouvoir de représentation, historiquement vertical, s’est substitué à la seule puissance faussement horizontale des individu-es en réseaux, puissance d’incarner à la fois le statut de produit (en s’objectivant soi même selon les canons de la marchandise - Réification) et de profil-client (par le calcul algorithmique des données).

Tout ce qui constituait le/la spectateur/spectatrice émergeant-e de la société industrielle, c’est à dire la distance entre la contemplation et son objet, s’est déplacé vers la participation, l’interaction et la création de contenu.

Personnaliser l’image, c’est dire l’améliorer selon ses propres principes, l’adapter à sa propre sous-culture, à son propre style de vie, est la dernière liberté que le monde des images autonomes nous concède.

On le sait depuis plus d’un demi-siècle, l’image n’est ni une représentation améliorée du réel, ni son apparition sacrée, l’image est le support privilégié de la marchandise, elle transporte et déploie toute sa mystique, son « art de vivre ».

En ce sens, Debord voyait juste, l’image génère effectivement une socialité à part entière.

Il ne s’agit donc plus de comprendre le pouvoir des images selon une esthétique particulière, dominante et bourgeoise, mais de se remémorer le pouvoir des images en tant que langage universel de la société publicitaire.

Les héritier-es du spectateur/spectatrice ne sont plus éloigné-es « du monde » par le spectacle, iels sont devenus le spectacle, avec la disparition « du monde » dans ses propres représentations.

On pourrait méjuger à la hâte, comme le font les réactionnaires, d’une victoire superficielle de la « réalisation de l’art » et des propositions révolutionnaires du siècle passé.

Mais, alors même que les individu-es semblent s’être émancipé-es de l’autorité des images grâce à la maîtrise qu’iels peuvent dorénavant avoir sur elles, on remarque qu’iels n’ont fait que d’en généraliser l’essence hégémonique par subjectivation, produisant la mise en scène d’avatars ou de pseudo-intimité publiques, au seul service de groupes concernés par le stockage et l’exploitation commerciale de ces données dites « personnelles » via une cybernétisation des techniques de porte-à-porte toujours mieux personnalisées.

Car au fond que sont les « communities » ? Si ce n’est des tribus commerciales, simples fanbases avantageuses pour quelques sponsors et autres produits sous-culturels, capables de produire des esthétiques et des représentations comportementales certes spécifiques, mais qui restent subordonnées au commerce, par et dans la séparation.

Oui, nous pouvons désormais nous représenter ou être représenté-es comme étant queers, émos, street, zen, smarts, afro, nerds, machos, nous pouvons bien choisir sur les présentoirs du vieux monde rénové les idoles et les divertissements de notre choix, les accoutrements identitaires qui correspondent aux modes d’existence multiples qui, ayant pour prétention la critique du modèle mainstream, ne profitent finalement qu’à des marchés de niches qui se maintiennent selon l’émergence des modes et s’amplifient selon les niveaux de concurrence qui les stimule.

Oui, nous pouvons, mais c’est bien là toute la limite objective de notre autonomie.

Les vœux d’une individualité souveraine et créatrice furent bien instrumentalisés par le capital, qui sût convertir ce désir d’émancipation et de distinction sociale en nouvelle forme d’exploitation économique, autant que les revendications à l’autodétermination et au droit à la différence furent instrumentalisées au profit d’une segmentation marketing et d’un empowerment essentiellement arriviste et politicien.

Il ne s’agit donc en aucun cas d’une victoire, ni de l’individualisme philosophique et de sa « subjectivité radicale », ni de la pensée dite « humaniste » et de son « universalité » fraternelle, mais bien de la victoire de l’égalitarisme bourgeois en faveur d’un opportunisme assurément boutiquier.

Aucune victoire, l’intégration.

Ce qui pouvait être identifié dans les « sitcoms ethniques » autant que dans les propositions faites par les doctrinaires de l’ethno-Marketing, se prolonge sur des créneaux plus ramassés encore, toujours plus distinctifs.

Un marché basé sur l’hétérogénéité de signes d’identification et de reconnaissance, de « formes de vie » et de communautés humaines multi(sous)culturelles désaccordées ou simplement irréconciliables, et qui conserveraient pour ultime lien social la transaction, dernier langage des foules anonymes mais langage officiel de l’économie internationale.

Au dessus de cet émiettement brusque et décousu se manifeste pourtant un éclat de commun, un prototype, que la neutralité narrative rend modelable à l’infini. Un modèle idéologiquement unifiant, sur lequel pourront se greffer toutes les singularités, tous les attributs a sélectionner selon les innombrables occasions de se jouer soi même.

Entre la défaite entêtée du citoyennisme politique, la montée des processus d’embourgeoisements urbains, d’éparpillement extrémistes, d’autoritarismes hybrides et de prolétarisation, surgit la mise en récit d’une figure historique à peine augmentée, conforme à la révolution culturelle de son siècle.

C’est l’archétype 2.0.

PORTRAIT

De toute évidence, l’archétype 2.0 ne semble pouvoir faire triompher sa « qualité de vie » que grâce à la revendication qu’il fait de l’initiative et d’un « vouloir » univoque, entrepreunarial.

Le sujet présent limite sa conception de l’indépendance à l’auto-exploitation (chauffeuses/chauffeurs Uber, blogueurs/blogueuses, graphistes free-lance, startuppers, youtubeuses/youtubeurs aux chaînes monétisées), qu’iel célèbre en suprême délivrance.

Notre hypothèse est la suivante, l’archétype 2.0 a dans la moelle tous les principes de « la fin de l’histoire » et de ses « sujets ». Iel n’est que le produit de désorientations associées à une deshistorisation d’ensemble, de sollicitations narcissiques venues compenser l’impermanence et la précarisation qui surplombent désormais « tous les domaines » de sa vie. Tout ce qui a toujours été subi comme une atomisation de la force historique et révolutionnaire longtemps nommée « prolétariat », par le travail intérimaire et plus récemment par l’éloge du temps partiel, de la mobilité, de la flexibilité, rendant presque impossible les formes de luttes auto-organisées, semble désormais se poursuivre dans un enthousiasme aussi extatique que désabusé.

La recomposition idéologique qu’institue l’archétype s’intronise par la mise en place d’un storytelling consciencieux.

Individuel-le, déterminé-e, conquérant-e, carriériste, indépendant-e et « hédoniste », qu’une morale sacrificielle toute commerciale engagerait inévitablement sur la voie rapide du succès.

Une morale sous forme de slogans tels que : « croire en ses rêves », « ne pas compter ses heures », « ouvrir un commerce », « aimer ce que l’on fait », « se retrousser les manches » ou plus simplement « réussir sa vie ».

Le rêve d’une ascension sociale proche du rêve américain prônée dans les années 80, surajoutée de bonne conscience et de considérations hygiénistes, entre agriculture biologique, fairtrade, lifestyle éco-responsable, vegan, sans gluten, suivies de séances de yoga et de formules mensuelles au fitness center.

Quant à la solidarité collective historique et internationale que constituaient malgré elles les formes d’exploitation traditionnelles (usines, entreprises, chantiers...), visiblement amoindrie par les experts en « déconstruction » universitaire, elle semble avoir été sobrement remplacée par la défense d’intérêts typiquement particuliers, par le clanisme, le réseautage affinitaire, le corporatisme et les lobbys.

Mais au-delà des questions de transformations idéologiques et organisationnelles, l’archétype 2.0 participe à une sensible mutation anthropologique du quotidien.

En tout lieu en effet l’ennui se propage et derrière elle/lui, le sentiment de devoir s’occuper l’esprit prédomine. Entre deux stations de métros, « sans temps mort », une course à la distraction s’engage.

C’est l’harmonie des essoufflements « sans entraves », des escapades de synapses sur circuits imprimés.

Effervescence nerveuse, le flamboiement immédiat, ô l’ankylose.

Un seul doute, la moindre incertitude exige désormais l’apparition d’une réponse tactile et simultanée - Recherche machinale d’arguments certifiés pour répliquer à quelques approximations de comptoirs.

Tous ses silences, toutes ses hésitations se posent désormais la question cruelle de l’efficacité.

Le modèle de production capitaliste a débordé de toutes les tranchées de la vie courante, les digues artificielles maintenues entre travail et loisirs ont finalement cédées, mais contrairement à ce que les situationnistes exaltaient, elles n’ont pas cédées pour la flânerie et le jeu généralisé, mais pour l’hyper-productivité permanente assimilée à un véritable « mode d’agir ».

M U L T I T A S K I N G

Rendement, planification, optimisation, nos rapports se sont sur-adaptés aux circonstances.

Supplice // Courrir // Mourrir // Surplace

Tout se déverse « en continu », tout nous est accessible « à la demande ».

Ses liaisons tiennent sur des agendas sur-organisés, sur des applications mobiles capables de nous donner accès à des offres sexuelles jetables, tout dans le vocabulaire de la satisfaction de consommateur, de ses réflexes ou du plus limpide dispositif logistique et managérial : plan cul.

Tout est à combler dans la précipitation, ne rien laisser au silence, c’est à dire au temps de sortir du rythme de la production rendue instinctive, d’approfondir le « pourquoi » de cette condition à court terme, immobile.

La totalité de la brochure Format PDF, ici :

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