Il y a ceux qui se taisent, il y a celles qui se lèvent, mais surtout celles qui se soulèvent

Vendredi dernier, pour la première fois depuis un paquet de temps, les flics ont mis les casques et tiré les lacrymos à un rassemblement féministe ; pour la première fois depuis longtemps, on les a débordés même si c’est rien qu’un peu. Ce soir-là, on s’est senties puissantes ensemble, entre meufs, on a mis nos corps ensemble, pour que de victimes nous nous changions en menace et en vengeance. Le 7 mars c’est samedi et on espère bien que ça sera la suite de l’étincelle.

  • Gros succès de ce week-end féministe malgré la répression !

    La marche de nuit en mixité choisie d’hier soir à Paris a rassemblé énormément de monde dans une ambiance déterminée malgré la répression, de même que dans plusieurs autres villes (Nantes et Toulouse notamment). À Paris les flics ont violemment chargés et gazés la manif peu avant l’arrivée à République, 7 personnes ont été placées en GAV. Malgré tout la manif partie aujourd’hui à 14h de Place d’Italie est également un succès ! N’hésitez pas à partager ici vos récits, analyses et témoignages de ce magnifique week-end de lutte féministe ou à nous les envoyer à paris-luttes-infos[at]riseup.net

(Crédits photo : Clara Dalmasso - @ladameenoir)

Les Césars, l’étincelle

Nous voilà vendredi dernier, entre 200 et 300 meufs, tout contre les grilles et l’impression que ça va rater, qu’il y a trop de flics et trop de sécu, qu’on ne pourra pas. Pourtant, à un moment quelques slogans fusent, de l’autre côté des grilles on voit tout un paquet de caméras qui rappliquent, et puis c’est le signal et là, ça prend : on se met toutes à pousser les grilles, ça gueule fort et les fumis crachent, les flics sont comme surpris, faut croire qu’ils ne s’y attendaient pas. À vrai dire, nous non plus on s’y attendait pas vraiment, à ce que ça prenne comme ça, aussi bien et aussi fort, et à ce qu’on ose franchir le pas : d’un coup c’est nos corps contre les leurs, nos corps de meufs violées, agressées, rabaissées contre les corps des flics qui protègent les corps de violeurs bien sapés dans leurs costumes de riches. Ça crie « Polanski violeur, cinéma complice » avec toute la colère de nos voix de meufs réduites au silence et pour une fois on gueule assez fort pour que de l’autre côté, un court instant, leurs micros nous écoutent.

On se fait repousser à coups de gaz et de matraques, mais plusieurs meufs ont réussi à faire irruption sur le tapis rouge. À l’intérieur de la salle Pleyel ça pue la lacrymo et le fumi, la journaliste de BFM ne voit plus rien et parle de zone de guerre.
Plus tard dans la soirée, alors que la police s’interpose entre la salle Pleyel et nous, nous sommes plusieurs centaines à partir en manifestation sauvage direction le rond-point de l’Étoile. Bien sûr, on se fait barrer la route, mais cette ligne de flics sonne comme une victoire : pour la première fois depuis un paquet de temps, les flics ont mis les casques et tiré les lacrymos à un rassemblement féministe ; pour la première fois depuis longtemps, on les a débordés même si ce n’est rien qu’un peu, on a été nous aussi un trouble à l’ordre public. Ce vendredi-là, on l’attendait, ce point de bascule. Ce soir-là, on s’est senties puissantes ensemble, entre meufs, on a mis nos corps ensemble, pour que de victimes nous nous changions en menace et en vengeance. On a pris toute la place et toute la rue, celle qu’on ne nous laisse pas prendre d’habitude, parce qu’on nous l’interdit, parce qu’on s’autocensure, ou encore parce que nos « camarades » aussi sont trop souvent des violeurs. Notez bien qu’on sait se défendre et que la violence, vu ce qu’on se prend dans la gueule tous les jours, ça nous connait.

(Crédits photo : @Tay Calenda)

Blagues dedans, guerre dehors

Le prix offert à Polanski quelques heures après tout ça a frappé fort. C’était dire à toutes les meufs : fermez bien vos gueules et restez à votre place. Ça sonnait comme une punition collective après le soulèvement, un rappel à l’ordre : voyez ce qui vous arrivera si. Même si on était contentes qu’Adèle Haenel se casse, toutes ces tribunes et les tweets rageurs des stars nous laissaient un arrière-goût amer : dedans, c’est encore une comédie qui se joue, à coup de blagues et de petits silences volontairement gênants, de départs et de refus de petits fours, quand au même moment dehors c’est sur nos corps que c’est la guerre et on se fait gazer, frapper, trainer à terre, interpeller. Les Césars viennent nous rappeler qu’il ne faut pas trop compter sur les meufs bourgeoises : même « féministes » elles continueront à défendre leurs intérêts de classe et il semble loin encore le jour où elles viendront se battre à nos côtés. Ça n’aurait pas été si compliqué pourtant de faire un détour avant le tapis et de venir voir ce qui se passait de l’autre côté des grilles, ou bien de prendre le micro et de parler de nous, des meufs qui n’ont pas d’argent ni de célébrité… Ne l’oublions pas : notre force viendra du nombre et on n’a pas besoin ni d’icône ni de martyr. Les victoires n’ont jamais été obtenues par des prises de position individuelles de celles d’en haut, mais bien par les soulèvements populaires de celles d’en bas : ce sont elles qui bénéficient ensuite des avancées féministes et nous ne leur devons rien, c’est même l’inverse.

Le patriarcat au feu, les violeurs au milieu

Ce n’est pas à elles non plus de poser les contours de nos luttes : si nous étions là vendredi, ce n’est pas pour demander une « autre vision du cinéma ». Polanski n’est qu’un prétexte et un symbole, un exemple bien parlant de tous les violeurs et nous étions là pour eux tous, contre le patriarcat. Pas pour dénoncer un milieu du cinéma qui serait plus sexiste qu’un autre, pas pour demander gentiment à ce qu’on ne nomine pas le film de Polanski aux Césars, pas pour supplier qu’on le jette en prison : on était là pour dire que les violeurs sont partout, et pour passer à l’offensive, dire bien clairement qu’on n’allait plus tolérer ça. Que nous allions maintenant faire justice nous-mêmes, sans médiation ni compromis, et nous attaquer frontalement et physiquement aux violeurs, cibler les espaces qui comptent pour eux, les empêcher de profiter de leurs fêtes, trouver leur adresse et s’y rendre pour tout casser, s’en prendre à leur personne. On n’est pas là pour quémander des miettes de votre monde et pour être plus représentées, mieux inclues. On ne veut pas rentrer dans votre monde : parce qu’il a été construit contre nous, il est irrécupérable. On est là pour le renverser.

Nous sommes la tempête qui s’annonce

Ce vendredi avait le goût des débuts. Avec ses tâtonnements et ses ratés : on ne se connait pas encore bien entre nous et on ne se fait pas encore tout à fait confiance, habituées à être divisées et invisibilisées par les mecs. On n’ose pas encore tout, habituées à ce qu’on nous dise que ces modes d’action, ce n’est pas pour nous, habituées à la peur. On n’est pas d’accord sur tout et on ne le sera certainement jamais. Mais vendredi c’était le début et c’est à nous de construire la suite : organisons-nous pour être mieux coordonnées la prochaine fois, pour reconnaitre des visages et des regards amis sous les masques. Entrainons-nous, formons-nous, équipons-nous. On n’a pas besoin d’être d’accord sur tout pour se retrouver de temps en temps, nos modes d’action peuvent se compléter et nos espaces s’articuler. Le 7 mars c’est samedi et on espère bien que c’est la suite de l’étincelle : parce que si certain.es se lèvent et se cassent, nous, de plus en plus nombreuses, on se soulève et on casse.

À lire également...