Il faut savoir gagner une grève

Entre les épisodes répressifs du mois de mai et la démobilisation estivale potentielle, il importe de penser une stratégie offensive susceptible de pérenniser le mouvement social actuel.

Face aux volontés sectorielles de durcissement du mouvement, devant l’émergence de nouveaux foyers de lutte, sous quels termes et selon quelles logiques penser la conflictualité qui vient ?

Un spectre hante le syndicalisme : le spectre de la grève générale. Toutes les forces de la gauche radicale vieillissante se sont unies en une Sainte-Alliance pour prescrire ce spectre. Quelle est l’opposition qui n’a pas été accusée de diviser la lutte et de jouer le « chacun pour soi » par ses adeptes ?

La grève est une remise en cause de la société bourgeoise et de ses codes. Les travailleurs et les travailleuses sortent pour un temps du salariat. La solidarité cesse alors d’être un simple mot d’ordre, un simple idéal, pour devenir un fondement matériel de l’existence des travailleurs et des travailleuses. C’est bien parce qu’elle permet une transformation des rapports sociaux qu’il faut savoir gagner sa grève. Mais laquelle ? Certainement pas la générale ! Ce mythe, aussi fédérateur soit-il, est désormais derrière nous. Alors, plutôt poursuivre une chimère, si on parlait stratégie ? Histoire de gagner les grèves sectorielles qui, elles, sont bien là.

En France le taux de syndicalisation est de 11% (chiffre qui comprend les syndicats jaunes). Ce n’est pas suffisant pour organiser une grève générale. En revanche, il existe des taux de syndicalisation intéressants, comme dans les secteurs de l’enseignement, de la santé et du social. C’est là qu’il nous faut construire des grèves sectorielles combattives. La mise en relation de ces grèves, la fédération de leurs mots d’ordre sous une ligne commune, sont des conditions indispensables à leur réussite réelle. Mais comment mesure-t-on la réussite d’une grève ?

La grève défensive, propre au syndicalisme tel qu’il se présente à nous, n’est pas une fin en soi. Une grève qui fait reculer la loi d’un gouvernement, ou qui empêche le plan social d’un patron, n’est qu’à moitié victorieuse. Si l’on considère le syndicalisme comme l’action militante des travailleurs et des travailleuses en vue de la défense de leurs intérêts face au patronat, une telle grève apparaît certainement comme un franc succès. Mais c’est oublier l’antagonisme indépassable entre nos intérêts et ceux du patronat.
La grève devrait d’abord aspirer à la paralysie de l’économie, ou du moins d’un secteur de l’économie. Cette paralysie, que le patronat et l’actionnariat ressentent et craignent, doit servir de base pour la défense de l’intérêt des travailleurs et des travailleuses. Une fois le bras de fer au désavantage du patronat, les négociations peuvent s’engager au profit apparent des travailleurs et des travailleuses.

Mais ce profit n’est qu’apparent, car si les négociations peuvent contribuer à l’amélioration immédiate des conditions de vie des travailleurs et des travailleuses, l’antagonisme qui les oppose au patronat subsiste, atténué. Une fois la paralysie acquise, la grève doit se durcir pour faire croître la menace qui plane sur les intérêts du patronat. Patrons et actionnaires doivent être soumis à un régime de peur pédagogique : actions coup-de-poing, rassemblements sauvages, rassemblements inter-pro, chemise de DRH déchirée, voiture du patron vandalisée, assemblée générale des actionnaires envahie, (etc.) sont autant de moyens de durcir une grève et d’exacerber les antagonismes de classe.
L’exacerbation des intérêts de classe doit pousser les travailleurs et les travailleuses à remettre en cause la légitimité du patronat et de l’actionnariat dans le processus de production et dans l’organisation gestionnaire de l’entreprise. Plus les intérêts de classe s’exacerbent, plus la conscience de classe se développe. Et c’est à partir d’elle que les travailleurs et les travailleuses parviendront à s’organiser efficacement, au-delà du salariat et contre le contrôle capitaliste de la production.

Mais les intérêts des travailleurs et des travailleuses ne sauraient s’incarner dans des luttes isolées. A lutte de classe, stratégie de classe ! Il ne s’agit donc pas question de faire grève pour soi, mais bien d’inscrire sa grève dans une stratégie commune.
On a, de tout temps et en tout lieu, entendu parler de convergence des luttes. Nous ne remettons pas en cause la nécessité de cette convergence, dès lors qu’elle est comprise comme la coordination des différents foyers de lutte. Et par coordination, on entend : la rencontre des différentes actrices et acteurs des luttes sociales en cours, l’élaboration de revendications interprofessionnelles et l’organisation d’actions communes, et la constitution d’un véritable front gréviste, capable de mener une lutte prolongée contre nos ennemis de classe et leurs avatars.
Coordonner les grèves sectorielles, les durcir pour créer une atmosphère favorable au déclenchement de nouveaux fronts de lutte et à l’intensification des conflits déjà ouverts ; voilà notre proposition stratégique pour que les grèves, bien ancrées, puissent s’étendre - jusqu’au stade où, peut-être, la grève générale cessera d’être une chimère pour devenir un objectif immédiat.

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Il nous revient de transformer nos grèves défensives en grèves offensives, de faire du blocage de l’économie une étape vers la conquête du pouvoir ouvrier. Ne courbons pas l’échine sous les coups qu’on nous assène ; cessons de faire barrage, faisons révolution !

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