Hommage à Serge Livrozet : De luttes, de taule et de mots

« Serge Livrozet, voyou, écrivain, anarchiste et militant anti-carcéral est mort le 29 novembre dernier. En guise d’hommage, Lundi matin republie cet article que Corinne Morel Darleux avait publié dans [ses] pages. »

Né de père inconnu et de mère prostituée, pauvre et « destiné à être exploité », Serge Livrozet a refusé l’assignation sociale et choisi de « prendre de l’argent où il considérait qu’il y en avait trop ». Après une première incarcération, il décide en 1968 de « politiser son illégalité » et devient cambrioleur « de ces gens qui ont les moyens de l’être ».

Incarcéré à 22 ans, celui qui a arrêté l’école à 13 ans passe son bac en prison et devient instituteur de détenus. De nouveau arrêté en 1968 pour « crime contre la propriété » (sic), il passe cette fois le diplôme d’études comptables supérieures [1]. Il crée sa propre maison d’édition et, toujours, il écrit. Le parcours de Serge Livrozet est jalonné de luttes, de taule et de mots.

Ses activités de perceur de coffre-forts et de militant anarchiste ont largement été documentées et valent de l’être encore. Mais une anecdote cristallise à elle seule tout le sel du personnage, celle qu’il raconte face à la caméra de Nicolas Drolc dans le magnifique film documentaire, « La mort se mérite » [2] : on l’y découvre faisant entrer les ’Difficultés de la langue française’ en contrebande dans l’enceinte des Baumettes. Serge Livrozet raconte cet épisode sourire en coin. Faire entrer en douce un livre en prison n’était pas une mince affaire et ce fut certainement un joli pied de nez à l’administration pour celui qui décrira, dans la rubrique « Le droit de lire » du journal du Comité d’Action des Prisonniers (CAP), comment des prisonniers sont amenés à se mettre en danger pour avoir accès à des livres dont la finalité, ironiquement, est de les améliorer [3].

Jusqu’aux années 70, en France, les détenus n’ont pas accès à n’importe quels livres. Comme le relate Laurent Audeiryck dans son passionnant mémoire sur le sujet [4], le livre est longtemps vu en prison comme « objet de conquête de la vertu » et les ouvrages « politiques, policiers et polissons » sont dès lors interdits. Mais à la fin des années soixante, la période est à la revendication et certains prisonniers vont batailler pour obtenir des ouvrages qui parlent des conditions de vie en prison ou de révoltes de prisonniers. Qui parlent d’eux. Serge Livrozet accompagnera cette lutte et bien d’autres avec le CAP, co-fondé avec Michel Foucault. C’est d’ailleurs un de ses livres, « De la prison à la révolte » paru en 1972, qui va être commandé deux ans après sa sortie à la Santé par un détenu, Patrick Nouiet. Celui-ci sait parfaitement que le titre figure parmi les interdits, son geste vise précisément à réclamer la liberté de lecture. L’administration refuse et Patrick Nouiet se met en grève de la faim. Il sera soutenu à l’extérieur par une délégation d’écrivains, dont Serge Livrozet, venus manifester devant la Santé avec un haut-parleur [5]. Et l’administration devra céder.

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Notes

[1Voir la biographie de Serge Livrozet sur le dictionnaire du Maitron : https://maitron.fr/spip.php?article154033

[2« La mort se mérite », de Nicolas Drolc, visible gratuitement sur Vimeo [NdPLI]

[3Relaté dans « Le développement culturel en milieu pénitentiaire–Les bibliothèques de prison » (2016), mémoire de Master 1, université d’Angers, de Laurent Audeiryck : http://dune.univ-angers.fr/fichiers/15004490/20162MHD6055/fichier/6055F.pdf

[4cf note 4

Mots-clefs : anti-carcéral | justice | prison

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