Hommage à Remi Fraisse : une manif de plus réprimée par le pouvoir socialiste

Flics complètement sous pression, dispositif policier de dingue, arrestations à la pelle et atteintes aux libertés fondamentales… La préf et le pouvoir ont lancé un message clair au manifestant : « on lâche rien, on va vous écraser ! » Témoignage d’un participant à la manif du 2 novembre à Stalingrad (Paris, XIXe).

Flics devant la place de la rotonde, 2 novembre 2014

Il fait plutôt beau ce matin et je me lève comme un dimanche.

Comme j’avais prévu, je filerai à la manif prévue pour pousser un cri de révolte contre le meurtre par la police d’un jeune de 21 ans…

Tout a déjà été dit sur ce qui s’est passé. Personnellement si je vais à cette manifestation c’est pas pour demander une police plus policée, des armes moins meurtrières ou je ne sais quoi…

En vrai, ce que je pense c’est que les flics ont toujours eu des armes meurtrières, et que là, c’est juste qu’en ce moment, le gouvernement a donné des ordres. Ces ordres c’est de pouvoir utiliser ces armes, en l’occurrence les grenades « offensives », à volonté. En faisant ça, ils savaient qu’il y aurait des morts à court ou moyen terme. Ce mort n’est donc pas un hasard, une erreur, ce sont les conséquences logiques d’un risque calculé de longue date.

Ce que je pense c’est qu’une manifestation massive pouvait changer le rapport de force et « tenir en respect la police », faire en sorte que l’État ne se croit pas tout permis…

C’est dans cette logique que j’allais à la manif. Je pars à pied de là où j’étais et je reçois plusieurs coups de fil. Des gens apportaient tracts et banderoles de Montreuil, pour la manifestation (suffisant pour les flics pour leur mettre le statut « d’organisateurs »). Problème, l’info avait fuité. Les camarades se sont donc faits arrêter « préventivement ». En sortant du lieu où ils étaient, il y avait plusieurs dizaines de camions de flics qui les attendaient. On peut noter le très bon travail de renseignement de la DGSI qui a su précisément où étaient les gens. Bravo à vous, vous avez bien fait votre beau travail de sales flics (je sais que vous me lisez, pas bête hein !).

Donc on va au rassemblement, et 30 personnes ont déjà été arrêtées. Je vais pas vous cacher que je suis pas super à l’aise. J’ai déjà fait des manifs, mais pas aussi dangereuse en terme de probabilité d’arrestation. Et puis le côté violence est quand même largement en faveur des flics.

Les flics en civil se baladent en bande, 2 novembre 2014.

La veille un camarade a eu le nez arraché au flashball à Nantes, un autre a perdu son œil (encore un). Les appels à la démocratie comme quoi le gouvernement va se modérer, va calmer le jeu ne prennent pas sur moi : le gouvernement veut nous écraser, nous les révolutionnaires, mais veut surtout écraser plus largement tous les concepts progressistes qui irriguaient encore la gauche il y a quelques années…

Le gouvernement socialiste est comme tous les gouvernements et tous les États : il ne tolère aucune contestation et aucune remise en question radicale [1] Et il nous a prouvé qu’il n’avait pas de mal à tuer pour ça.

Les contrôles sont systématiques aux alentours de la place Stalingrad, 2 novembre 2014.

Plus j’avance à pied plus j’ai une boule au ventre. Arrivé à Belleville, des gardes mobiles sont déjà en place aux intersections. Cela ne fait aucun doute, le dispositif sera complètement dingue. J’arrive à Colonel Fabien, les flics sont en place devant le métro de manière massive. Ils reluquent tout le monde et surtout ce qui ressemble plus ou moins à un gauchiste (en gros des jeunes quoi).

Arrivé à Jaurès c’est juste un truc de dingue tellement y a de keufs partout. J’ai compté au moins 30 camions de CRS. Y a également des gendarmes mobiles. Ils patrouillent par groupe de 10 et fouillent tout le monde. Mais vraiment tout le monde. Je ne sais pas par quel hasard (je dois avoir une tête qui leur est sympathique, ce qui me rend moyennement content) j’ai réussi à ne pas me faire contrôler une fois dans l’aprèm’. Miracle ! En effet un pote à moins de chance : il s’est quand même fait contrôler la bagatelle de 8 fois dans l’aprèm’. Pas mal non ?

La plus grosse prise de la journée pour les flics : des oeufs. 2 novembre 2014.

Je tourne autour de la place de la rotonde avec un copain. Force est de constater que les flics sont vraiment au taquet. Il n y a que du bleu. Je cherche même pas à voir les civils tant leur nombre doit être délirant.

Une des multiples ligne de flics place Stalingrad, le 2 novembre 2014

Après avoir tourné autour et croyant qu’une manifestation serait impossible, je me risque à passer les barrages policiers et à voir s’il y a du monde place Stalingrad. Oh, surprise, près de 300 courageux se massent là. Quand je pense que moi j’ai failli ne pas venir, ça me fait chaud au cœur de voir des gens qui sont là. Mais je pense aussi à tout ceux qui ont été arrêtés, qui ont rebroussé chemin devant le nombre de flics, tous ceux qui seraient venus si la préfecture avait accepté ce rencard [2]

Bref, un peu amer, car les forces sont là mais dispersées… En effet autour du rassemblement il y a beaucoup de gens qui n’osent pas rentrer dedans de peur de se voir réprimer.

Place Stalingrad, 2 novembre 2014.

Dans la manif l’ambiance est plutôt lourde. Tout le monde est très tendu. Il y a peu de slogans. Il faut dire que les flics sont très très visibles. Ils cherchent nettement l’affrontement.

Place Stalingrad, 2 novembre 2014.

Dans la souricière qu’est la place Stalingrad, tout le monde sait bien qu’il ne sera pas question aujourd’hui d’une quelconque « action » ou même de manif sauvage. Le rapport de force n’est pas en notre faveur. Tenter quelque chose virerait à un suicide collectif. D’autant que c’est précisément ce que veulent les keufs. Très mobiles ils patrouillent autour du rassemblement, changent très souvent de position, laisse pressentir une charge imminente…

Place Stalingrad, non sans mal, une banderole a réussi à se frayer un chemin. 2 novembre 2014.

Le problème pour eux c’est qu’il n’y aura aucun prétexte à une charge : les manifestants ont été tout l’après midi d’une absence d’agressivité absolue. Rien n’a été jeté sur les flics, pas même un trognon de pomme…

Alors quand le soir même on entend des conneries écrites par le Parisien du genre « les policiers ont répondu à la provocation en arrêtant les éléments les plus radicaux », ça laisse rêveur. Rêveur parce que sans aucun doute le Parisien avait un envoyé spécial à Stalingrad, envoyé spécial qui a vu la même chose que moi. Alors pourquoi mentir aussi effrontément ? Presse aux ordres…

Des camarades prennent ensuite la parole et lisent le communiqué de presse devant les caméras des journalistes. C’était vraiment un moment très important politiquement. Assumer politiquement et à visage découvert le fait de participer à un rassemblement interdit par la préfecture, le fait d’assumer publiquement des positions de classe et des positions rigoureusement hostiles à la police est un acte de première importance.

En faisant cela, les camarades ont pris des risques. Au vu de la répression à l’œuvre, il est tout à fait possible que le GIPN vienne les cueillir au saut du lit un matin de semaine. Il faudra donc pour nous exprimer une pleine et entière solidarité au cas où cela arrive.

À la fin de l’intervention, les gens décident collectivement de se disperser… La masse des gens s’en va vers là où il y a le moins de flics visibles : vers le canal. Ça se disperse bien, mais là les flics décident vraiment de faire monter la pression en refusant la dispersion. Ils font une ligne devant le MK2 quai de seine. J’ai pas trop vu ce qui s’est passé mais ce qui est sur c’est que les flics ont gazé de manière assez massive avec des gazeuses familiales.

Cette situation est très dangereuse puisque les 100 personnes qui se massent devant la ligne de gardes mobiles sont coincées entre le cinéma et le canal de l’Ourq au risque que les gens se foutent dans la flotte. Enfin bon si les flics étaient là pour nous protéger ça se saurait.

Les flics forment ensuite une sorte de nasse filtrante. Parallèlement, ils continuent à arrêter des gens à la gueule du client. J’ai vu aucune violence puisque les gens se laissaient complètement faire.

Ensuite ça a été très bizarre. Les flics ont chargé à un bout (sans qu’il ne se passe rien du tout), ils étaient super nerveux et notamment leurs chefs. Ils sortaient flashball et moulinaient du tonfa à tout va… Ils ont ensuite dégagé la nasse et ils ont fait des allers et retours sur l’avenue de Flandre et sur le boulevard de la Villette. Quelques charges au trot, quelques coup de pression, mais rien de significatif…

S’en est suivi une seconde nasse d’une cinquantaine de personnes sur la place Stalingrad et de plus en plus de flics dans un périmètre de plus en plus restreint. Ça m’a procuré de plus en plus d’angoisse et j’ai ainsi choisi de partir. Mais j’ai rien manqué de plus à part quelques arrestations sans doute (j’ai vu deux paniers à salade de 30 personnes partir vers le commissariat de la rue de l’évangile).

Ce que je retiens principalement de la manif c’est la volonté absolue de la part de l’État d’intimider et de broyer toute forme de résistance non acceptée et non récupérable par la pensée bourgeoise.

Ainsi la mort de Rémi est analysée comme une chose non politique, qui ne concernerait presque pas les gens. La vraie façon de rendre hommage à Rémi serait d’aller faire un rassemblement sinistre dans un quartier sinistre. La mort de Rémi ne serait pas le fait d’être humain et du pouvoir. Ça serait le fruit du hasard.

Le plus dramatique là dedans c’est que l’extrême-gauche traditionnelle n’était pas là (sauf quelques éléments en butte à leurs directions).

En n’étant pas là, en refusant d’amener la question hors du champ émotionnel et en ne faisant pas le lien avec la situation sociale et politique, cette extrême-gauche se comporte exactement comme lui demande l’État. Et face à cela que reste-t-il ? Le mouvement anar, des fragments de groupes marxistes et des gens relativement isolés politiquement.

Jamais je n’ai vu l’État aussi horrible et écrasant que cet après-midi. Et pourtant, 300 personnes se sont réunies, 300 personnes qui ne se connaissaient pas et qui venaient de milieux différents.

Car si aujourd’hui, l’extrême-gauche institutionnelle n’est plus qu’une sorte de coquille vide (et surtout vide d’idées), elle nous laisse les mains libres et laisse de nombreuses personnes dans l’expectative. À nous de savoir tisser des liens qui feront que notre prochain rassemblement sera une réussite et déjouera les tristes projets de l’État.

Place Stalingrad, 2 novembre 2014.
Caméra policière, place Stalingrad, 2 novembre 2014.
L’équipe de tournage de la préfecture. Place Stalingrad, 2 novembre 2014.

Notes

[1On notera tout de même que l’extrême-droite, qui a articulé la seule opposition massive au gouvernement avec la manif pour tous, est plutôt ménagé par l’État quand il s’agit de répression judiciaire ou policière.

[2Le rencard avait été déposé mais a été refusé, suite à ça, les orgas d’extrême gauche ont préféré capituler et ne pas appeler au rassemblement, préférant celui de France nature environnement. Décision honteuse de leur part, qui contribue à désarmer le mouvement social face à l’État encore un peu plus.

Mots-clefs : meurtres de la police | Testet
Localisation : Paris 19e

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