Gilets Jaunes, la balade de l’acte XXI

Samedi 6 avril a eu lieu l’acte XXI du mouvement des Gilets jaunes. Une manifestation déclarée s’est déroulée de la place de la République à l’esplanade de La Défense.

En arrivant place de la République, vers 12h30, un étrange sentiment de déjà vu nous vient : sous le soleil printanier, l’air est saturé par une odeur de brochettes, une buvette est installée à l’arrière d’une camionnette, une sono diffuse On lâche rien de HK & Les Saltimbanks.
Malgré les apparences, il ne s’agit pas d’une manifestation syndicale, mais de l’acte XXI des Gilets jaunes. Alors que les messages de haine envers les syndicats se multiplient dans les commentaires des pages sur Démosphère recensant les événements, nous ne pouvons que constater que les Gilets jaunes reprennent le flambeau des casaques rouges dans le style de manifestations inoffensives.

Néanmoins, bien que la majorité des personnes présentes arborent des revendications de gauche, pour rappeler que les Gilets jaunes ne sont pas un ensemble consensuel, notons la présence de plusieurs (ex-)militaires en béret, toutes médailles dehors, certains appelant au retour d’un quelconque général, des partisans d’Asselineau, et même un tambour-major en costume historique vaguement napoléonien.

Alors que tout ce petit monde se tient sagement sur la partie piétonne de la place, certain·e·s décident de bloquer la circulation. Une cinquantaine de personnes tente alors de ralentir les véhicules, sous l’œil amusé des autres. Les Parisiens au volant s’énervent. Heureusement pour eux, le signal du départ de la manifestation est donné quelques instants plus tard, et tous·te·s se dirigent petit à petit vers la rue du Faubourg-du-Temple. Un des militaires crie « Allez, on y va ! » aux retardataires qui auraient bien aimé bloquer un peu plus longtemps les flux.

Le parcours de ce samedi est très long, quasiment 14 km : de République, nous longerons le canal Saint-Martin jusqu’à Jaurès, puis nous emprunterons le boulevard de la Chapelle et le boulevard de Clichy jusqu’à la place de Clichy, nous descendrons le boulevard des Batignolles puis l’avenue de Villiers, passerons le périphérique porte de Champerret, et nous traverserons Levallois, Neuilly et Courbevoie pour enfin arriver à La Défense.

Dans Paris, même si les chants les plus repris sont « Emmanuel Macron, ô tête de con, on vient te chercher chez toi » et « On est là, on est là ! Même si Macron ne veut pas, nous on est là ! Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur, nous on est là ! », les manifestant·e·s ont préféré la plupart du temps discuter entre eux, rendant le cortège très silencieux, comme une balade digestive.
Un groupe infiltré du NPA, reconnaissable à leurs slogans détournés (« Grève, blocage, Macron dégage » au lieu de « Grève, blocage, manif sauvage » et « Emmanuel Macron, président des patrons, on vient te chercher chez toi »), tente de mettre un peu d’énergie, mais personne ne leur emboîte le pas. Alors qu’elles étaient absentes lors des précédents actes, les Marseillaises font leur retour. Les « Ah ah, anti, anticapitaliste » ont moins d’écho qu’avant.

Alors que les passant·e·s à La Chapelle et Barbès acclament le cortège, un couple de jeunes bobos prend sur eux de remonter la manifestation en prévenant chacun·e de « faire attention à vos poches ». À mesure que nous approchons des beaux quartiers, les regards se font plus circonspects et méprisants.

Au croisement de l’avenue de Villiers et de l’avenue de Wagram, au bout de laquelle se dresse l’Arc de Triomphe, un groupe de manifestant·e·s décide de sortir du parcours imposé. Ielles sont rejoint·e·s par plusieurs centaines d’autres, sous les cris de « C’est pas par là ! » du gros des troupes qui continue tranquillement son chemin. La vue de dizaines de fourgons de flics se dirigeant à vive allure dans notre direction nous fait rebrousser chemin et rejoindre le reste du cortège. Les cris de « Tout le monde déteste la police » ne seront pas repris.

Au niveau de la porte de Champerret, même situation : certain·e·s décident de bloquer la circulation sur le périphérique et commencent à s’engager sur les voies d’accès.
Bien vite, deux compagnies de CRS sont envoyées pour nous intercepter à coup de lacrymos (toujours les nouvelles dont la concentration est augmentée [1]). Leurs tirs sont imprécis et quelques-unes s’échouent sur les immeubles de l’autre côté de l’avenue.
À partir de ce moment-là, les flics jusqu’alors invisibles seront présents à quasiment toutes les intersections, et l’hélicoptère arrive pour surveiller la manifestation.

Dans Neuilly, quelqu’un tente un « Bourgeois, bourgeois, paye ton ISF ! » et « Neuilly, debout, soulève-toi ! », mais c’est le chant « C’est à bâbord, qu’on gueule, qu’on gueule, c’est à bâbord, qu’on gueule le plus fort », et sa version tribord, qui remporteront un large succès alors que la route est divisée en deux par des travaux. Autre tube : « Vous êtes fatigué·e·s ! ­On n’est pas fatigué·e·s ! La ville est quasiment déserte. Une famille agite un drapeau algérien à sa fenêtre, on répond « Paris, Alger, solidarité ! » Un vieil homme s’interpose physiquement devant quelques manifestant·e·s qui retirent les publicités pour un abribus.

À Courbevoie, les visages se font de nouveau plus amicaux. De nombreuses personnes agitent des gilets jaunes aux fenêtres, mais y resteront malgré les appels à nous rejoindre.

Police nationale, milice du capital

Nous arrivons enfin, vers 17h, sur l’esplanade de La Défense. Celle-ci a été transformée en nasse géante, vidée de ses passant·e·s. Des cordons de CRS protègent les banques et les centres commerciaux, et barrent tous les accès. Trois drones survolent les lieux. Les seules issues sont les entrées des transports en commun.
Les Gilets jaunes sont invités à s’asseoir sur les marches devant la Grande Arche pour une photo, sous une ligne de flics menaçants. Plusieurs Marseillaise seront chantées en chœur.

À 17h30, l’organisateur prend la parole au micro pour demander la dispersion, sous les huées. Alors qu’un groupe de manifestant·e·s saute sur des plaques de métal pour faire du bruit, une compagnie de CRS, sans doute sensible des oreilles, charge brusquement pour les déloger.
À 18h, c’est au tour d’un officier de police de faire ses deux sommations. La ligne de CRS en haut des escaliers descend les marches, repoussant ceux qui y avaient pris place.

En bas de l’esplanade, les flics se mettent en ligne et remontent vers l’Arche, emmenant avec eux les quelques Gilets jaunes qui s’y trouvaient encore.
Plusieurs milliers de CRS encerclent alors la centaine de manifestant·e·s toujours sur place, les forçant à regagner les transports en commun. Notons que pas un seul tir n’aura eu lieu.

Le mouvement n’est toutefois pas terminé. Les manifestant·e·s reflué·e·s se retrouvent sur le quai du RER A, et décident de retourner à République. Dans les rames, on crie, on chante. Changement à Auber pour prendre la 3, dans les couloirs, « On est là, on est là ! » À République, quelques cars de gendarmes sont garés rue du Temple, mais n’interviendront pas.

Autour de la statue, les quelques dizaines de manifestant·e·s se reposent enfin un peu pour discuter, rigoler, et se dire à samedi prochain.

Notes

[1Un policier sur Mediapart : « Ces dernières semaines, les cartouches contiennent plus de galettes. Il existe différentes sortes de grenades dont la teneur en Cs varie entre 7 % et 15 %. »

Localisation : Paris 10e

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