Personne n’aura raté la séquence politique, ou plutôt politicienne, qui s’est jouée en début d’été dernier autour de la dite « flottille de la liberté ». Pourtant, certains débats qui ont eu cours -essentiellement en ligne ou dans les sphères privées- à ce moment se sont taris, et nous pensons qu’il est nécessaire de les réouvrir pour leur donner une chance d’opérer, ou d’accompagner, des lignes de fractures nécessaires avec le réformisme, l’électoralisme, le populisme, c’est à dire divers faux amis (ou vrai ennemis) de la perspective révolutionnaire. Le 5 juin, la flottille a secouru 5 migrants qui traversaient la Méditerranée, les influenceurs politiques qui étaient à bord ont fait de la com sur leurs réseaux et ceux de leurs partis et ensuite, ils ont appelé Frontex, la police des frontières européennes qui s’occupe de renvoyer les migrants dans leur pays d’origine, pour... les renvoyer dans leur pays d’origine. « Allô, la police ? J’ai 5 migrants à bord et ça m’emmerde, vous pouvez vous en occuper ? Je sais pas quoi en faire et je suis sur un autre dossier. » Cet appel a, sans doute à peu de choses près (formalités bureaucratiques), eu lieu. Et les justifications ont, en France été les suivantes : « ils n’avaient pas d’autres choix », « qu’aurais-tu fait à leur place », « ils avaient plus important à gérer », et autres saloperies relativisantes, toujours dites pour clore la question et ramener tout un chacun à son impuissance. Toujours est-il qu’ils sont rentrés en héros, avec un triomphe de la gauche place de la République à Paris, et que nous tirons de cette séquence la conclusion suivante : si la gauche sait parfois se draper de radicalité, ce n’est jamais que pour mieux contrôler, gérer, exercer l’autorité de l’État à sa manière. Elle ne sera jamais que le visage plus humain et souriant d’une société de misère et d’autorité, de frontières et de prisons. Croire à cette bienveillance ne sera jamais autre chose que se faire avoir, et emporter d’autres dans cette illusion.
Les défenseurs de la gauche ont utilisé cette flotille comme une allégorie humaniste de leurs perspectives, avec ses péripéties, ses héros, ses antagonistes, son triomphe. Permettons nous de retourner la pièce et de l’utiliser comme un symbole, une image, de leur hypocrisie. Un bateau, lancé toutes voiles dehors, en mission humanitaire vers Gaza, qui, sur sa route, donne des sans-papiers à la police... Quelle plus belle façon de réfléchir aux fins qui justifient les moyens, aux salauds qui se drapent de belles intentions, qui promettent monts et merveilles et qui sur leur route ne sèment que de la misère. Plutôt que de rester obnubilés par là où le bateau se rend, prenons le temps de regarder par où il passe, parce que la vie, la lutte, c’est ce que nous en faisons tout son long.
« Qu’est-ce que tu aurais fait à leur place », réponse à une question qui n’en attendait pas.
Et toi, qu’est-ce que tu fais à ta place, camarade ? Et toc. Mais plus sérieusement,
C’est-à-dire à leur place ? Si j’étais député, sur une flotille en direction de Gaza ? J’aurais changé mon itinéraire, revu mes priorités, joué de mon statut bourgeois, débarqué quelque part, embrouillé les mécontents à bord, cherché un endroit où accoster sans passer par les institutions d’État qui, je le sais pertinemment, auraient remis les migrants dans le cercle de la misère auquel ils étaient visiblement en train d’essayer d’échapper. Mais certainement pas appeler les condés. Si j’étais moi, avec qui je suis, et ce que je ne suis pas (député), qui me retrouvais pour une raison tout à fait inconnue au milieu de la méditerannée en voyage ? J’aurais encore moins appelé les condés, qui je le sais pertinemment, auraient remis les migrants dans le cercle de la misère auquel ils étaient visiblement en train d’essayer d’échapper. Mais sortons de l’imaginaire fantasmatique qui n’a pas de sens et rapprochons nous de la réalité, croiser la route de sans-papiers dans des situations de détresse, il n’y a pas besoin de se retrouver en plein milieu de la mer pour que ça arrive. Les personnes sans-papier, qui parfois achèvent leur périple en France et se retrouvent en prise avec l’exploitation et la misère, et demandent de « l’aide », il y en a ici et maintenant. Imaginez vous une seconde appeler la police pour se débarasser de la question ? Que feriez vous à cette place là ? La question qui s’ouvre sur la solidarité est alors bien plus intéressante que celle de se mettre à la place de Rima Hassan, déjà sur fournir une aide pratique et matérielle là où elle est nécessaire, mais aussi et surtout comment développer un rapport confrontatif contre ces fameuses institutions (et donc, la gauche), sur le court et long terme ? Comment mettre en place ce rapport avec des personnes sans-papiers en prises avec ces institutions ? Empêcher des rafles ? Se mettre en mouvement contre les centres de tri humains que sont les CRA ? Rejoindre des collectifs qui s’emparent de ces questions ? Lutter quoi. Donc à tout ces donneurs de leçons bourgeois gauchistes, qui se mettent à la place de Rima Hassan quand elle donne des migrants à la police comme acte de mobilisation contre les frontières, nous disons allez vous faire foutre.
La question serait donc plutôt que faisons nous à notre place, c’est à dire ici et maintenant, pour lutter contre la guerre, les frontières et ce monde de merde. Nous ne partageons pas les mêmes persectives que la gauche, d’ailleurs nous partageons pas grand chose du tout : donner des sans papiers à la police ne sera jamais une option envisageable.
Pour un monde libre, sans frontière, sans état, sans député, ne nous laissons pas avoir par les mensonges de faux-amis et vrais ennemis : la gauche.
« C’etait le moins pire, qu’est-ce que tu veux y faire, le monde est comme ça, il ne faut pas être idéaliste... » VOUS CASSEZ LES COUILLES
« Changer le monde, haha, quelle drôle d’idée ! Il est très bien comme ça le monde, pourquoi changer ? »-OSS 117
Nous rappelons ici que tout l’argumentaire du moins pire, qui à été mobilisé pour défendre l’indéfendable, est l’une des clefs de voûte de ce monde de misère. Notre vie, c’est faire, ça, c’est accepter de se faire voler son temps, accepter qu’on vole celui des autres, travailler comme des chiens, payer des fortunes pour de la merde, et devoir en plus sourire au passage. C’est faire de nécessité vertu, c’est se compromettre, c’est serrer la main d’un batârd avec un contrat qui t’empêche de lui en retourner une bien sentie. C’est de la merde, et on en a marre. Quand on te fait croire jusqu’à l’os que l’argent contre lequel on te prend ta liberté est la condition à ce que cette même liberté se réalise. Saloperie. Le monde tiens sur l’idée que ce refus est idéaliste. Qu’en demander trop c’est mal, qu’il faut rester dans le domaine du possible. Mais qui en fixe les limites, de ce domaine du possible ? C’est ton patron, ton prêtre, ton juge, ton père. C’est Rima Hassan et Greta Thundberg. Commencez par refuser le moins pire est la condition préalable au plus intéressant, lutter contre l’état des choses déplorable dans lequel nous évoluons. Et l’accepter, c’est le premier pas vers la résignation et l’impuissance. Alors à tout ceux qui font de cet argumentaire leur mantra, qui te disent que l’idéalisme se situe dans l’espoir, dans la révolte, nous vous emmerdons. La démocratie, le moins pire des régimes ? Nous le refusons, au même titre que le pire des régimes, car nous savons que c’est une saloperie perverse que de faire accepter l’innaceptable en le faisant passer pour la seule option envisageable. Et c’est la que commence la possibilité révolutionnaire, quand ce refus se généralise, se met en mouvement, et passe à l’action.

