Essai d’anticipation : 2022 n’aura pas lieu

Essai qui pense la possibilité de la suspension des élections présidentielles en 2022 à travers le renforcement du parti LREM et de Macron.

Depuis plusieurs mois déjà, nous sommes certains à émettre – l’hypothèse politique – que 2022 n’aura pas lieu. Qu’au fond, il existe la possibilité que la majorité perdure au pouvoir en se soustrayant au système représentatif actuel et qu’elle décrète sa survie par l’annulation pure et simple des élections présidentielles. Bien sûr, tout cela s’accompagne d’un contexte particulier : « menace » terroriste extérieure, situation insurrectionnelle et révolutionnaire intérieure… qui lui permettraient l’établissement d’un système dictatorial exceptionnel. Participant pour cela, à la construction d’un ennemi du dedans, du dehors ou bien d’une dialectique de ces deux composantes. Mais aussi à l’élaboration de mesures ciblées à l’encontre d’une multiplicité d’indésirables. Ce que l’on ne pouvait pas anticiper à l’époque est la variable écologique et épidémique qui devient aujourd’hui la raison commode qui peut permettre la dégradation et la suspension de l’ordre démocratique actuel. De l’utilisation de l’urgence et de l’exception comme paradigme normal de gouvernement, nous déclarons un autre type d’urgence qui éclaire et transforme ces situations qui ne peuvent plus durer. Entre pessimisme et optimisme, la critique devant toujours se situer dans le désir de détruire l’ordonnancement actuel. Le diagnostic d’un moment s’articulant inéluctablement à des manières de se retrouver et de s’organiser contre la permanence de la destruction néolibérale.

Article initialement paru sur fractale

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Le régime représentatif et présidentiel français est à bout de souffle. Rien de neuf avec cet énoncé. Tout le monde est à peu près d’accord pour le dire. Néanmoins, des divergences existent sur les suites à donner à ce régime de gouvernance en décomposition. Achever la bête souffrante ou lui prodiguer des soins tant bien que mal ? De droite comme de gauche, on s’obstine à alimenter la machine.
De son côté, le parti majoritaire déclare sa force et sa légitimité. En effet, LREM n’a jamais été si certaine de la politique à mener, décidée à conserver son pouvoir et finalement à fonder une forme de césarisme. Le gouvernement actuel se pense légitime et unique, à tel point qu’il ne verrait pas de mal à décréter la suspension du processus électoral pour justifier sa propre sauvegarde et parachever sa force.
Au sein du corps social, on reste en grande partie conscient avec quelle fragilité Macron est arrivé au pouvoir en 2017. La méfiance à l’égard de la majorité s’intensifie de jour en jour. D’autant plus en cette période de crise sanitaire.
Pourtant, ils n’ont jamais été aussi confiants et persuadés que 2022 leur appartient, sans adversaires de taille. La gauche qui continue ses compromis avec le capitalisme avancé, la droite sans chef, l’extrême droite pillée de ses fondements xénophobes par la majorité. Sans concurrents, mais pas sans stratégie. Peu importe la manière de conserver leur part, ils mettront tout en place pour y arriver. Que cela soit avec ou sans des élections présidentielles. L’ambition de LREM résidera dans la mise en échec de la manière dont ils sont arrivés au pouvoir, c’est-à-dire la suspension, temporaire ou non, du processus électoral.
Le contexte de l’établissement d’un tel régime semi-dictatorial ou dictatorial peut être variable : menace terroriste, pleins pouvoirs économiques, freiner le RN [qui semble être leur seul danger], mouvement révolutionnaire, etc. Aujourd’hui, plane une nouvelle menace, qui s’articule autour de la thèse épidémique et écologique qui, nous le voyons, sert le renforcement de l’arsenal répressif et sécuritaire. Ce qui devrait servir de remise en cause tout notre système de production et d’exploitation écologique et terrestre devient finalement le moyen d’intensifier ce modèle. Le mépris avec lequel le gouvernement profite du confinement pour détruire tout un tas d’acquis sociaux ne préfigure que la lente et sûre décision qui se profile. C’est-à-dire un processus dictatorial d’élimination méthodique de tous antagonismes sociaux et politiques. Nos démocraties parlementaires détruisant une partie du droit pour le conserver et l’intensifier, dans une dialectique de suspension et de conservation.
Par ailleurs, cette crise sanitaire nous offre, à petite échelle, un exemple parlant avec les élections municipales. On a pu voir avec quelle simplicité souveraine le second tour des élections a pu être annulé. Tout en rappelant que le premier tour n’aurait jamais dû avoir lieu, si nos gouvernants ne s’étaient pas entêtés à poursuivre leur politique meurtrière. Aujourd’hui, les résultats du premier tour sont incertains et on ne sait pas encore quels sorts leur seront réservés. Un vide existe aujourd’hui concernant ces résultats. L’urgence de la situation fut de suspendre ces élections. Dans le même temps, l’annulation des élections municipales a dévoilé la profonde inutilité de ces dernières et à quel point sa suspension n’a strictement engendré aucune transformation sur nos vies quotidiennes. Que ce n’est pas seulement une question d’élus. En somme, de ne pas être nominaliste, mais bien de saisir le problème systémique de nos sociétés démocratico-capitalistes. Cette crise est aussi le moyen de remarquer le pouvoir accordé aux différents préfets et maires [au niveau « local »] qui sont en lien étroit avec le gouvernement pour renforcer la discipline au sein du corps social.
En bref, nous admettons qu’en 2022, « l’urgence » de la situation peut s’articuler autour de l’annulation déclarée nécessaire et provisoire des présidentielles. L’urgence écologique peut bien être le nouveau moyen qui permet à la majorité de dépasser 2022. Tout comme l’état d’urgence sanitaire actuel renforce le pouvoir administratif et policier. Depuis quelques années en France, les états d’exception/d’urgence s’accumulent et s’inscrivent dans le droit. Leurs déclarations deviennent un modèle de gouvernement classique, une tradition. Jusque-là, les élections présidentielles restent l’un des derniers vestiges de l’idéal démocratique français. Viendra le moment où cette instance de délibération sera suspendue. Nous en apercevons les indices ici et là avec les différentes mesures qui renforcent le pouvoir d’un chef et d’un Parti unique qui exposent leurs désirs croissants d’un régime dictatorial, dont les germes mûrissent depuis de nombreuses années chez nos autoproclamés démocrates.

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En 2017 [et comme tous les 5 ans], on entendait déjà parler du mal qui se profile : l’élection de Marine Le Pen en 2022. Partons d’un présupposé différent, mais pas si éloigné : le mal est là. Il est présent, pas besoin du RN au pouvoir pour que l’extrême droite dirige ce pays. Cessons de repousser l’échéance. En 2022, le mal viendra de l’intérieur, de ce qui est déjà établi, du Parti majoritaire. En France, nous avons cette tradition de traduire les idées racistes, réactionnaires… comme l’unique propriété du Parti se déclarant d’extrême droite. Ce qui révèle le fétiche électoraliste et représentatif qui demeure encore.
Cette habitude permet à une multiplicité d’individus de repousser le problème des idées et des pratiques xénophobes. Tant que le RN n’est pas au pouvoir, pas de réel problème. Au fond, imaginer Le Pen comme une possibilité, c’est parier sur un type de régime qui suspend les partis, réduit l’opposition, bâillonne les contre-discours et promet la présence d’élections présidentielles truquées ou mêmes absentes. Ce que nous voulons dire, c’est que cette potentialité existe avec LREM.
Le processus électoral est une idole. Il est même le moyen pour toute majorité de se justifier et se rendre licite, de se conserver. L’élection continue de légitimer. Pourtant, pendant que le processus électoral subsiste encore, l’autoritarisme se développe et l’État sécuritaire devient la norme qui met en péril les élections.
Cependant, ne sous-estimons pas la malléabilité et la nécessité de ces élections. Elles ne sont pas éternelles et nous savons historiquement que la concentration et la réduction du pouvoir politique à quelques personnes s’organisent sur un temps long. La temporalité politique récente en France nous montre tous les coups qui sont portés aux « acquis » démocratiques.
Si le contexte est défavorable pour Macron, si une menace quelconque existe, les élections sauteront. La conservation de leur place prime sur des pseudos fondements démocratiques, qui par ailleurs s’étiolent continuellement depuis des décennies. Actuellement, l’apparence démocratique nécessite des élections régulières qui feignent la participation du peuple à un processus légitime, qu’il choisirait et validerait. Ce simulacre se métamorphose au moment même où son existence annule la durabilité et l’existence d’un Parti et d’un chef autoritaire au pouvoir. En l’occurrence Macron et LREM. Le report ou l’annulation, sur un « temps court », à plus ou moins grande échéance, seront les arguments de l’établissement d’un tel régime. Ceci est une hypothèse, mais que nous ne pensons pas inutile de mettre en lumière. Cette possibilité lorgne, en creux, au sein de nos démocraties européennes. Qui, un tant soit peu, a eu vent de l’histoire de l’Europe au XXe siècle, se souvient que l’hypothèse destructrice de la dictature n’est jamais à exclure. Qu’elle fait partie intrinsèque de nos régimes démocratiques parlementaires. Il n’y a pas véritablement besoin que la menace vienne de l’extérieur (le RN), mais bien que le développement de l’horreur meurtrière se constitue sur une pure intériorité grâce au processus démocratique et représentatif qui permet à la bête monstrueuse, LREM, de se transformer en Parti unique au sein d’un régime dictatorial.
En 2022, Macron ne se risquera pas au jeu électoral. Un peu partout les démocraties occidentales se renforcent à coup de moyens répressifs et autoritaires. Les Trump, Macron, Bolsonaro, Salvini, etc. n’osent plus cacher leur désir de conserver leur place, coûte que coûte. Le néolibéralisme actuel montre sa profonde intimité avec des régimes étatiques illibéraux. Si bien que le stade suivant nous semble être la suspension des élections présidentielles.
La thèse de la possibilité du fascisme ne se veut pas complotiste. Cela ne réside pas dans un plan machiavélique de nos élites. Cet essai se veut être la suggestion d’une possibilité qui existe et qui se construit maintenant, au vu des récents états d’urgence qui se multiplient et font désormais système. Cela ne réside pas dans un calcul, ils ne prévoient certainement pas cela aujourd’hui, mais nous pensons que la reproduction du néolibéralisme autoritaire et de la guerre sociale peut aussi passer par la suspension d’élections présidentielles.
De plus, le fascisme est aussi un désir qui se construit à l’intérieur des populations. Ne pas saisir le caractère de masse des autoritarismes serait une erreur. La potentialité du fascisme implique forcément son contraire, qui ne pense pas que le fascisme est un mécanisme historique obligatoire, mais qui est le fruit d’une construction particulière, qui peut très bien être déconstruite et annihilée.
De notre côté, nous misons sur un contexte insurrectionnel et social dont l’enjeu est de faire sauter les élections d’aujourd’hui et de demain. Ce qui ne réside pas dans la conservation et le renforcement de l’ordre des choses à coup d’État d’urgence, mais plutôt dans un nous qui se construit dans la destruction pure et simple du régime représentatif actuel. C’est cette menace que nous redoutons, celle d’un régime dictatorial, qui existe par ailleurs déjà en substance aujourd’hui, qui nous fait dire l’urgente nécessité de l’émergence des mondes à venir. Au contraire d’une dialectique de destruction et de conservation, un processus révolutionnaire doit s’articuler autour de sa destruction pure et simple, pour une justice humaine et rédemptrice.

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Ce confinement nous renseigne sur l’idée même de liberté. Un nous continue d’exister et se reconnaît au soin que l’on prend à respecter des mesures de distanciation sociale. Si une quantité non négligeable de personnes meurent aujourd’hui, cela est dû au fait qu’ils ne peuvent quotidiennement garantir une certaine distance humaine et se mettent en danger pour conserver la reproduction sociale et économique. Aujourd’hui, notre liberté ne se mesure pas à une abstraite liberté individuelle où on clamerait la possibilité de faire ce qu’on veut à tout moment. Comme le désirent tous les réactionnaires de droite et de gauche qui accusent la peur qui traverse le monde social et nous empêche de faire ce que l’on veut. Nous reconnaissons la nécessité de prendre soin les uns des autres et d’expérimenter notre liberté en ne mettant pas en danger de mort les gens qui nous entourent. Ce qui ne nous empêche pas de faire la critique du gouvernement et que ce confinement s’articule finalement à l’intensification de l’arsenal répressif et de contrôle. Nous ne sommes pas aujourd’hui ingouvernables en décidant qu’on puisse faire ce que l’on veut en sortant de chez soi. Quelle basse idée de la liberté dans ce cas-là…
Nous n’avons plus le temps de penser de manière uniquement pessimiste. Que la reproduction s’intensifie sans que les individus qui y participent se rendent compte du mal qui persiste est une bêtise. Ces personnes se rendent très bien compte que l’exploitation se renforce et que le gouvernement les laisse mourir chez eux, au travail ou ailleurs et expriment un désir de liberté que l’État ne leur propose pas, qui décide bien plus de mesures liberticides que libertaires. Récemment, nous avons pu voir que des individus bravaient les interdictions de manifestations en se retrouvant dans la rue et que des résistances et des solidarités s’organisent quotidiennement. Le gouvernement n’attend pas la reprise d’un quotidien « normal » pour proposer, exécuter et continuer de détruire nos vies.
Cet essai se veut être un diagnostic de la situation actuelle et donc aussi un éventuel pronostic des années à venir. Que le prétexte de la suspension démocratique ne sera pas seulement un motif et un événement séparé, mais bien inscrit au sein d’un contexte et d’une continuité historique qui nous fait dire que cela est possible. Et que si cela ne se concrétise pas en 2022, nos régimes de gouvernance continueront de contenir cette potentialité désirable en leur sein. Le capitalisme et le marché peuvent très bien se servir et se passer de la démocratie, en suspendant l’un de ses fondements avec des élections régulières.
Ce récit d’anticipation n’est pas réalisé dans une visée défaitiste, comme s’il ne pouvait se réaliser rien d’autre que cette négativité croissante. Freddy Gomez, dans un texte s’intitulant Agamben, de Polichinelle à Matamore, qui est une critique des positions du philosophe italien depuis le début de la crise, relève sa position théorique qui annonce seulement la catastrophe. Le projet d’une élimination méthodique des antagonismes sociaux et politiques n’équivaut pas à son exécution réelle. Freddy Gomez [1] nous rappelle les mots de Guy Debord qui déclarait la nécessité d’être « contre toute “entreprise littéraire” spécialisée dans la “répétition circulaire du blâme généralisé”, en précisant que “le travail de la critique révolutionnaire n’est assurément pas d’amener les gens à croire que la révolution deviendrait impossible.” » Cet essai désignant aussi et surtout l’ouverture qui subsiste et les brèches qui doivent être intensifiées pour que la menace d’une situation dictatoriale ne détruise plus nos vies.

Notes

[1Jean-François Martos, Correspondance avec Guy Debord, Le fin mot de l’Histoire, 1998 in Freddy Gomez, Agamben, de Polichinelle à Matamore, A contretemps.

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