Eclairages sur les lois de la loi

Dans un contexte de grande tension sociale, une commission d’enquête parlementaire présidée par Muriel Ressiguier (députée France insoumise) demande l’exacerbation de la terreur institutionnelle à l’encontre des « groupuscules d’ultragauche » non respectueux de la loi. La section francilienne de l’Anarchist Black Cross (ABC-IDF) fait de ce rapport parlementaire l’occasion d’un texte exposant les causes de notre détermination à combattre la loi et ses partisan·e·s, envers et contre tout.

Sommaire

1. L’idéologie de la loi : « l’Homme est un loup pour l’Homme »
2. Surreprésentation des groupes dominés dans les prisons
2.1. Modèles théoriques de la loi
2.2. La loi et l’exercice de la terreur
3. Les lois de la loi
4. Conclusion
5. Bibliographie

1. L’idéologie de la loi : « l’Homme est un loup pour l’Homme »

La moralité humaine s’articule autour d’un certain nombre de concepts (par exemple l’équité) et motive la mise en place de normes sociales définissant la manière dont les personnes doivent interagir (Haidt & Joseph, 2007). Notre rapport à la loi peut fortement varier selon notre réponse à la question suivante : la moralité est-elle un trait évolutif (un trait profondément ancré dans la biologie et la psychologie des primates) ou une construction culturelle (un trait récent propre à l’humain) ?

Les partisan·e·s de la loi adhèrent à un courant de pensée très influent voulant que la moralité soit une victoire culturelle récente sur les processus évolutifs, un vernis fragile apposé sur des passions humaines antisociales, amorales et destructrices (Ghiselin, 1974 ; Huxley, 1894 ; Wright, 1994). L’une des expressions de ce courant est la théorie du contrat social (Hobbes, 1651). Désigné comme fondamentalement malveillant et égoïste, l’humain devrait se voir imposer par le haut et par la force un cadre moral contraignant : la loi des institutions (cf. figure 1).

Figure 1. Représentation de la moralité à laquelle les partisan·e·s de la loi adhèrent. La moralité serait une addition artificielle tardive à une nature humaine malveillante et égoïste. De par sa nature, l’humain serait fondamentalement orienté vers la compétition et non la coopération. Le primatologue Frans de Waal nomme cette représentation de la nature humaine « Théorie du vernis ». Source : de Waal (2003).

Cependant, l’état actuel des connaissances permet d’affirmer que la moralité est un trait évolutif partagé par les primates (et d’autres animaux sociaux ; de Waal, 2003 ; de Waal & Preston, 2017 ; Høgh-Olesen, 2010 ; Preston & de Waal, 2002). Cette affirmation était déjà présente dans les écrits de l’évolutionniste russe et théoricien anarchiste Pierre Kropotkine (1889, 1902). La capacité à faire l’expérience et comprendre les émotions d’autrui (empathie) constitue une base biologique aux sentiments prosociaux (par exemple la sympathie pour les personnes en détresse), au raisonnement moral orienté vers le bien-être d’autrui, et au comportement prosocial (aide, partage, réconfort ; Decety & Svetlova, 2012). La mentalisation (capacité à attribuer à autrui des états internes tels que des intentions, désirs, émotions ou croyances) constitue une base biologique à la coopération et la coordination au sein des groupes (Shultz & Dunbard, 2007). De nombreuses données soutiennent ces affirmations :

  • La compromission des capacités d’empathie et/ou de mentalisation (par exemple suite à une lésion cérébrale) provoque une large gamme de déficits socioémotionnels (Koenigs et al., 2007 ; Moll, Zahn, de Oliveira-Souza, Krueger, & Grafman, 2005 ; Shamay-Tsoory et al., 2004, 2010 ; Young et al., 2010).
  • La primatologie a mis en évidence une continuité entre humain et primates non humains dans de nombreux domaines pertinents pour la morale : empathie, mentalisation et altruisme (Warneken & Tomasello, 2006), consolation et réconciliation (Aureli & de Waal, 2000), réciprocité et gratitude (Bonnie & de Waal, 2004), aversion pour l’inéquité (Brosnan & de Waal, 2003), conscience de soi (Gallup, 1982), coopération, apprentissage, normes sociales et culture (Sapolsky, 2006).

Ainsi, la loi des institutions n’entretient aucun rapport avec notre capacité à interagir de manière prosociale (avec le souci du respect de la dignité et de l’intégrité d’autrui), à vivre en groupe, à coopérer et se coordonner au sein des groupes. Alors qu’elle est la fonction de la loi des institutions ?

2. Surreprésentation des groupes dominés dans les prisons

Un fait universel que l’on retrouve tant à l’époque ancienne que moderne et contemporaine est le taux supérieur de répression judiciaire à l’encontre des groupes dominés : ces derniers sont surreprésentés dans les lieux de privation de liberté et d’exécution, les groupes dominants y sont sous-représentés. On peut citer de nombreux exemples : Maoris en Nouvelle-Zélande, Aborigènes en Australie, Américains natifs aux USA, Arabes en Israël, Tutsi au Rwanda et au Zaïre, migrants dans de nombreux pays européens, etc. Dans certains cas, on peut parler d’une extrême surreprésentation des groupes dominés comme cibles de l’institution judiciaire. En Australie, par exemple, les Natifs (aborigènes et indigènes du détroit de Torrès) représentent 28% de la population carcérale alors qu’ils ne représentent que 2% de la population générale. La situation est encore plus dramatique pour les jeunes : les mineurs Natifs représentent 54% des jeunes en détention alors qu’ils ne représentent que 7% de la population jeune. Le taux d’emprisonnement des Aborigènes est 15 fois supérieur à celui des non-Aborigènes. 45% des jeunes hommes aborigènes (20/30 ans) ont été arrêtés au moins une fois dans leur vie.

Une question s’impose alors : pourquoi une telle disproportion dans la répression judiciaire en faveur des groupes dominants ? La réponse peut varier selon le modèle théorique de la loi que l’on adopte : (1) modèle du consensus (Durkheim, 1933 ; Parsons, 1951, 1962 ; Pound, 1943, 1959), (2) modèle pluralistique (Sellin, 1938 ; Turk, 1969 ; Vold, 1958, 1979 ; Weber, 1922), (3) modèle du conflit (Sidanius & Pratto, 1999).

Note

Le rapport de la commission d’enquête parlementaire présidée par Muriel Ressiguier est à lire sur le site de l’Assemblée nationale ; une analyse par Rebellyon est à lire ici.

Mots-clefs : justice | police | prison

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