Drames d’Usine - Le Père Peinard.

Guerre de classes et sexisme, harcèlement sexuel et ripostes féministes : à plus d’un siècle d’intervalle, on peut toujours suivre l’exemple de cette « bougresse » qui épate le Père Peinard...

« Qui sème le vent récolte la tempête ! »
C’est ce dont les exploiteurs ne se rendent pas assez compte, sans quoi ils fileraient plus doux et seraient plus mielleux avec les pauvres bougres qu’ils ont sous leur coupe.

Les jean-foutre tablent trop sur la bonhomie du populo qui est tout plein incommensurable ; y a derrière nous une telle kyrielle de siècles d’exploitation que le pli semble définitif et que les richards ne peuvent pas se faire à l’idée que le populo puisse rêver être autre chose qu’un troupeau de ruminants sans volonté.

Les types ont tort !
Si bonnes poires que soient les turbineurs, un jour vient où la dose d’avanies, de rosseries et de misères que les capitalos et leurs larbins leur font endurer est trop considérable.

Alors le jus de chique qui circule dans les veines des peinards se fout à bouillonner ferme et vire vivement en sang rouge de révolté.
Pour lors, gare la casse !
À la moindre provocation, le ressort se détend et le prolo fonce, kif-kif un taureau furieux, sur l’ennemi qui l’a asticoté.

C’est arrivé – au moins deux fois – pas plus tard que la semaine dernière ; primo à Puteaux, deuxièmo, en Belgique.

À Puteaux, c’est une gironde ouvrière d’une fabrique de caoutchouc du quai National qui a foutu à bout portant trois balles dans la sale carcasse d’un contre-coup.
Puis, croyant l’avoir escoffié, la pauvrette a tourné son rigolo contre son cœur et a fait feu ; heureusement un bouton de corsage a fait cuirasse et la pauvrette ne s’est qu’éraflée.
Quant au sac à mistoufles, sur les trois balles, une seule l’a mouché dans le dos et il en réchappera.

Les raisons de ce drame ?
Oh, c’est pas compliqué ; le contre-vache ayant trouvé l’ouvrière à son goût lui fit du plat ; mais la gosse ne voulut rien savoir et envoya paître le birbe.
Alors, le salaud ne tourna pas autour du pot ; il expliqua à la pauvrette que, kif-kif Mac Mahon, elle devait « se soumettre ou se démettre », accepter ses caresses ou être saquée.

Devant la perspective de la misère, la malheureuse ne résista pas : elle se livra aux bécottages du salopiaud !

Et une fois de plus, le droit de cuissage, cette infection de l’ancien régime, que les marchands de mensonges nous disent enseveli sous les ruines de la Bastille, fut pratiqué carrément par le porc du quai National.

Turellement, quand il eut soupé de la petiote, il l’envoya à l’ours.
Mais la pauvrette ne l’avait pas compris ainsi ! S’étant donnée, elle n’accepta pas d’être plaquée…, et elle s’arma d’un revolver !

Les copains savent le reste….
Et foutre, m’est avis que ce dénouement tragique va fiche la puce à l’oreille de tous les dégoûtants qui pratiquent le droit de cuissage.
[…]

Que tout ça est affreux !
Il serait bougrement de saison que vienne la fin de ces horreurs.
Or, pour ça, que faudrait-il ?
C’est que nul n’ait la puissance, en vertu de son pognon ou de son autorité, de disposer du pauvre monde.

Le jour où les usines accaparées par les capitalos, ce qui fait que les prolos sont menés à la trique et, pressurés jusqu’à la gauche, [….] y aura plus d’anicroche ; on vivotera sur un pied d’égalité, - et conséquemment en pleine liberté, car la liberté et l’égalité ne sont que les deux faces d’une seule et même chose.

Et alors, c’en sera fini des drames de sang et de deuil !

On ne verra plus de singes, comme le Sire Jacob, fusiller ses ouvriers - pour la simple raison que les singes ont disparu de la circulation. Et le contraire aussi sera inconnu : des prolos, tels des taureaux furibonds, affolés par l’exploitation et le mistoufle et fonçant sur les capitalos.

De même, on ne verra plus de porcs ; kif-kif le contre-coup de Puteaux, pratiquer le féodal droit de cuissage ; les copines, émancipées du mâle, n’auront plus à se venger d’avoir été violées d’abord et plaquées ensuite ; l’intérêt ne décidera plus de leur cœur et l’amour soufflera où il voudra.

Et donc, on vivra les coudées franches, sans haine et sans gêne !

Et j’ajoute que si, aujourd’hui les jean-fesse de la haute n’étaient pas tourneboulés par leur situation, l’appât du gain et une jalousie imbécile, ils se rendraient compte que, dans la garce de société actuelle, eux-mêmes n’y vivraient pas en joie et en tranquillité ; ils comprendraient qu’ils ont autant de profit à tirer que le populo d’un alignement social où le bien-être sera général.
Et foutre, au lieu d’être les acharnés défenseurs de la sale bicoque sociale, ils aideraient à son chambardement.

Note

Le Père Peinard est un journal hebdomadaire révolutionnaire, anti-militariste et anticlérical, publié à partir de 1889.

Il met en scène le fils illégitime du Père Duchesne (hebdomadaire satirique de la Révolution française) un personnage du peuple, qui parle (écrit) l’argot, encourage les révolutionnaires, les ouvrier-e-s et crache le plus possible sur l’ État et les patrons et toutes autres formes de domination.

Son prix abordable (2 sous) et l’Almanach du Père Peinard, calendrier de vulgarisation humoristique, lui permettent de connaître un grand succès.

Arrivent les « lois scélérates » qui interdisent toute publication anarchiste en 1893 (à l’époque, les « marmites » et autres bombes artisanales fumaient de partout). Après plusieurs résurrections londoniennes, Le Père Peinard succombera à ces interdictions.

Emile Pouget, son fondateur et principal rédacteur, est aussi une des figures importantes de la CGT de l’époque (dite de la Charte d’Amiens : c’est-à-dire syndicaliste révolutionnaire). Défenseur fervent de la grève générale et de l’action directe, il est un des premiers à organiser les « sans travail » et à décrire leur rôle dans l’organisation capitaliste.

Beaucoup de ses textes sont en ligne, par exemple celui-ci : http://kropot.free.fr/Pouget-jabotage.htm. ou celui-là : http://kropot.free.fr/Pouget-journaleux.htm

Localisation : Puteaux

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