Discussion sur « La révolution fut une belle aventure »

Présentation et discussion autour de « La révolution fut une belle
aventure » de P. Mattick (éd. L’échappée, 2013) avec Charles Reeves et
Laure Batier mercredi 4 juin à 19h30 au café librairie Michèle Firk à Montreuil.

En 1972, P. Mattick, théoricien du communisme de conseil, donne plusieurs
entretiens au cours desquels il fait le récit de sa jeunesse, depuis sa
participation à l’agitation révolutionnaire dans l’Allemagne de la fin de
la Première guerre mondiale jusqu’à son engagement dans le mouvement des
chômeurs américains après le crash de 1929.

Lui, qui restera jusqu’à sa mort « sans place », se raconte comme un ouvrier autodidacte, pris comme des millions d’autres dans les aléas d’un système économique contradictoire et dans l’ordinaire du conflit de classe, comme un prolétaire peut-être un peu têtu que les autres qui « fera de la théorie » autant pour être fidèle à Marx que pour s’en prendre aux intellectuels professionnels qui, d’une
manière ou d’une autre promeuvent un capitalisme d’État.

La manière dont il évoque son parcours, singulièrement scindé, coupé en deux entre une période d’agitation et une période presqu’entièrement consacrée à l’écriture (et à
son boulot de tous les jours) nous offre aussi l’occasion de penser ce que veut dire viser la révolution sociale le temps d’une vie, quand le temps s’arrête ou s’accélère, démesurément.

Il l’expose au détour d’une page, quand le pontifiant intervieweur lui demande le « but » de son travail récent. « Toujours le même, répond Paul Mattick, alors septuagénaire : m’opposer à la théorie bolchévique, au capitalisme d’État, que tous soutiennent sans exception, que ce soit sous une forme ou sous une autre, et lutter contre le développement du capitalisme moderne. » [1]

Cette période révolutionnaire allemande prend définitivement fin au milieu des années 1920. Peu ou prou le moment où Paul Mattick décide d’émigrer pour les États-Unis : en 1926, il s’installe à Chicago. Et à partir de 1931, alors que la Grande dépression frappe le pays, il s’investit largement dans les assemblées de chômeurs....

Charles : « À l’époque, les aides sociales sont inexistantes, tout juste existe-t-il des soupes populaires aux très longues files d’attente. S’ils ne veulent pas mourir de faim, les gens sont obligés de prendre leur vie en charge. Ce mouvement s’amorce avec la création d’assemblées de chômeurs, surtout dans les grandes villes, de New York à San Francisco. Puis des comités et conseils de chômeurs voient le jour, se structurant dans un réseau national. [2]

File d’attente pour la soupe populaire à New York en 1932.


Ci-dessous des extraits du livre repris de Contretemps :

« J’ai connu dans les IWW beaucoup de gens merveilleux et je m’y sentais à l’aise. Bien qu’étant en Amérique, j’avais l’impression de me trouver à nouveau dans l’AAU et le KAPD. Les wobblies étaient vraiment des gens épatants, notamment du fait de leurs origines diverses. Il y avait parmi eux des Suédois, des Danois, des Hongrois… ainsi que des Américains. C’était un monde bigarré, sans mandarins ni bureaucrates. Tout se faisait au jour le jour et la vie y était vraiment agréable. Toutefois, même si nous voulions intervenir socialement, nous ne savions pas toujours comment nous y prendre…

Et puis la grande crise de 1929 est survenue. Ses effets se sont surtout fait sentir à partir de 1930-1931. Des assemblées de chômeurs ont commencé à se constituer, la plupart spontanément, parce qu’ils ne recevaient aucune allocation de soutien. C’est pour cette raison que les chômeurs se rassemblaient chaque jour devant les bureaux d’aide sociale qui n’avaient rien prévu pour eux, contrairement aux miséreux, aux veuves, aux orphelins, etc. C’était une occasion formidable pour nous d’amorcer la discussion. Les chômeurs débattaient aussi fermement entre eux de la marche à suivre. Et certains étaient tellement en colère qu’ils mettaient à sac les bureaux d’aide sociale, tout simplement parce qu’on ne leur donnait rien !

Les membres d’United Workers Party, dont je faisais partie, ont alors proposé d’élire des délégués dans tous les bureaux d’aide sociale afin de constituer un comité à Chicago. L’objectif était de contraindre la ville à prendre en charge les chômeurs. Pour cela, nous menions des actions communes. Malgré notre nombre restreint, les autres organisations, notamment trotskistes, travaillaient étroitement avec nous sur cette question. Il y avait aussi les partisans de Lovestone ainsi que plusieurs membres du parti communiste, du Proletarian Party, etc. Nous étions parvenus à une sorte de compromis sur le problème des chômeurs, dans lequel nous mettions de côté la politique partisane. Le mouvement n’était donc pas complètement spontané, même si les émeutiers, ceux qui attaquaient les bureaux d’aide sociale et qui affrontaient la police à coups de fusil, le faisaient en toute autonomie.

La formation d’une organisation de chômeurs était en grande partie due à notre proposition de regrouper les ouvriers sans travail dans une structure commune dont le nom était Workers’Alliance. Par son biais, nous avons publié des petits journaux, des tracts, etc.

La période que nous traversions était assez particulière, pas seulement à Chicago, mais dans bien d’autres endroits. Beaucoup de commerçants avaient fait faillite et mis la clé sous la porte. Nous avons pu occuper leurs locaux vides sans trop de difficultés. Après avoir fait sauter les serrures, nous utilisions ces lieux comme salles de réunions. Ensuite, nous y transportions les sièges volés dans les salles de cinéma, qui avaient aussi fait faillite, afin d’organiser conférences et débats. Rien qu’à Chicago, il y avait environ 50 à 60 locaux de ce type qui restaient ouverts jour et nuit pour les chômeurs. Quand ils n’avaient nulle part où dormir, ils pouvaient venir y passer la nuit. Il y avait toujours plein de monde, de sorte que l’organisation des chômeurs était en perpétuelle ébullition.

Peu de temps après, nous avons « récupéré » des machines à imprimer que nous avons distribuées dans les boutiques occupées. Les camarades volaient du papier, du moins ceux qui avaient encore du travail ou qui avaient des liens avec des gens dans les bureaux. Pour avoir de l’électricité, il nous suffisait de faire des branchements sauvages sur les réverbères. Nous shuntions aussi les gazomètres pour avoir directement accès au gaz. C’étaient les plombiers au chômage qui s’occupaient de ces tâches plus qualifiées. En plus de la lumière électrique, nous avions ainsi suffisamment de gaz pour cuisiner et nous chauffer, tout cela sans payer.

Les chômeurs et leurs familles parcouraient la ville pour essayer d’obtenir des vivres. Beaucoup d’entre eux crevaient de faim, en particulier les hobos qui n’avaient pas de famille et quasiment aucune attache. Nous allions régulièrement chez les boulangers et les bouchers pour exiger qu’ils nous donnent de quoi nous nourrir. Intimidés, ils nous apportaient de grands sacs pleins de nourriture. Dans les locaux, nous avions mis en place des cantines où l’on cuisinait jour et nuit pour que les chômeurs aient de quoi manger.

Un jour, nous avons distribué un tract d’appel à manifester dans le quartier des affaires de Chicago, surnommé le Loop. À notre grand étonnement, un million de personnes environ sont descendues dans la rue.5 Il y avait une foule absolument gigantesque. La police elle-même n’était pas préparée à cela. Elle avait placé le long des rues un policier tous les vingt pas, mais en cinq minutes ils ont été entourés par les manifestants, de sorte qu’ils n’ont pas pu dégainer leurs revolvers. Ils étaient serrés comme des sardines. Isolés au milieu de la foule, les policiers ont affiché des regards amicaux et n’ont absolument rien tenté bien que des tramways étaient renversés, des voitures incendiées… Ils étaient complètement débordés. »

D’autres extraits du livre sont à lire sur palimpsao.

Note

Le café librairie Michèle Firk est ouvert du mercredi au samedi de 15h à 20h.

Il est situé au 9 rue François Debergue à Montreuil
C’est tout près de la station de métro Croix-de-Chavaux sur la ligne 9.

C’est dans une petite rue adjacente à la rue piétonne (rue du capitaine
Dreyfus) et c’est collé à la Parole Errante. De la place Croix-de-Chavaux
(vaste carrefour pour voitures, pas les halles du marché), prendre la rue
piétonne en direction de la mairie (bar La folle blanche sur la droite, Quick
sur la gauche) et c’est la première rue à droite (à l’angle il y a une
boutique sur les prothèses auditives et un resto chinois).

Localisation : Montreuil