Critique de la critique d’ATR

Ceci n’est pas un droit de réponse. Juste une critique de quelques angles morts dommageables des arguments opposés à ATR.

Contexte

Le jeudi 28 août, une assemblée générale pour le 10 septembre s’est tenue au Parc de la Villette à l’appel du réseaux « Indignons-nous » et de ces différents canaux en région Ile-de-France. D’abord réunie en plénière, cette assemblée s’est ensuite divisée en groupes par secteurs. Là, dans le cadre de la « pétale » Paris Nord-Paris Est, une altercation a éclaté entre militants gauchistes et militants antitech d’Anti-Tech Resistance, les premiers ayant reconnu les seconds et ayant souhaité dévoilé leurs positions problématiques. Un article a d’ailleurs été publié à ce sujet :

Dimanche 31 août, un tract a été distribué au début de l’assemblée générale Paris Nord-Paris Est qui se tenait sur la Place des Fêtes afin de clarifier les positions reprochées à Anti-Tech Resistance. Après le raté du 28 août, on ne peut que saluer cette initiative, qui visait à aborder plus sereinement la chose, loin des méthodes confuses et confusantes de la première tentative - jouer aux « antifas » en menaçant de sortir par la force ATR sans le faire, annoncer quitter l’AG puis revenir, annoncer quitter l’AG une seconde fois puis rester pour la parasiter.

Prétexte

Maintenant que le cadre a été posé, les lignes qui suivent visent à répondre à certains arguments du tract distribué le 31 août, qui nous semblent contre-productifs voire contre-révolutionnaires à leur tour. Précisons d’emblée que nous n’avons rien à voir avec les fous de la charrette qui mettent un point d’honneur à parler de débrancher les malades et réduire la population mondiale. Ces gens-là suscitent chez nous autant d’intérêt politique que ceux qui citent Otto Strasser et qui, pour justifier leur populisme petit-bourgeois, s’emploient à diffuser la représentation d’un prolétariat non-blanc barbare et réactionnaire. Ce qui nous intéresse ici, c’est de saisir l’occasion offerte par le tract anti-ATR pour aiguiser notre critique du capitalisme, et nous distinguer de la rhétorique habituelle de cette gauche récupératrice prête à bondir sur le mouvement du 10 septembre pour lui imposer ses mots d’ordre dépassés et ses formules périmées.

I. Sur la récupération

Le premier argument du tract s’offusque qu’ATR cherche à « recruter des membres » et se faire connaître « en coopérant avec d’autres mouvements ». La critique devrait être élargie à tous les militants qui prennent (et parfois monopolisent) la parole en omettant de préciser leur appartenance politique, ainsi qu’aux organisations multipliant les sous-groupes pour donner l’impression d’une pluralité des interventions tout en phagocytant les tours de parole. Exigeons la transparence, et confrontons les menteurs par omission, afin d’éviter toute infiltration et toute récupération du mouvement. Et comme charité bien ordonnée commence toujours par soi-même, cessons de nous cacher derrière l’anonymat groupusculaire gauchiste pour faire la leçon aux autres sans se l’appliquer à soi-même.

II. Contre la révolution politique

Le deuxième argument du tract fustige l’hostilité d’ATR à l’égard de la « révolution politique ». Il s’appuie sur une citation qui ne dit rien en elle-même et qui pourrait parfaitement avoir été plagiée à Malatesta, Kropotkine ou aux adeptes de la « révolution sociale » : « ‍Nous ne voulons pas d’une énième révolution politique qui renversera les gouvernements existants et échouera comme les précédentes dans l’amélioration de la condition humaine. » Dans la suite du passage, ATR dénonce la politique comme une « mascarade » et une « diversion », et présente la gauche et la droite comme les deux faces d’une même médaille. Rien d’extraordinaire, mais sans doute déjà un point de départ plus intéressant pour la critique d’ATR, dont les formules radicales de principe sont apparemment loin de la réalité concrète de l’organisation. D’ailleurs, dans le même passage, ATR critique l’idée de neutralité de la science et de la technique : en quoi cette critique de la neutralité diffère-t-elle de celle décoloniale de la science et de la médecine (par exemple) ? Et en quoi constitue-t-elle un piège, voire un danger dans les propositions qu’elle motive chez ATR ?

III. Un peu de Sun Tzu et pas mal de mauvaise foi

Le troisième argument du tract est un peu ridicule. On commence par dire qu’ATR condamne l’organisation horizontale des gilets jaunes, citation à l’appui. Mais la citation n’a rien de révoltant et traduit simplement une certaine conception de l’histoire qui a pignon sur rue et à laquelle la gauche n’est pas étrangère (elle qui s’en réfère au peuple mais qui accepte le principe de représentativité et qui construit sa stratégie politique autour du charisme d’un chef). Alors, on la complète par une autre citation, plus directe et moins défendable : « Ce sont moins les opprimés et les dépossédés qui remodèlent la vie politique que les activistes et les leaders charismatiques qui s’accrochent à de nouvelles idées puissantes et construisent de nouvelles coalitions. » Le problème, c’est qu’on oublie de préciser que ces propos ne sont pas ceux d’ATR, mais d’un article du magazine Foreign Affair cité par ATR. Le procédé est louche, presque de mauvaise foi, et dessert le propos général. On aurait en réalité pu se contenter de se foutre du ton grandiloquent et des références à Sun Tzu qu’ATR mobilise pour mettre des paillettes sur sa procédure sélective de recrutement on ne peut moins originale (syndrome du personnage principal).

IV.(a) Répartir quelles richesses ?

Le quatrième argument est celui qui nous fait le plus grincer des dents. Il s’appuie sur des extraits pris dans la continuité de l’extrait cité au premier point (contre la révolution politique). Voilà ce que dit ATR : « Il est courant d’entendre, particulièrement à gauche, que la catastrophe écologique découle des inégalités sociales béantes. Il suffirait alors d’une meilleure répartition de la richesse, et comme par enchantement tout rentrerait dans l’ordre sur le plan climatique et écologique. C’est une vision hors-sol déconnectée de la réalité. Si cette richesse a été créée en dévastant des écosystèmes, mieux la répartir ne changera fondamentalement rien au carnage écologique. » Le début est caricatural, mais la conclusion est juste. Le masque de la radicalité laisse apparaître la bouillie contrariée du gauchiste incapable de se défaire des slogans d’ATTAC et de LFI. Les positions d’ATR sur la médecine en deviendraient presque plus intéressantes que cette défense inconditionnelle et irréfléchie du laïus sur la répartition des richesses. Blague à part, il existe une critique intéressante de la transition écologique comme ligne de fuite du capitalisme tardif qui, après avoir vendu des voitures à essence à l’humanité, veut désormais le convaincre qu’elle sauvera la planète en modifiant sa consommation et en optant pour une voiture électrique. Ou encore de la dimension néocoloniale latente de la planification écologique prônée par une partie de la gauche dans le rôle et la représentation qu’elle impose aux territoires ultramarins et aux futurs alliés dans les pays émergents.

IV.(b) Débat piégé

Le tract déforme ensuite les propos d’ATR pour évoquer son opposition à la « lutte des classes », notion qui n’apparaît pas une seule fois dans l’article cité. Voici l’extrait exact : « ATR ne milite pas non plus pour des causes progressistes (féminisme, antiracisme, luttes LGBT, animalisme, écologisme, etc.). Naturellement, cela n’empêche pas une femme de couleur de devenir cadre dans notre organisation et d’avoir des hommes sous sa direction. Les luttes progressistes sont certes louables, mais à l’heure où la vie sur Terre est menacée, il faut apprendre à prioriser nos objectifs (a fortiori dans une lutte asymétrique où le camp des opprimés a des ressources limitées). » Voilà qui ressemble au discours « class-first », ou à une manière d’euphémiser des positions moins bienveillantes à l’égard des luttes citées. Ce qu’ATR semble réitérer en fin d’article : « Ajoutons encore que nous ne voulons pas dans nos rangs des personnes soutenant des thèses xénophobes et/ou racistes fumeuses selon lesquelles les asiatiques, les juifs, les pauvres, les immigrés, les noirs ou les arabes seraient à l’origine des problèmes de notre époque. » Certaines catégories minorées manquent. Faites-le remarquer, et vous passerez pour un gauchiste de service qui a un tract à la place du cerveau. Plutôt, nous aurions besoin d’extraits non tronqués pour dévoiler l’ambivalence et le double discours d’ATR, décrédibiliser ses militants qui se présentent comme parfaitement irréprochables et les empêcher de phagocyter les cadres de mobilisation et d’organisation (comme ils l’ont visiblement déjà fait ailleurs).

IV.(c) But contre son camp

Le quatrième argument s’achève sur un dernier extrait expliquant que « les luttes sociales accentuent la résilience du système technologique ». Comment ? C’est dans la suite de la phrase : « en canalisant la frustration immense qui découle d’une vie indigne et de l’impuissance généralisée imposées par le système technologique ». Une jolie formule, qu’ATR rattache à la figure du « mathématicien Theodore Kaczynski ». Plus c’est gros, plus ça passe : le tract passe totalement à côté et n’en dit pas un mot. Au lieu de ça, il prend le contrepied de l’argument d’ATR (qui n’est en réalité pas original) et révèle une conception moraliste et simpliste de l’histoire. Rejeter en bloc l’idée selon laquelle les luttes sociales ont participé à la modernisation du système d’exploitation et de domination, c’est par exemple occulter la manière dont les luttes du mouvement ouvrier ont été absorbées par le capitalisme et ont servi à sa modernisation ; et c’est passer à côté du fait que nombre de luttes culturelles et de luttes des minorités ont été neutralisées et intégrées par la logique de la représentativité. Les mouvements qui luttent pour rompre avec le système d’exploitation et de domination, ceux-là luttent en même temps contre leurs propres tendances à l’intégration (opportunisme, liquidationnisme, réformisme). Et ces tendances reposent sur une conception (occidentale) de l’histoire, du temps linéaire et du progrès.

V. Sur le système technologique

La mouvance anti-tech est convaincue que l’ennemi civilisationnel réside dans le système technologique. Nous ne souscrivons pas à cette analyse car nous ne pensons pas qu’il existe un tel système séparé de l’humanité, qui se serait imposé à elle dans une phase précise de son histoire. Pour inventer la roue, il fallait bien des routes, des forêts, des bûcherons, des ateliers, des mathématiciens, des géographes, des administrateurs, des patrouilles armées, des accords commerciaux, etc. Ce qui nous choque aujourd’hui, c’est le degré de spécialisation et de concentration de la technique, qui nous semble à la fois intenable sur le long terme et impossible à étendre à l’ensemble de l’humanité. De plus, nous sommes conscients de l’inégalité dans l’accès à ses « bienfaits » y compris dans les pays dits « développés », où la guerre entre les pauvres et les riches n’a jamais pris fin. Nous n’avons pas de réponse au problème. Ce qui ne veut pas dire que nous acceptons de nous farcir les arguments néo-malthusiens d’ATR. Ou que nous pensions qu’il faille en revenir au stade de développement technique de tel ou tel char antique ou moderne pour assurer la pérennité de l’humanité dans la sainte nature.

VI. Que faire des anti-tech ?

Nous pensons que la question centrale de l’organisation de la vie dans tous ses aspects (y compris le travail et la santé qui sont à nos yeux inséparables) apportera des réponses aux angoisses qui donnent une raison d’exister au mouvement anti-tech. C’est pourquoi il est indispensable de lutter pour construire des mouvements puissants, et de pousser pour la constitution de cadres de démocratie directe capables de faire émerger une force à la fois politique (qui se représente le monde qu’elle veut construire), sociale (qui expérimente de nouveaux rapports sociaux entre les individus et groupes au-delà des rôles et des assignations du système actuel) et économique (qui fonde de nouveaux modes d’association, de production et d’échange). En attendant, prions pour que les militants d’ATR n’aient pas besoin d’un IRM ou d’une dialyse.

Note

Des gens sans importance

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