Contre le racisme, contre l’État, sa police et sa justice

C’est dans les manifestations du refus commun du capitalisme et des rapports sociaux qu’il produit, que peuvent s’ouvrir des perspectives révolutionnaires

En banlieue parisienne comme ailleurs, partout où les sursauts potentiels de ceux que l’État identifie comme les « classes dangereuses » pourraient le menacer, la police contrôle, interpelle, frappe, harcèle généreusement, insulte, blesse, traque, mais aussi torture – et pour ce qui est du cas récemment médiatisé d’Aulnay c’est bien de viol utilisé comme acte de torture qu’il s’agit – et tue parfois.

Tous les jours elle contribue à la bonne gestion de ceux qui doivent rester de la chair à usine moderne, pôle emploi, interim, auto-entreprenariat, boulots non déclarés pour ne pas perdre les minimas sociaux… Alors que le capitalisme ne promet plus rien d’autre que sa propre perpétuation, face à la loi du profit, cette petite guerre de tous contre tous, même les entrepreneurs politiques dont c’est pourtant le fond de commerce ont de plus en plus de mal à refourguer l’horizon d’une minable réussite intégrée dans un « bien-être » que le capitalisme de l’austérité n’ose même plus sérieusement promettre.

En banlieue parisienne comme ailleurs, aujourd’hui comme en 2005 ou dans les années 80, c’est le désordre de la rue, l’émergence incontrôlable de l’émeute qui y répond assurément de la manière la plus intéressante et opérante, faisant ressurgir, en force, au coeur de ces années d’hiver, du possible à potentialité subversive. Théo, Adama, Rémi, Joachim, Zied et Bouna, et bien d’autres, tous les harcelés des rues et des manifs, tous les contrôlés, interpellés, fichés d’hier et d’aujourd’hui, nous tous, en somme, avons en commun d’être soumis à une gestion qui se préoccupe sérieusement d’enrayer toute possibilité de subversion.

Le tract reproduit au bas de cette page a été distribué en 1984 lors de manifestations à Montrouge à la suite de l’assassinat par la police (à Paris dans la nuit du 6 au 7 mai 1984) d’un habitant de Montrouge de 23 ans, Zouaoui Benelmabrouck. Trente ans plus tard, il garde toute sa force et sa lucidité, portant un coup salutaire contre les politiciens d’aujourd’hui qui tentent d’occulter quelques simples vérités sur les pratiques de la police ; contre ceux qui endossent les mêmes fonctions que SOS Racisme à l’époque, que ce soit avec les vieilles techniques pacificatrices d’antan ou en cherchant à les ensevelir sous leur gimmick racialiste new age importé de la plus mauvaise sociologie américaine.

Ce tract nous rappelle également ces années pas si lointaines où pour les révolutionnaires, attachés à combattre le racisme, le courant politique focalisant sa lecture sur l’antiracisme était perçu comme à critiquer et comme un vecteur de dépolitisation, parfois même étatique et en tout cas moral, des enjeux de conflictualités de classe. Que l’antiracisme comme prisme de lecture générale cherche à se vendre aujourd’hui comme « politique » quand il est racialiste ne fait qu’aggraver son cas.

Ce texte résonne encore et d’une manière particulièrement pertinente : « jeunes français ou immigrés, est-ce qu’une balle de 357 fait la différence, de Gennevilliers à Montrouge, des H.L.M. pourris aux cités de transit, tous dans la merde. » Il pose quelques questions simples : « devant la caisse du supermarché, quelle différence y a-t-il quand on n’a pas un rond ? » Il met en avant quelques évidences contradictoires avec les bancales constructions actuelles « comme si on traitait de la même façon un beur bourge qu’un beur prol, comme si un bourge français et un prolo français avaient les mêmes droits ». Nous continuons en effet à considérer, comme ce texte, que le régime gestionnaire – policier, judiciaire, social – auquel sont soumises les populations non-riches immigrées ou issues de l’immigration s’exerce, en son fondement et très précisément, dans le rapport social qui les intègre comme prolétaires. Autrement dit, le harcèlement raciste dont ces prolétaires peuvent être l’objet et le traitement judiciaire qui l’accompagne viennent s’imbriquer avec leur exploitation et la renforcer. Le capitalisme possède cette qualité historique intrinsèque d’intégrer dans sa reproduction les modes de séparation et de stigmatisation qui lui préexistent – dont le racisme offre la meilleure illustration – et de les reformater selon ses besoins, à partir du moment où la preuve de leur efficacité a été faite.

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