Construisons nos récits

Quelques réflexions sur la propagande

Chaque révolution, révolte, mouvement social, est une explosion de parole. La multitude des révoltés confrontés à des problèmes communs et se heurtant aux discours des chefs s’approprie les mots qui lui sont d’ordinaire confisqués.

Le mouvement contre la loi travail n’échappe pas à ce constat. Le foisonnement de textes, d’analyses, de récits, de commentaires, de slogans, de graffitis, de discours, dont la circulation est amplifiée par les modes de communication modernes, est frappant. Comme le disent des camarades, la guérilla sémantique est lancée.
Un mot, à mon sens, mérite notre attention et figure parmi ceux qui méritent d’être redéfinis. C’est le mot « propagande ». Au delà de son passé douteux - né au sein de l’église de la Contre-Réforme, passant du mouvement ouvrier aux régimes totalitaires - ce mot recouvre un effort que les milieux radicaux acceptent mal, celui de penser un discours, mais aussi sa forme graphique, en fonction d’un auditoire et d’un objectif politique.

Le constat, fait mille fois, d’un entre-soi profondément normatif des milieux radicaux entretenant une marginalité se construisant autour de modes de vie, de groupes affinitaires, d’un vocabulaire et d’une symbolique spécifiques est d’autant plus actuel que le mouvement en cours participe largement à le faire sauter.
In fine, il s’agit de convaincre les gens extérieurs à nos cercles de convaincus de se solidariser avec nous, et donc de produire images, récits, analyses qui ne leur tombent pas des mains. Il est tout à fait faisable de pousser nos options sans avoir recours à l’esthétique et habituelle et à la traditionnelle phraséologie militante ou partisane.
Il n’est pas question, ici, de dire qu’il faut a tout prix produire un discours sous un format « accessible » à une « masse » qui serait habituée à l’esthétique marchande, mais d’éviter d’hypothéquer le fond de nos propos par une forme trop caricaturale ou juste inadaptée à l’auditoire visé. Multiplions les récits des événements vécus, les analyses critiques, les tracts, les slogans. Faisons simple et direct. Diffusons les par tous les moyens à notre disposition. Rendons-les attractifs.

La cohérence n’est pas un but en soi dans la guérilla sémantique. Un tract peut très bien appeler à la solidarité entre « pacifistes » et « casseurs » quand un autre dénonce les flics et les bourges comme les véritables casseurs. Dynamitons les mots de l’ennemi, en les retournant, en se les appropriant...
Si le sens des mots est un enjeu important, notre capacité à mettre en récit ce que nous faisons est fondamental. Notre expérience nous montre qu’un récit de manifestation, de blocage, d’action, accompagné de photos, de vidéos rencontre un public avide d’autre chose que du baratin médiatique usuel. Nous donnons ainsi un sens à nos actes et c’est au moins aussi important que l’acte lui-même. Dans ces récits, se dessine un « nous » large et inclusif contre un « eux » rassemblant flics, patrons, politiciens, bureaucrates et bourgeois de tout poil.
Cliver ainsi permet aussi de rassembler. Nous devons absolument être capable de toucher les syndiqués, les gens en colère, les gens intéressés, nos parents, nos voisins, nos amis qui ne se bougent pas encore et ainsi promouvoir notre vision de la société, de la lutte et les pratiques qui les accompagnent.
Et puis, pour finir, soyons drôles et poétiques...

À lire également...