Chômage : On veut des thunes en attendant la Commune !

Ça fait maintenant un moment que le gouvernement a dégainé son projet de réforme de l’assurance chômage. Une offensive de plus contre celles et ceux qui tentent de vivre entre les mailles du filet, avec les miettes d’un système néolibéral verrouillé. Samedi, on est appelées à descendre dans la rue. Faut-il encore espérer gagner quelque chose ?

La CFDT et la CGT unies sous la même bannière pour dénoncer la dernière mouture du projet de réforme de l’assurance chômage qui doit entrer en vigueur au 1er juillet. Une union sacrée pour envoyer d’ultimes recours au Conseil d’État pour tenter de faire tomber la réforme, sur la base d’une étude de l’Unedic qui pointe de graves risques d’inégalités face à la loi (avec des différence d’indemnisation allant de 1 a 50 pour une même trajectoire professionnelle).

La voie légaliste avait déjà donné lieu à l’annulation d’un premier projet, soi-disant corrigé depuis. Peut-être que le gouvernement “reverra sa copie” à nouveau, comme on dit. Bien déprimant de se dire que notre meilleure chance de lutte résiderait aujourd’hui, selon nos glorieux syndicats, dans la bénévolence des énarques du Conseil d’État de taper sur les doigts des énarques du gouvernement qui modifieraient à la marge leur projet.

Une réforme punitive et hypocrite : offensive anti-précaires, anti-pauvres

Le projet tient en quelques lignes :

  • Prise en compte des journées d’inactivité dans le calcul de l’allocation journalière : Les personnes qui alternent inactivité et emploi percevront une allocation quotidienne beaucoup moins élevée. Impact : 1.15 million de personnes (41% des personnes au chômage) verront une baisse de 17% en moyenne de leurs allocations, pour certaines beaucoup plus.
  • Baisse des allocations pour la plupart des gens : un ex-travailleur au SMIC touchera désormais 667 euros, contre 985 euros mensuels auparavant. « Pendant plus longtemps ! » se défend le gouvernement.
  • Il faudra travailler plus longtemps pour prétendre ouvrir ses droits au chômage. (6 mois contre 4 auparavant). Impact : retardera l’ouverture des droits de 500 000 personnes et compliquera la vie de tout le monde a l’avenir.

    (*SJR = salaire journalier de référence, le montant à partir duquel l’indemnité est calculée)

    Pour prolonger sur la mécanique de cette reforme inique, on peut lire cette brochure.

Tout ça pour économiser une maigre pitance de 2.3 milliards d’euros par an (à titre de comparaison, le CAC 40 a versé 51 milliards d’euros à ses actionnaires en 2021, et l’évasion fiscale est estimée a 17 milliards d’euros chaque année).

"Pas grave d’avoir beaucoup moins chaque moins, j’ai un peu plus sur deux ans..."

On est clairement dans une mécanique de punition absurde. On sait que les contrats courts et précaires explosent en France, et on reporte l’essentiel de la charge sur les personnes qui galèrent à trouver du boulot. La ligne de défense du gouvernement est absurde : "on indemnise moins, oui, mais on indemnise plus longtemps". En effet, la durée d’indemnisation serait plus longue. Mais qui, survivant avec seulement quelques centaines d’euros, se dirait, “pas grave d’avoir beaucoup moins chaque mois, j’ai un peu plus sur deux ans” ? Quand on sait que sont déjà minoritaires les personnes qui vont au bout de leurs droits à cause des indemnités déjà ridicules...

L’autre ligne de défense du gouvernement : un “bonus-malus” pour inciter les entreprises de quelques secteurs friandes des contrats courts à allonger la durée de leurs contrats. Quelques % de cotisations sociales supplémentaires si votre turnover est plus élevé que celui de votre voisin du même secteur. Quelques % en moins si vous proposez plus de CDI. En clair : on ne demande pas plus de thunes aux entreprises pour financer le chômage, on dit aux boîtes : les pires du secteur subventionneront les plus vertueuses.

Plusieurs problèmes :

  • Si je suis déjà parmi les pires employeurs du secteur, mon montant de cotisations n’augmentera pas. Je n’ai aucune incitation à moins faire tourner mon effectif de salarie.é.s.
  • Seuls certains secteurs sont inclus dans ce système, excluant par exemple le bâtiment, ou les entreprises de moins de 11 salarié.e.s. On affaiblit encore le principe de solidarité interpro.
  • On s’en remet à des incitations économiques dont l’efficacité est très contestée (voir ici, page 12) plutôt que d’utiliser l’arme traditionnelle des faibles contre les forts : le droit du travail (la bonne vieille obligation). Concrètement, je peux juste budgéter d’être un salaud qui précarise si c’est mon modèle.

Renverser la vapeur ou sauter du train en marche ?

Il est tentant de s’embourber dans des calculs d’apothicaire, et dire que l’État devrait faire ci ou cela. Mais ne nous trompons pas de cible. Oui, on a enlevé le pain de la bouche de celles et ceux qui galèrent, l’urgence est d’abord de le conserver. Puis de réfléchir aux solidarités à mettre en place pour sortir d’une logique purement défensive.

Par purisme, ne mettons pas sous le tapis le fait que les allocations chômage sont le fil qui raccroche plusieurs millions de personnes à une vie quelque peu décente aujourd’hui, ou permettent à celles et ceux qui vivent dans les interstices de s’adonner à rendre plus vivable ce monde. Mais ne crions pas victoire si nous parvenons à conserver les miettes – la dynamique ne joue pas en notre faveur, et ces miettes excluent déjà bon nombre de personnes non-éligibles (travail non-salarié ou au noir, personnes demandeuses d’asile…)

Tirer le signal d’alarme ne suffit pas. Arriverons-nous à renverser la vapeur de la locomotive néolibérale ? La tendance n’a pas l’air de s’y prêter. Comment faire dérailler le train alors ? Ou bien sauter du wagon et atterrir en douceur ? Avec qui ? Est-ce que l’échelon national de redistribution est définitivement perdu ?

Autant de débats qui n’occupent que peu l’espace du fait des coups de boutoirs racistes, sécuritaires, anti-pauvres, ou encore la fièvre électorale... Il est plus facile de l’écrire que de le faire mais si on veut cesser de se battre comme des conservateurs, il est urgent d’investir le front d’une solidarité affranchie des carcans d’un État désormais durablement asservi au dogme néolibéral.

Solidarités de quartier, coopératives d’activité, sectorielles voire intégrales, municipalismes, expropriations et réquisitions populaires, sécurités sociales autonomes et décentralisées, gratuités… entre la fuite individualiste et le “tout État”, il y a foule de leviers à explorer. Un mouvement social suffisamment divers et offensif, qui dépasserait la simple exigence du "c’était mieux avant", pourrait-il remettre ces sujets au goût du jour ?

En 2016, on hurlait déjà “la réforme, on s’en fout, on veut pas bosser du tout”. Voilà que ne pas travailler, ou travailler peu, paye de plus en plus mal. On se retrouve à nouveau en “défense”. A nous d’innover pour faire advenir plus de solidarités, et exiger des thunes pour préparer la Commune.

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