A titre personnel, je suis fatigué des joutes oratoires autour du dosage de dénonciation de l’islamisme ou de condamnation de l’islamophobie. Ces textes ont eu leur utilité et leur importance : il fallait marquer vite des lignes et des positions. Je comprends bien le poids historique de ce problème pour un mouvement dont la majorité des références se situe entre Espagne et Russie. Je comprends aussi son enjeu pour des discours qui se veulent à la fois antiracistes et antireligieux... mais au bout de moment ce qu’il y avait à dire a été dit, et l’analyse doit s’efforcer d’approfondir réellement ou de proposer d’autres axes.
A mes yeux, il y a aussi des impasses dans lesquelles nous ne devons pas nous engager. A chercher à décortiquer des faits d’actualité sur lesquels la police donne des informations au compte-goutte et que les médias mettent en scène, la surenchère interprétative nous met bien vite sur la pente du complotisme. Il y a eu des attentats bien réels, et il y a eu une opération de communication anti-terroriste : mais à vouloir démêler les fils, nous allons nous prendre les pieds dans l’écheveau.
Une première piste pour le travail d’analyse consiste alors à prendre du recul historique. Faire l’histoire du rapport complexe entre religion et liberté d’expression, voire plus particulièrement des attentats intégristes en France (qu’ils soient liés au catholicisme ou à l’islam). Faire l’histoire des mesures antiterroristes aussi, en France, mais aussi au-delà, en particulier ce fameux Patriot Act qui revient sur toutes les lèvres. Faire l’histoire de l’union sacrée en 1914, comment elle a balayé sur son passage toutes les velléités pacifistes, antimilitaristes, et phagocyté une énorme partie du mouvement révolutionnaire, libertaires compris.
Il y a enfin un enjeu spécifique autour de l’islamophobie, que nous avons du mal à affronter : à lire les premières réactions, tout se passe comme si les perspectives antiracistes et antireligieuses étaient irréconciliables. J’ai l’impression que nous ne parvenons pas à affronter le problème spécifique d’une xénophobie dirigée contre les minorités religieuses (islamophobie ou antisémitisme). Il y a un vrai besoin de travail de fond sur ce point, plus que de polémiques enflammées.
J’en oublie sans doute plein, et je ne veux pas faire la liste des analyses qui doivent être faites [1], chacun-e en sera juge. La dimension collaborative de ce site peut jouer pour trouver ou produire les analyses les plus importantes sur ces points. Mais je pense que l’essentiel est là : il est temps de sortir du commentaire centré sur Charlie-Hebdo pour se préparer à l’offensive réactionnaire et sécuritaire à laquelle nous allons devoir faire face.
