Ce qu’il s’est passé sur le boulevard Diderot était quelque chose de fort

Retour sur deux heures de solidarité face aux forces de l’ordre sur le boulevard Diderot durant l’après midi d’un premier mai pas comme les autres.

Alors que la tête de la manif est aux prises avec les flics, le reste du cortège patiente tranquillement à l’arrière. Cette tête de cortège est composé de jeunes énervés mais pas que. Il y a un peu de tout là-dedans. Des gens qui ne se retrouvent pas dans les syndicats, des syndicalistes qui ne se retrouvent pas dans leur direction, des gens qui viennent voir ce qui se passe, des gens qui n’aiment pas la police… Comme ce qu’ils ont fait à plusieurs reprises, les flics arrosent la tête de toute leur armada d’armes « non létales ». C’est un vrai massacre. Les gens sont collés les uns aux autres, il y a pas d’espace de sortie. Les flics sont vraiment au corps à corps.

Et là les flics utilisent une stratégie déjà éprouvée : ils tentent de diviser la manif en deux. Devant, les « vilains » casseurs et derrière, les « manifestants responsables ». Cette technique avait été utilisée le 9 avril où le cortège syndical avait plié bagages avant l’arrivé à la place de la Nation recouverte de gaz lacrymo. Ça avait fonctionné. Cette fois-ci, c’était beaucoup moins simple pour les flics.

Après une confrontation très violente avec les flics à l’avant, les choses se calment et le groupe de tête, composé d’un gros millier de personnes s’aperçoit que derrière lui, les flics sont sortis du bois et forment une ligne qui les séparent du reste du cortège. Les flics sont vraiment pris en sandwich des deux parts. Ils ne sont pas super à l’aise. On est au niveau du croisement de la rue de Chaligny et du boulevard Diderot. La ligne est composée de deux fronts : coté « tête » (dans l’esprit des flics, les manifestants les plus violents) les gendarmes mobiles, coté « syndical » les CRS.

La tête sent bien le piège se refermer et décide de réagir à plusieurs reprises en forçant collectivement la ligne des gardes mobiles. Hélas, les gendarmes mobiles sont mieux organisés que nous et possèdent des atouts que nous n’avons pas (en l’occurrence des gazeuses lacrymogènes qui niquent les yeux). Les flics ne sont pas super à l’aise parce qu’ils sont sous pression des deux cotés. Dans la nasse de tête, une sortie se fait par une cour intérieure d’immeuble d’où 300 personnes au moins réussissent à s’exfiltrer. Un bon nombre d’entre eux font un tour par derrière, et se retrouvent dans le cortège dit « syndical ». Entre temps les flics ont capté que les gens se barraient par les immeubles et choisissent de mettre un gros trou entre les deux groupes.

Parallèlement, la préfecture propose aux syndicats « responsables » un autre parcours de manifestation. Et là, on ne sait pas précisément ce qui s’est passé, les positions divergent.

Selon certains, les directions syndicales refusent de se désolidariser des manifestants devant et maintiennent le parcours prévu, contre la préfecture de police. L’autre version, c’est que le SO de la CGT a invité les gens à faire un détour mais les militants de base se seraient opposés à cette décision avec notamment des frictions avec les gros bras. A cette heure, on ne sait pas ce qui s’est passé précisément. Ce qui est sûr c’est que des milliers de gens ont stationné et, pour beaucoup, invectivé les flics en attendant que la situation se débloque. C’est une grande victoire déjà.

De plus, les flics cristallisaient tous la vindicte populaire. En remontant le cortège avec mes lunettes anti-gaz sur les yeux, j’ai reçu des tapes dans le dos, des gens qui me demandaient si ça allait, des gens qui me disaient que « la police cherchait les coups ». Un vieux de la CGT m’a arrêté pour me dire qu’il fallait percer les lignes des flics. Bref, je me retrouve en tête du cortège « syndical » pour faire en sorte que celui-ci rejoigne les gens nassés en tête de parcours. On voit les gens au bout du boulevard, 200 mètres plus loin.

Les slogans fusent : « Cassez-vous, cassez-vous, cassez-vous ! » et « La rue elle est à qui ? Elle est à nous », « Tout le monde déteste la police » (très repris), « La rue, la rue, nous appartient ! ». Première poussée, premiers gaz lacrymo du côté des CRS. Ceux-ci sont vraiment mal à l’aise, pas légitimes. En face d’eux c’est pas des jeunes et des habitués des manifs chaudes. C’est juste des gens, manifestants lambdas mêlés à des jeunes qui poussent. Les flics choisissent donc de reculer un peu.

A l’avant, on peut voir des scènes surréalistes où les flics sont poussés par un retraité du PCF aidé par des ami-es cagoulés. La tête de cortège est vraiment hétérogène mais crie énormément de slogans. Une fois la masse lancée, les flics maîtrisent de moins en moins. Presque aucun projectile ne fuse, juste une confrontation avec nos corps.

Arrivés au croisement de la rue de Reuilly, les flics essaient de bloquer et fixer le cortège. On est vraiment proche de la nasse et cette fois tout le monde décide de pousser. Les flics gazent comme des porcs mais les gens ne cèdent pas et la ligne devient intenable pour les flics qui libèrent les milliers de gens. Grand mouvement de joie. On crie et on court vers nos camarades. C’est mortel. La manif se retrouve dans une atmosphère de liesse. Les gens chantent et sont trop heureux. Y’a énormément de monde. Plusieurs milliers de personnes chantent « Nous sommes tous des casseurs » et pas seulement les cagoulés. C’est extrêmement fort. Bien plus fort que n’importe quelle émeute à laquelle j’ai participé…

Y’a encore un accrochage avec les gendarmes près du Passage du Génie. Les gens sont euphoriques et continuent à progresser sans panique malgré les nuages de gazs dispersés par les vents. C’est à ce moment-là qu’on verra Jean-Claude Mailly, foulard sur la bouche et yeux rouges, sortir d’un nuage blanc. Comme quoi personne n’est plus à l’abri de la répression. Ça chante très fort et nous arrivons tous à Nation.

Moralité de cette journée : les flics et le gouvernement ont dit à l’ensemble de la gauche et de l’extrême gauche d’aller se faire foutre. Ils ont bien expliqué au mouvement syndical qu’ils avaient décidé de ne rien laisser passer. L’autre moralité, c’est qu’une partie du mouvement syndical, la gauche traditionnelle, a décidé de ne pas se laisser faire et de se solidariser de tendances plus radicales. Vers de nouvelles alliances ?

Steiner, le 2 mai 2016

Mots-clefs : 1er mai
Localisation : Paris 12e

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