Casseurs ou révolutionnaires ? Réflexion sur la violence comme moyen d’action militant

La mort tragique de Rémi Fraisse sur la ZAD de Sivens a donné suite à un vaste mouvement d’indignation et de colère contre les violences et l’impunité policière. Un mouvement fermement réprimé par le gouvernement Hollande. Face à cette répression, et tant d’autres avant elle, beaucoup ont fait le choix de l’action radicale et violente contre tous les symboles de la société qu’ils rejettent. Les médias les appellent « casseurs », la justice fait bien souvent de leurs condamnations des exemples et les politiques les pointent du doigt pour justifier la violence policière mais peu s’attellent à tenter de comprendre leurs actions. Et si ces « casseurs » n’étaient pas les vrais révolutionnaires ? Réflexion sur cette violence militante comme moyen d’action.

La mort de Rémi Fraisse le 25 octobre dernier sous les coups de la police lors de la lutte contre le barrage de Sivens a, depuis ce jour, mobilisé toutes les personnes touchées par la douleur insupportable d’apprendre qu’une fois de plus la brutalité policière a tué un jeune homme dont le seul crime était de défendre ses convictions. Une fois de plus car, comme le rappelle l’article : « Ceci n’est pas une bavure. 2000-2014 : 127 personnes tués par la police française » , ces meurtres sont le résultat d’une violence quotidienne exercée au nom du maintien de l’ordre.

Ce n’est donc pas ici seulement l’évènement de Sivens que condamnent les manifestants mais bien l’ensemble de cette violence tolérée et même légitimée par le pouvoir et ses différents vecteurs (médias, politiciens…). Outre les morts, c’est des centaines de victimes, mutilées ou blessées au cours des luttes de ces dernières années, c’est une violence quotidienne de la police dans les quartiers populaires, des contrôles au faciès, des rafles, des expulsions de sans-papiers, des attaques récurrentes à la liberté d’expression de la part d’un état qui se targue de la défendre… Face à ce constat avons-nous besoin de poser la question de la légitimité de la colère qui s’exprime depuis la mort de Rémi Fraisse à travers tout le pays ? N’est-il pas légitime de réclamer des comptes à une police qui, censée protéger les citoyens n’est en réalité que le bras armé d’un ordre établi qui ne sert les intérêts que des puissants, des gouvernants, des banques et d’un système capitaliste qui n’a de cesse de développer les inégalités ? N’est-il pas légitime dans un pays qu’ils aiment à nommer « pays des droits de l’homme », de se révolter contre une police qui ne défend que des projets utiles au capitalisme et nuisibles aux gens et à leur environnement, comme ce fut le cas à Notre-Dame-des-Landes, dans le Grand Paris ou encore à Sivens ? L’injustice est énoncée clairement et sera, espérons-le du moins, comprise par tous.

Cette colère, chacun l’exprime à sa manière, du plus pacifiste qui développera des sit-in ou des minutes de silence, des occupations de sites… jusqu’aux plus radicaux qui choisiront de s’en prendre directement aux symboles de ce système violent (banques, sociétés multinationales…) ou à son bras armé, la police. Or si la cause est bien comprise par tous, concernant la méthode il en bien autrement. En effet, l’expression radicale de cette colère n’est absolument pas comprise et ne souffre d’aucune analyse médiatique ou politique. Le mot « casseurs » est utilisé à tout va pour justifier la violence policière. Il est, bien sûr, l’expression d’un État qui bafoue le droit fondamental à organiser des manifestations, en les interdisant tout simplement ou en imposant un dispositif policier impressionnant (encerclement des cortèges, arrestations « préventives », contrôles systématiques aux abords des lieux de rassemblement… bref, tout un dispositif qui, instaurant la peur, incitera les moins intrépides à se désolidariser du cortège) et fait plus office de provocation qu’autre chose au vu du climat actuel et des revendications qui sont actuellement portées dans nos rues. Et c’est donc sur l’expression de cette forme de lutte radicale que nous aimerions nous attarder ici avec un certain nombre de questions que beaucoup se posent : Cette violence militante est-elle légitime ? Est-elle nécessaire ? Et enfin sert-elle le mouvement et les revendications portée ces derniers temps ?

Une violence légitime ?

La « légitimité » est communément définie ainsi : « la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice ou en équité » (définition Larousse). Plus clairement, elle repose sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales.
Cette violence n’est bien sûr pas légitimée par le pouvoir, l’utilisant surtout pour justifier ses propres actions répressives et brutales. En effet, on entend la plupart des politiciens, tous bords confondus, expliquer devant les caméras que devant une « société de violence » les mesures répressives, sécuritaires et les réactions violentes de la police se justifient pleinement. Mais alors pourquoi ne pas suivre le raisonnement inverse ? Pourquoi, devant une répression permanente des contestations, devant un pouvoir qui n’offre d’autres réponses que des brigades de CRS, la violence des manifestant ne serait pas tout aussi justifiée ? La légitimité de ces violences ne peut donc s’appuyer sur une « base juridique » car bien sûr niée par le pouvoir et condamné par l’opinion publique. Mais encore, cela est discutable, car l’insurrection est bel et bien légitimée par la constitution des droits de l’homme de 1793 et même si l’article suivant n’est resté que peu de temps en vigueur, il reste issu du socle, du fondement même de la République que défendent ces gens-là à savoir les droits de l’homme.
En effet donc, selon l’article 35 :

« Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »

Tout est alors question d’interprétation, à quel moment doit-on considérer que le gouvernement viole les droits du peuple ? Quand, comme en ce moment, il interdit les manifestions d’hommage à Rémi Fraisse, violant ainsi le droit de manifester, quand sa police tue et mutile quiconque cherche à exprimer son refus ou sa colère hors du cadre posé par ce même gouvernement ? Ou encore quand il ne répond que par le mépris et la violence aux revendications sociales ? Qui fixera la limite ? Pas le gouvernement en question qui mettra tout en place pour légaliser ses agissements. Chacun est donc libre de fixer ses propres limites et si c’est le fait du plus grand nombre, l’insurrection destituera le gouvernement. À partir du moment donc où ces « casseurs » se sentent bafoués dans leurs droits, leur insurrection devient donc parfaitement légitime et si ce n’est approuvée par l’opinion publique, elle doit au moins être comprise et analysée autrement que par la simple dénomination de « groupes ultra-violent venus vandaliser ». Comme si ces gens-là n’étaient que des amoureux de la violence avide de casse aveugle…

On entre donc pleinement dans cette légitimation : le peuple (ou du moins une « portion » du peuple) estime que ses droits sont violés par le gouvernement, estime que ce dernier le méprise, refuse d’écouter d’autres revendications que celles du grand capital, l’agresse, l’oppresse, le mutile ou le tue par la voie de son bras armé, il lance alors son insurrection. Il est évidemment concevable de ne pas partager ce point de vue, d’estimer qu’en rien les droits du peuple ne sont violés mais, par contre, il n’est pas acceptable d’ignorer cette explication et de balayer le problème d’un revers de main grâce au mot magique employé partout et à son interprétation effrayante relevant plus du fantasme de chacun que d’une réelle définition, celui de « casseurs ». Il est tout de même intrigant que si peu de journalistes prennent la peine d’essayer de comprendre et d’analyser cette violence. Pourtant, les explications sont aisées à trouver dans la littérature et la presse « alternative » des différents mouvements de gauche radicale…

Dans le même ordre d’idée, la violence comme moyen d’action militante peut également se justifier en cas « d’état d’urgence » et de « légitime défense ». C’est une idée que défend notamment le philosophe allemand Günther Anders qui a beaucoup réfléchit sur l’utilisation de la violence par le peuple, notamment après la catastrophe de Tchernobyl, dans la lutte anti-nucléaire. Il explique que quand on se trouve dans un état qui, d’un point de vue juridique ou moral, est un « état d’urgence », on entre alors dans une situation qui doit être décrite comme « situation de légitime défense ». Ainsi, pour lui, le risque nucléaire prit par la plupart des dirigeants, place la population en état d’urgence et la pousse à la violence en état de légitime défense. Ici encore, tout est une question d’interprétation. Doit-on considérer que la destruction de l’environnement en faveur de projets utiles qu’à quelques-uns (l’aéroport de Notre Dame des Landes ou le barrage de Sivens par exemple), les « bavures » répétées de la police ou de la gendarmerie nationale (qui par ce dernier caractère ne peuvent d’ailleurs plus être considérés comme telles), les grandes lois antisociales comme le CPE, la privatisation des universités ou encore les réformes des retraites, la violation des droits de l’homme et parfois du droit d’asile quant aux traitements infligé aux personnes sans papier, et nous en passons, ne sont pas des situations dignes d’être qualifiées « d’état d’urgence » ? Et que dans ce cas, la violence comme « légitime défense » n’est-elle pas totalement justifiée si on se base sur la démonstration d’Anders ? Encore une fois, chacun est libre de son point de vue sur la question mais, là encore, c’est une explication que l’on doit prendre en compte et accepter que ces situations, si diverses qu’elles soient, puissent déchainer une certaine colère que certains, traduiront en violence comme juste réponse à quelque chose qui, selon les valeurs de chacun, sera vécu comme une réelle agression à contrer par tous les moyens.

Il y a par ailleurs une explication beaucoup moins subjective que celles-ci à ces violences populaires. En effet, même si nous reprochons le manque d’analyse médiatique quant à cette dernière, il est par contre évident que nos « grands médias », cherchent à interroger ces fameux « casseurs » (des interviews diffusés bien souvent brut, sans analyse derrière malheureusement). Et l’explication récurrente est bien souvent celle-ci : « Pourquoi je casse ? Pourquoi je m’en prends aux forces de l’ordre ? Mais parce que la police m’agresse, parce que la police a tué l’un des nôtres, parce que même pacifique j’ai pris des coups de matraque, j’ai respiré leurs gaz lacrymogènes ! ». Pour résumer, la violence vient selon eux de la violence. À partir du moment où le pouvoir est violent, ceux qui s’y opposent le deviennent. Et là encore, Anders explique très bien ce point de vue : « Aussi longtemps qu’elle est utilisée par les pouvoirs reconnus, la violence n’est pas seulement autorisée, elle est aussi moralement légitimée ». Cette violence s’explique et se légitime donc, et ceux qui l’exercent prennent d’ailleurs la peine de le faire, pourquoi alors ces explications sont-elles dissimulées ? Probablement parce qu’il n’est absolument pas dans l’intérêt de l’état de présenter ces militants autrement que comme des « casseurs motivés par une simple et primaire haine du flic et s’en prenant aveuglément aux commerces ». Mais outre cette question si épineuse de la légitimité de cette violence, une autre vient naturellement : est-elle nécessaire pour se faire entendre dans ce genre de conflit ?

Une violence nécessaire ?

Un fait est établi, beaucoup le pensent ou l’ont pensé. Force est de noter que l’histoire se dessine en ce sens. En effet la plupart des grandes révolutions se sont faites dans la violence et, le plus souvent, celle-ci s’est exprimée à cause de l’insuffisance et de l’inefficacité des méthodes plus pacifistes. Prenons quelques exemples : lors de la révolution française, le peuple insurgé n’a-t-il pas pris la Bastille par les armes qu’après avoir tenté sans succès de faire valoir les droits du tiers état lors des états généraux ? N’a-t-il pas pris d’assaut le palais des tuileries qu’après avoir essayé plus pacifiquement d’imposer sa volonté démocratique à Louis XVI ? Lors de la révolution cubaine, n’est-ce pas l’échec et la sanglante répression de la grève générale qui a présenté la guérilla de Castro comme le seul recours face à la dictature de Batista ? Plus récemment n’est-ce pas la répression policière en Tunisie ou en Égypte qui a poussé les manifestants à se radicaliser ? Tous ces exemples vont bien dans le sens d’un certain désespoir qui tend vers la radicalisation des actions. Mais pour revenir en France et dans des mouvements de moins grande ampleur, plus proche de celui en cours. Fût un temps, le pouvoir pouvait céder (ou du moins lâcher un peu de lest) aux méthodes pacifistes à condition d’instaurer un rapport de forces important. On a vu effectivement des gouvernements reculer sur certaines réformes grâce à la pression populaire mais on constate que, déjà, c’était assez exceptionnel, il fallait que l’écrasante majorité de la population s’y montre hostile et surtout depuis l’ère Sarkozy, cela n’arrive plus ! On semble être entré dans une période ou la ténacité des politiciens, leur fermeté face à la rue est vue comme une forme de courage. Quoi d’étonnant alors que certains ne croient plus au pacifisme, quand leur mouvement de grève est méprisé, quand leurs manifestations n’ont plus aucun impact ou quand leur sit-in ou occupations sont dispersées à coup de matraques ? Beaucoup pensent à présent que l’action violente aura plus d’impact. Et peut-on leur reprocher de le penser quand les faits leur donnent raison ? S’il n’y avait pas eu un mort à Sivens, le gouvernement aurait-il relancé les discussions au ministère ? Les grenades offensives auraient-elles été mises sur la touche ? Si le mouvement de la ZAD de Notre Dame des Landes ne s’était pas radicalisé, le pouvoir aurait-il cédé ? On peut légitimement penser que non et c’est bien le problème. Les dirigeants ne prennent les problématiques conflictuelles à bras le corps que quand la situation menace de dégénérer et quand ils se retrouvent en difficulté.

Les deux causes sont donc clairement énoncées :
Beaucoup perdent confiance en la lutte « institutionnelle », légale et pacifiste et en viennent à la considérer inefficace à force de mépris et de répression. Cela les amène logiquement à se radicaliser et à se dire « pourquoi donner des fleurs aux CRS, ils ne pourront pas la prendre, ils ont une matraque dans une main, un bouclier dans l’autre… ». La répression systématique et le mépris du pouvoir face à la contestation pacifiste amène donc forcément la radicalisation des actions et une escalade de la violence.

De plus, les faits montrent que les choses bougent plus sûrement (avec ou sans aboutissement d’ailleurs) quand il y a de la violence. Effectivement les médias en raffolent, ils sont en permanence en quête d’images chocs. Et quoi de plus vendeur que la violence dans le monde d’aujourd’hui ? L’événement sera donc « rendu public », médiatisé à outrance et cette pression amènera une réaction du pouvoir en place, d’autant plus sûrement quand l’opinion publique commencera à se montrer favorable à cette cause.

Ce schéma fait aujourd’hui office de vérité pour de nombreux militants pour qui la violence deviendra l’unique moyen d’action, l’unique façon de se faire entendre, elle devient alors pour eux nécessaire. Et ce n’est pas une opinion marginale comme on essaye de nous le faire croire avec beaucoup trop d’insistance pour que la chose soit crédible. Cette façon de voir les choses a été réfléchie et défendu dans bien des écrits. Günther Anders, qui n’est pas vraiment le stéréotype du casseur avide de violence que nous présente les JT en ce moment, même plutôt considéré pendant longtemps comme un pacifiste explique la chose ainsi :

« Je tiens pour nécessaire que nous intimidions ceux qui exercent le pouvoir et nous menacent. Là, il ne nous reste rien d’autre à faire que de menacer en retour et de neutraliser ces politiques qui, sans conscience morale, s’accommodent de la catastrophe quand ils ne la préparent pas directement ».

Il considère en effet qu’en dernier recours, qu’en cas de menace grave, la violence devient nécessaire.
Nous apporterons toutefois une nuance à ce tableau bien désespérant (même s’il tend à comprendre comment certains en arrivent au combat de rue). Nous disions plus haut que l’état, les médias et donc l’opinion publique réagissent devant des « images chocs ». La violence en est une, le pacifisme visiblement ne les intéressent pas. Mais une image choc n’est pas forcément une image de violence. Les Fémen, même si leurs revendications politiques sont parfois troubles et contestables, ont fait parler de leur cause par des actions provocatrices mais non violentes, elles ont attiré l’attention. C’est également le cas des actions de Greenpeace, souvent spectaculaires mais non violentes également. Tout l’enjeu serait-donc d’attirer l’attention par ce biais pour obtenir le même résultat que l’utilisation de la violence à savoir une attention importante de la population pour la cause que l’on souhaite défendre. Malheureusement la violence est souvent considérée comme plus simple, plus efficace et plus a même faire changer les choses. Et il faut comprendre que mêmes ces actions pacifistes sont souvent réprimées de manière très violente et on n’est pas tous a même de tendre l’autre joue en souriant. Nombreux sont donc ceux qui, par désespoir, par haine de cette société, par volonté de changement ou même par stratégie face à des états violents, des états capables de tuer leurs propres citoyens dans leur furie répressive, considéreront la violence comme un mal nécessaire et parfois même comme une solution pour imposer ensuite un état de non-violence. Ces constats pouvant être compris, cela nous amène à notre dernière question : La violence comme moyen d’action peut être légitimée et peut être considérée nécessaire quand on prend la peine d’écouter et d’analyser les explications de ceux qui l’exercent mais sert-elle vraiment le mouvement ?

La violence, un moyen d’action efficace ?

Dans le cas présent, les actions et manifestations menées en hommage à Rémi Fraisse et en réaction à la violence quotidienne de la police, on doit bien admettre que, même si cette violence a attiré l’attention sur le mouvement, elle ne le sert pas. Elle est même l’arme ultime du gouvernement pour le décrédibiliser. En effet, nous n’oublierons pas l’intervention récente de Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur qui, après avoir tenté de cacher la mort du jeune militant, a décrété que « Si il n’y avait pas eu de casseurs ce soir-là, Rémi Fraisse serait encore vivant ».

Voilà bien une tentative des plus maladroites de se dédouaner de ses responsabilités et de la mettre sur le dos des « méchants et obscurs casseurs » et tenter de faire oublier que c’est bien les « forces de l’ordre » qui ont porté le coup fatal. Et il en va de même du mouvement qui a suivi la mort du jeune homme. La présence de « casseurs » est martelée dans tous les médias et sert de prétexte à tout un lot de mesures inacceptables : des manifestations interdites, des arrestations « préventives », des militants gravement blessés par des policiers toujours plus violents, des condamnations démesurées… Et, comme dans la plupart des mouvements, c’est le jeu politico-médiatique qui se met en place menant de concert une activité de propagande vieille comme le monde mais qui semble toujours aussi efficace avec un schéma des plus classique : La police tue et mutile en toute impunité, on tente d’étouffer l’affaire sans succès, donc il y a mouvement d’indignation, il y a des débordements et alors le pouvoir pointe du doigt les émeutiers, les médias de masses en font les gros titres mais bien sûr sans jamais essayer de comprendre ou d’analyser le pourquoi d’une telle violence, choque alors l’opinion publique et le pouvoir peut alors réprimer à sa guise à l’aide de toutes les méthodes anticonstitutionnelles énoncée ci-dessus et compter sur un essoufflement probable du mouvement. [1]

Plus grave encore, et de nombreux militants à travers le monde et les générations peuvent en témoigner, c’est bien souvent la police qui initie l’émeute si celle-ci ne part pas toute seule. Petite anecdote pour illustrer ce propos, Samedi 8 Novembre 2014 à Paris, lors d’une énième manifestation, dans une ambiance des plus tendues liée à une présence policière assez étouffante, un groupe d’agents en civil a remonté le cortège et, arrivé au niveaux des banderoles libertaires se sont jetés sur un militant. Forcément la foule a réagi violemment à la provocation et s’en sont suivis des coups de matraques et des gaz lacrymogènes, bien souvent le coup d’envoi d’une émeute. Tout cela pour dire que la violence sert le gouvernement, plus il y aura de débordements, plus il pourra justifier de ce qu’il appelle « faire preuve de fermeté ». De plus, le pouvoir dispose de bien des moyens pour convaincre l’opinion publique de la légitimité de sa propre violence que n’ont pas les manifestants pour se défendre. Le résultat est donc que lorsqu’on revient d’une manifestation, pointant du doigt autour de nous les violences policières qui s’y sont déroulées, on nous rétorque bien souvent « oui vous vous faites contrôler et fouiller trois fois sur le chemin de la manifestation, oui elle est interdite mais c’est normal, il parait qu’il y avait beaucoup de casseurs qui pensaient venir »… Comme quoi, le schéma énoncé plus haut se vérifie, le mythe du méchant casseur prend le dessus, faisant oublier aux gens que la police a tué et continue à malmener les indignés.

Là est tout le paradoxe auquel le militant se retrouve confronté : Tout est fait pour qu’il se radicalise, les méthodes légales et pacifistes sont méprisées et réprimées, les actions violentes attirent l’attention mais décrédibilisent alors le mouvement et même au-delà, il « normalise » des méthodes qui devraient être jugées inacceptables ainsi qu’une extrême violence dans la répression.

Conclusion : Que faire ?

Seul l’opinion publique favorable et un mouvement de masse semblent pouvoir influer sur le pouvoir. Seulement dans ces conditions un mouvement pourra être reconnu et ses revendications se faire entendre. Malheureusement, dans cette société ou les gens sont de plus en plus poussés à l’individualisme, beaucoup ne bougent que quand ils sont directement menacés et ne sont prêts à approuver une action que quand ils considèrent que la chose qui la motive est réellement choquante ou nécessaire. Il faut donc, pensons-nous, militer au quotidien pour détruire ces a priori, pour proposer d’autres interprétations que la « pensée unique » martelée par l’état et par « ses nouveaux chiens de garde », pousser les gens à reconsidérer ce qui leur semble grave, à prendre position pour des causes, à se départir de ce que peuvent nous dire certains politiques ou certains médias et à se demander ce qu’ensemble on peut faire pour l’environnement, contre la casse du système social, contre les violences policières vu que nos élus ne semblent pas capables de faire cela pour nous.
À plus court terme, et en ce qui concerne des mouvements comme celui que nous traversons, il y a selon nous, trois issues possibles : Réfléchir à de nouveaux moyens d’actions qui entretiendront la mobilisation et entraîneront l’adhésion de ceux qui rejettent toute réponse violente mais, on l’a vu, les alternatives sont rares car la résistance et la manifestation pacifiques amènent une certaine indifférence et des réponses toujours brutales de l’état. Peut-être faudrait-il chercher du côté du spectaculaire ou du choquant… À vos idées camarades !

La seconde serait d’engager une lutte plus classique en militant pour que le mouvement s’amplifie. Les arguments sont légions, on l’a vu, et intensifiés par les événements de brutalité et d’impunité policière un peu partout dans le monde en ce moment comme au Mexique, aux États unis ou encore en Belgique. Bref, utiliser les armes légales pour intensifier la lutte comme multiplier les appels à la grève, à la manifestation, aux blocages et aux actions en tous genres. Mais là encore la difficulté sera de convaincre les gens de se mobiliser et le temps joue contre nous. Il y a eu un mort et ceux qui ne le tolèrent pas sont déjà dans la rue. Ce décès tragique a bien ému tout le monde mais beaucoup pensent encore que « les accidents ça arrive ». Un lourd travail militant est donc à envisager.

Enfin, la dernière issue est d’assumer cette violence et de l’expliquer. Les gens la condamnent mais pour la plupart, ils ont une vision tronquée de ce qui motive cette violence et c’est tout l’intérêt du gouvernement aujourd’hui. Beaucoup ne la cautionneront pas mais si au moins ils comprennent et admettent qu’elle est initialement le fruit d’une violence d’état, d’une certaine injustice ressentie par tous ceux qui sont prêts à se battre dans la rue, elle ne pourra plus se retourner contre les causes défendues et contre le mouvement. Tout simplement parce que le mythe du méchant casseur se sera écroulé et ne sera plus crédible pour personne.

Il y a une grande colère suite à la mort de Rémi, un sentiment d’injustice et de mépris ressenti par tous ceux qui luttent en ce moment et chacun l’exprime(ra) à sa manière. Notre devoir est d’analyser chaque action mais on ne doit pas oublier la cause qui nous unit après ce drame, la police française a tué un jeune homme, c’est loin d’être le premier, et brutalise au quotidien. Elle est la seule réponse de l’état face aux inquiétudes écologiques que provoquent des projets inutiles comme Notre Dame des Landes, Sivens et bien d’autres et qui, de plus, loin d’être d’intérêt public, sont clairement les fruits de réseaux de connivence et d’intérêts purement économiques. C’est cela que nous devons marteler haut et fort et faire comprendre au plus grand nombre que la violence ne vient pas de « casseurs » mais bien d’un état qui devrait écouter et respecter son peuple plutôt que de favoriser sans cesse les puissants.

Tigist

Notes

[1A noter que, loin de vouloir entrer dans des théories généralistes du type « les médias », « les politiques », les médias dont nous parlons ici sont bien ceux que Serge Halimi nomme « les nouveaux chiens de garde » à savoir ceux qui ont oublié leur rôle de contre-pouvoir parce que possédés par des groupes industriels et financiers ou s’étant rangés a une pensée de marché, ne livrent que des points de vue officiels…

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