Bloquons tout : même les AG

Il est temps de reconsidérer notre recours hégémonique aux AG comme mode d’organisation, et de penser à construire une lutte réellement inclusive.

Les assemblées générales ne sont pas féministes

À chaque mouvement social, les assemblées générales semblent être le mode d’organisation principal. Le mouvement du 10 septembre ne fait pas exception : AG de villes, AG de départements, AG des AG... Ce système est pourtant loin de l’égalité à laquelle il prétend.
Au contraire, on y retrouve les mêmes logiques de dominations qu’ailleurs. Les postures virilistes y sont récompensées : ceux qui parlent le plus fort, le plus vite, avec le plus de "légitimité" politique ou culturelle, monopolisent l’espace et imposent leurs positions. Les récits des minorisé·es, quand ils sont exprimés, sont au mieux poliment écoutés, mais jamais intégrés dans les décisions. Les prises de décisions au consensus sont trop souvent une pression à la conformité, où les colères et les conflits sont ignorés et les opinions lissées, toujours au profit de la parole dominante.

Des tentatives d’inclusion vouées à l’échec

Le mouvement social n’est pas dépourvu de bonnes intentions, et on trouve parfois des tentatives pour rendre les AG plus inclusives. Mais cela reste sans effet tant que ça ne s’accompagne pas d’une véritable remise en cause du système.
Instaurer des tours de parole paritaires, un binôme à l’animation ou encore des formations à la prise de parole en public ne servent qu’à cocher la case de la bonne volonté féministe. Pire, c’est parfois utilisé pour balayer les critiques comme quoi ce serait désormais notre faute de ne pas avoir su utiliser ces outils d’égalité. Un vrai féminisme en AG ne consiste pas à inviter chacun·e à s’adapter aux formes existantes, mais à redéfinir en profondeur les manières de se réunir, de décider, de débattre, et d’avancer ensemble.

Le collectif demande du temps, de l’écoute et de la solidarité

L’urgence de la lutte et de la situation sociale ne doivent pas être une excuse pour ignorer les vécus et les discours qui ne rentrent pas dans les codes structurés de nos outils militants. Au contraire, dans une société capitaliste et fascisante, prendre le temps est un acte profondément politique et féministe. Nous devons créer des espaces où chacun·e peut parler, hésiter, revenir sur ses positions, exprimer ses émotions, comprendre l’indicible. La lutte est collective est en cela demande du temps, de l’écoute, de l’empathie et des solidarités concrètes. Nous devons garantir les conditions pour créer des liens forts entre nous toustes, des relations et des solidarités qui résisterons à la répression et aux obstacles, et ferons de cette lutte le moyen de notre émancipation collective.

Le féminisme n’est pas une annexe de la lutte, il la transforme et la structure

Il ne s’agit pas de disqualifier pour toujours les AG, qui restent un outil parmi tant d’autres, et qui trouvent parfois leur utilité tant qu’on connaît et prend en compte ses limites. En revanche, il est urgent de réhabiliter l’ensemble de nos actions militantes comme également légitimes et participant toutes à la lutte. Trop souvent on voit les AG comme caution de la prise de décision et les actions “de terrain” comme seules à même de mener à la victoire. Les autres modes d’actions sont vues au mieux comme une base arrière, très souvent comme des indulgences dispensables.
Pourtant la multiplicité des modes d’actions est indispensable à l’inclusion de toustes. Les luttes n’ont jamais reposé sur l’action pseudo héroïque de quelques-un·es à bloquer une route ou faire face à la violence policière, aussi importantes et légitimes soient ces actions. La première réussite d’une action est qu’elle ait eu lieu, car l’organisation et la solidarité qui l’ont permise sont déjà des actes de résistance. Et peu importe qu’il s’agisse d’un blocage, d’un banquet ou d’un rassemblement. Nos actions sont diverses pour une raison : nos vécus et nos conditions de vie sont divers et notre lutte le reflète. Et nous ne pouvons pas hiérarchiser nos actions de même que nous refusons de hiérarchiser nos vies.
Le féminisme n’est pas une boîte à outil à rajouter à nos actions, il doit structurer la lutte. La lutte féministe visibilise l’invisible, le travail du soin, de la logistique, du collectif, de l’émotion. Il faut reconnaître à égalité toutes les formes de résistance, refuser les hiérarchies entre actions comme entre vies, et construire des pratiques réellement inclusives, solidaires et subversives.

C’est à chacun·e d’entre nous de reconsidérer notre vision de la lutte pour intégrer cette dimension, indispensable à notre émancipation collective.

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