Blast, les grenades et leur effet de souffle

Au moment où Castener nous vend ses nouvelles grenades « détonantes mais non déflagrantes et non mutilantes » sur les gens, ce témoignage décrit les effets précis des grenades à effet de souffle (GLI-F4 et GM2L) sur les corps.

Le général de gendarmerie Bertrand Cavallier explique dans Libération.

« Retenons quelques données simples à comprendre. Dès lors qu’une munition produit une forte intensité sonore, celle-ci est associée à un phénomène de souffle, c’est-à-dire de compression de l’air.
Il en ressort des risques de lésions auditives pour ceux qui sont à proximité immédiate de la munition lors de sa détonation/déflagration.
Par ailleurs, toute composition pyrotechnique peut causer des lésions cutanées, musculaires, osseuses… Il en va de même pour cette nouvelle grenade. »

Pour être très clair, voici une illustration concrète de ce qu’explique ce monsieur :

Lors d’un acte du début des Gilets jaunes, une patrouille à cheval a foncé sur la foule. Une cavalière m’a envoyé une grenade à moins de 5 mètres. J’ai très nettement vu le projectile arriver et j’ai pu identifier que c’était une grenade à effet de souffle.

Quand la grenade arrive, c’est comme dans un accident de voiture, le temps passe d’un seul coup au ralenti, tout se décompose, c’est un état de conscience modifié. Parfois, cela permet de prendre de bonnes décisions. Tout passe tellement vite que l’esprit voit au ralenti, le sentiment de peur n’a même pas le temps de s’installer : tu vois ta mort.

J’ai fait comme on m’a appris depuis tout petit : bouche ouverte, oreilles bouchées (pour ne pas crever les tympans), face tournée vers le sol pour protéger le visage, ensuite ça a pété.

Une brusque suffocation comme je n’en avais jamais connu m’a envahi d’un seul coup : comme si des masses d’air énormes me rentraient par la bouche. Je n’avais jamais ressenti ça. Quand ça a pété, j’ai cru que j’explosais de l’intérieur, comme un sac en plastique crève. Ensuite j’ai eu l’impression de crever de mort lente pendant trois jours. À un moment tout a basculé, j’ai senti que mon corps reprenait le dessus. Je vois maintenant tout ça de très loin, comme un voyage que j’aurais fait il y a très longtemps dans un pays lointain. J’écris ici pour ne pas oublier.

J’ai eu ensuite des crises d’asthme pendant plusieurs mois, et du pus dans la gorge toutes les nuits. Impossible de trouver le sommeil. Mais il m’a fallu longtemps pour comprendre exactement ce qui s’était passé. D’ailleurs je n’ai été me faire soigner que longtemps après le blast, à cause de l’asthme et du pus.

À ce moment, mon esprit avait coupé le lien entre l’explosion et mes symptômes respiratoires. Du coup ma docteure m’a soigné pour de l’asthme qui ressemblait à une bronchite chronique. J’ai eu un traitement très long et très dur de cortisone pour empêcher la surinfection et de la Ventoline pour rouvrir de force les bronches.

Dans ces histoires de grenade, on se focalise sur les éclats, mais le vrai problème c’est l’onde de choc qui crée une brusque surpression des poumons. Le « blast pulmonaire » fait péter tous les vaisseaux sanguins qui irriguent ces organes, c’est mortel. Normalement c’est fatal. J’ai simplement eu de la chance. Ensuite, c’est les bronchites à répétition.

Mon fils était dans les attentats de Bruxelles. Il était près de la bombe, mais il a survécu parce qu’il n’a pas couru vers la deuxième bombe comme tout le monde. Pour moi, quand tu utilises sciemment des explosifs contre un-e autre humain, ça te définit comme non-humain parce que tu ne laisses à l’autre aucune chance de s’en sortir. Le blast c’est anonyme, c’est imparable et irréparable, c’est fait pour éradiquer toute forme de vie en face en évitant le face à face.

Depuis les attentats, les flics sont devenus CE contre quoi ils luttent. N’importe quel combattant de n’importe quelle guerre sait que la déshumanisation de l’adversaire, acceptée et assumée (par confort mental, faiblesse ou lâcheté), déshumanise l’ensemble des combattants, et ça c’est une onde de choc encore plus dangereuse que les éclats de grenade parce qu’elle fonctionne par effet de retour et qu’il est impossible de s’en protéger.

J’ai vu les traits de celle qui m’a jetée la grenade, elle était très jeune, belle, et en même temps, elle avait le visage retourné, j’ai senti une angoisse extrême la défigurer. Elle faisait du mal par peur ou pour avoir des primes. Pourtant personne d’entre-nous (des femmes, des jeunes) ne voulait la tuer.

Normalement la mort c’est comme le cavalier de l’apocalypse, elle n’a pas peur. "Je vis un cheval blanc, et celui qui était monté dessus avait un arc, et on lui donna une couronne, et il partit en vainqueur, pour remporter la victoire." dit l’Apocalypse de Jean. Là j’ai vu que la mort avait peur. J’ai compris que c’est peut-être pour ça qu’elle nous harcèle toute notre vie.

Qu’avait-on raconté des Gilets jaunes à cette jeune cavalière pour qu’elle ait peur à ce point de nous ? De mon point de vue, depuis le sommet de la chaîne de commandement, ils ont forcément chauffé leurs troupes pour qu’ils perdent les pédales, afin de les emprisonner dans leurs peurs pour leur faire faire n’importe quoi. Je sais que les guerres tuent plus de civiles que de soldats mais tirer sur un civil avec des explosifs, ça relève dans tous les cas du crime de guerre, à plus forte raison quand il se signale comme cible avec une veste jaune.

Si vous êtes cette jeune femme, si vous recevez ce message, sachez que je pense à vous. Je vous écris cette lettre parce que je voudrais savoir si aujourd’hui vous allez bien.

Localisation : Paris

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