Battisti libero ! Libérons l’Italie du nouveau fascisme

Cesare Battisti est maintenant dans une prison de haute sécurité en Italie, voué, comme l’a souhaité Matteo Salvini, Ministre de l’Intérieur italien et chef de la Lega, « à pourrir en prison ».

Cesare Battisti est maintenant dans une prison de haute sécurité en Italie, voué, comme l’a souhaité Matteo Salvini, Ministre de l’Intérieur italien et chef de la Lega, « à pourrir en prison ». Matteo Salvini a ajouté que ce n’était que justice rendue aux victimes « d’un assassin, lâche, criminel et communiste ».

Cesare Battisti a été pris pour cible par l’État italien depuis vingt ans, parce que l’État italien voulait se venger de tous les militants du mouvement insurrectionnel dans l’Italie des années 1970, qui avaient échappé à l’arrestation et aux années de taule et avaient trouvé refuge dans des pays qui concevaient et appliquaient des principes d’état de droit, en France en particulier.

En effet, fuyant la prison ou la mort, un millier de militants italiens des groupes politico-militaires du mouvement avaient rejoint la France en 1982-83, certains étant passés auparavant par des pays d’Amérique Latine, la Grèce ou l’Algérie : quand on fuit, on va là où on peut être accueilli. Et c’était alors le cas de la France, où Mitterrand, en septembre 1981, avait déclaré qu’il était disposé à accueillir les militants italiens, à condition, bien sûr, qu’ils déposent les armes.
Suite à sa déclaration, des centaines de militants italiens en déperdition, traqués par les forces de l’ordre, criminalisés aux yeux de l’opinion publique, avec la perspective d’être arrêtés, torturés (en 2012, l’État italien, par la bouche de ses exécutants policiers, a finalement reconnu les faits, sans aucune poursuite, bien entendu …), tués ou de crever en prison, ont pris le chemin de l’exil.

Ce n’était pas les premiers Italiens fuyant la répression à venir s’installer en France : avant eux, garibaldiens, antifascistes et communistes avaient été accueillis dans celle qui depuis la Révolution française avait été nommée « la patrie des droits de l’Homme ». « Un homme libre a deux patries, la sienne et la France », avait déclaré Franco Piperno (l’un des fondateurs de Potere Operaio) reprenant Thomas Jefferson.
Suivant le cours des choses, après s’être évadé, en 1981, de la prison de Frosinone (près de Rome), et être passé par l’Amérique latine, Cesare Battisti s’est réfugié en France. D’où, après s’être affirmé comme un grand écrivain de polars, il a dû déguerpir en 2004, quand Chirac avait autorisé son extradition vers l’Italie. Réfugié au Brésil, il a dû faire encore quatre ans de prison, avant que le président Lula ne refuse formellement son renvoi en Italie.

L’État italien, depuis 1982, n’a eu de cesse de demander l’extradition des « terroristes italiens réfugiés en France ». Sans succès : les quelques anciens militants arrêtés ont été relâchés par les tribunaux français et, sauf exception (Paolo Persichetti), l’État français a refusé l’extradition en raison des règles de droit en vigueur en Italie (état d’exception, suspension des droits) et du caractère politique des accusations portées par l’Italie contre les militants des groupes révolutionnaires. Par la « doctrine Mitterrand » l’État français a concédé une amnistie de fait à plusieurs centaines de militants, leur permettant de vivre en liberté, faisant ce que l’État italien n’a pas eu le courage de faire. Il faut rappeler que Mitterrand avait donné l’amnistie à des militants de groupes armés corses, basques et d’Action Directe.

Face aux refus des autorités françaises, l’État italien a mis les projecteurs sur Cesare Battisti. Pourquoi ? Parce ce que s’en prendre à Toni Negri, Oreste Scalzone et d’autres anciens militants de l’autonomie ouvrière italienne et de ses groupes armés, signifiait s’en prendre à un mouvement politique, avec des revendications, des motivations, des idéaux.
S’en prendre à Cesare Battisti c’était s’en prendre à quelqu’un qui, à l’origine, était un prolétaire qui voulait s’en sortir en volant et en braquant des banques plutôt qu’aller travailler à l’usine, à quelqu’un qui s’était politisé en prison en côtoyant des prisonniers politiques, qui avait ensuite rejoint les groupes armés de l’autonomie italienne et avait participé à des assassinats. Pas n’importe lesquels : parmi les quatre homicides attribués par les tribunaux italiens à Cesare Battisti (un chef surveillant de prison, un policier, un joaillier, un boucher) les deux derniers sortaient, en principe, du critère de l’homicide politique. Sauf à considérer les circonstances de l’exécution (le joaillier était armé et s’était défendu, le boucher avait fait arrêter auparavant des camarades). Mais c’était, pour l’État italien, le gibier de choix, la cause indéfendable.
Battisti, le nouveau monstre, l’homme à abattre, à mettre en prison à 64 ans jusqu’à la fin de ses jours.
Pourquoi l’État italien et ses représentants, d’hier et d’aujourd’hui, s’acharnent autant contre un individu ? Évidemment parce qu’à travers lui ils veulent stigmatiser, criminaliser, présenter comme « années de plomb » le mouvement insurrectionnel italien des années 1970. À travers Cesare Battisti ce sont tous les militants révolutionnaires qui sont visés. Tous ceux qui ne se sont pas repentis, qui ont continué à penser que les années 70 avaient été d’abord des années de rêves, d’expérimentations, de propositions concrètes, de luttes collectives pour construire une société égalitaire et fraternelle.

C’est incroyable : en 1972, l’État italien a amnistié les résistants communistes qui, entre 1943 et 1948, ont continué la lutte non seulement contre le fascisme mais pour le communisme. Vingt-cinq ans après. Quarante ans plus tard, l’État italien non seulement n‘envisage toujours pas une amnistie pour les militants des groupes révolutionnaires des années 70, mais redouble d’efforts pour attraper celles et ceux qui ont réussi bon an mal an à échapper à la prison. Un cauchemar insensé. D’autant plus si l’on songe que Battisti a été remis aux autorités italiennes par les gouvernements du Brésil et de la Bolivie, pays qui, avec l’Argentine et le Chili, ont accueilli et protégé pendant des décennies des criminels nazis !

Se posant encore et toujours en guerre contre les « terroristes » d’il y a quarante ans, l’État italien ne veut toujours pas admettre que dans les années 1970 le mouvement social issu de 68-69, qui a débouché sur le Mouvement de 77, était un mouvement de masse, suivi et soutenu par une partie importante des Italiens de l’époque. Un déni d’histoire. Un déni qui sert depuis lors à maintenir la société italienne dans l’impasse, tout mouvement social contestataire étant immédiatement assimilé à une résurgence du « terrorisme ».

Ce n’est pas Cesare Battisti seulement, ce ne sont pas les exilés italiens en France non plus qui sont dans le collimateur du gouvernement italien facho-populiste, c’est tous les Italiens exploités et opprimés d’aujourd’hui, tous les immigrés discriminés et méprisés dans cette Italie qui fut jusqu’aux années 1970 une terre d’émigration, qui auraient mille raisons de se révolter aujourd’hui et qui sont obligés de faire profil bas.
C’est pourquoi réclamer la libération de Cesare Battisti signifie réclamer qu’après quarante ans la chape de plomb pesant sur l’histoire des années 1970, sur les idées, les luttes, les désirs et les pratiques collectives qui s’y sont exprimées, soit enfin levée.

Les Italiens savent que Cesare Battisti a un homonyme célèbre (Trente, 1875-1916), héros de la guerre contre l’Empire Austro-Hongrois, socialiste de la première heure, fondateur en 1900 du journal « Le Peuple ». Les Italiens ont peut-être oublié que, capturé sur le front, il a été condamné à mort par un tribunal militaire autrichien, qualifié de « traître, escroc, lâche et déserteur ». Deux jours avant d’être pendu dans les fossés de la prison de Trente, le 12 juillet 1916, on lui avait fait traverser la ville enchaîné et enfermé dans un panier, entouré de soldats. Puis son corps fut exhibé en public par ses bourreaux, en riant (cf. photo).

Après avoir rattrapé Cesare Battisti, l’État italien s’apprête à demander l’extradition d’un certain nombre d’anciens militants révolutionnaires italiens vivant en France. Derrière la vengeance froide, le gouvernement facho-populiste italien actuel rejoue la stratégie de la peur, pour empêcher qu’un nouveau mouvement révolutionnaire voit le jour en Italie.

À lire également...