Article initialement publié sur Rebellyon
Depuis le 8 avril, 5 personnes ont été tuées par la police, 3 autres ont été blessées gravement et 7 ont porté plainte pour violences policières.
Toutes ces histoires ont un point commun : il n’y a aucun témoin, en dehors des flics impliqués dans la mort de ces personnes. En temps « normal » même avec des témoins et des vidéos, la grande majorité des affaires de morts en lien avec la police se termine par un non-lieu. Sans preuve ni témoin extérieur, il y a donc encore moins de chance que quiconque soit un jour condamné pour ces morts ni ne s’excuse.
N’ayant aucune autre version que celle des flics, les médias eux aussi se contentent – encore plus qu’à l’accoutumée – de faire un copier-coller de leurs déclarations. Comme si le procès était déjà bouclé, les journalistes ne prennent même pas la peine d’interroger les nombreuses incohérences des récits policiers. Aucun média n’a d’ailleurs pris la peine de mettre en lien ces affaires.
Afin d’y voir plus clair, voici ce que dit la presse de ces morts et les incohérences que nous avons décelées
Liste des personnes tuées depuis le 8 avril et analyse des faits relatés dans les médias
- Le 8 avril à Béziers :
Mohammed, 33 ans, est mort au commissariat de Béziers vers 23h30 le mercredi 8 avril, après son interpellation par la police municipale pour « non-respect du couvre-feu ». Ce n’est pas une des armes à feu dont est équipée la police municipale de Béziers qui a tué un homme, mais surement une nouvelle fois, une « technique d’immobilisation ». Au moins un des agents s’est assis sur l’homme allongé à plat ventre et menotté dans la voiture. La presse insiste dès le lendemain sur le caractère instable de l’homme qu’il serait un SDF… Bien qu’elle semble difficilement prouvable faute de témoin, la vérité semble simple : les flics l’ont tué par étouffement en s’asseyant sur lui. [1]
- Le 10 avril à Cambrai :
Les flics veulent arrêter deux hommes qui, pris de panique – car dehors sans d’autorisation de sortie -, prennent la fuite. Les flics les prennent en chasse, puis en pleine ligne droite la voiture part en tonneau au milieu de la route… pas de caméra, pas de témoin, on ne saura jamais ce qu’il s’est passé. Pourtant, faire un tonneau au milieu d’une ligne droite avec aucun obstacle ne semble pas très cohérent. [2]
- Le 10 avril à Angoulême :
Même scénario : Boris, 28 ans, est intercepté par les flics, surement lui aussi sans autorisation de sortie. Il prend la fuite et, pris de panique, stoppe sa voiture au milieu d’un pont et saute dans l’eau. Il n’en ressortira pas vivant. On ne saura là encore surement jamais ce qu’il s’est passé, faute de témoin. Entre se soumettre à un contrôle censé être « routinier » et sauter d’un pont, certains font donc le choix de sauter… Ce constat en dit long sur l’état de confiance de la population envers la police [3].
- Le 15 avril à Rouen :
Un homme, âgé de 60 ans, est décédé en garde à vue dans la nuit du mardi au mercredi 15 avril, au commissariat de police de Rouen. Le sexagénaire a été placé en garde à vue la veille en fin de journée, pour une conduite sous l’emprise de l’alcool. Vers 5h, alors qu’il était extrait de sa cellule pour être entendu, il fait un « malaise ». Malgré les tentatives de réanimation, il décède. Selon la police, les causes de sa mort ne sont pas encore connues. Comme bien souvent, avec des policiers comme seuls témoins, il sera bien difficile d’imputer une quelconque responsabilité à ses geôliers ou aux conditions de détention. [4]
- Le 15 avril à La Courneuve (93) :
Un jeune de 25 ans est aperçu par des flics à cheval dans le parc de La Courneuve (qui est fermé pour cause de confinement). Ils s’approchent de lui et, selon eux, le voient tenir un couteau. Le jeune aurait alors attaqué un cheval, suite à quoi les flics prennent la fuite et préviennent leurs potes à vélo, qui l’encerclent un peu plus loin. Selon eux, l’individu se serait jeté sur eux et les flics n’auraient eu d’autres choix que de lui tirer 5 balles, dont 3 en pleine tête… Comme d’habitude avec les flics, on ne comprend pas comment 3 personnes entrainées et armées avec des lacrymos et taser en viennent toujours à tuer quelqu’un de plusieurs balles… Tirer dans le genou ou dans le bras ne semble pas être dans leur formation… Bien sûr les journaux ont titré sur le fait que le jeune était Afghan, tout en précisant en tous petits caractères que sa situation était parfaitement en règle… Certains retiendront que les flics ont fait leur boulot… Nous retiendrons que les flics ont encore tué quelqu’un avec 5 balles parfaitement ajustées, non pour désarmer, mais pour tuer. [5]
En plus de ces morts, de nombreux cas de violences policières sont recensés
Nous avons relevé 3 autres affaires dans la presse :
- Le 7 avril à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines,
Six policiers interviennent, selon eux « pour mettre fin à un rodéo en motocross ». Au final, une intervention policière a blessé grièvement une enfant de 5 ans au lanceur de balles de défense. Au cours de cette intervention policière, les autorités reconnaissent que les policiers ont procédé à 14 tirs de LBD et 9 lancers de grenades (une lacrymogène et 8 de désencerclement). C’est lors de ces échanges de tirs qu’une fillette de 5 ans, qui accompagnait son père pour descendre les poubelles, a été atteinte en pleine tête. Le tir a provoqué un grave traumatisme crânien qui a nécessité une prise en charge chirurgicale de la fillette, qui a été transférée à l’hôpital Necker à Paris en réanimation. [6]
- 15 avril à Noisy-le-Grand (93)
Un flic qui n’est pas en service, incommodé par la musique trop forte d’un voisin, sort de chez lui pour le menacer. Le voisin rigole et monte le son. Le flic part chercher son flingue et retourne menacer son voisin. Selon lui, c’est au moment où il allait reprendre l’ascenseur que le voisin aurait foncé sur lui avec un couteau. Le flic aurait alors fait usage de son arme et tiré sur le flanc droit de l’assaillant. Cette fois-ci, il y aura des témoins : un autre voisin qui était venu avec le flic demander à ce que le son soit baissé, puis indirectement,les autres habitants de l’immeuble, sortis sur leurs paliers suite à la détonation… Le lendemain, des photos du flic se vantant auprès de ses proches d’avoir tiré sur son voisin circulent sur SnapChat [7]… Pourtant, après une courte audition de quelques heures, le flic est relâché en liberté surveillée avec interdiction de reprendre son flingue… Si à l’inverse, un voisin avait sorti un fusil pour lui tirer dessus, il fait peu de doute qu’il dormirait déjà en prison… [8]
- 18 avril à Villeneuve-la-Garenne (92)
Vers 23 heures, un jeune homme de 28 ans roule sans casque en direction de l’île Saint-Denis. Devant lui, une voiture banalisée des flics roule sans gyrophare ni rien ne laissant penser qu’il s’agit de flics. Au moment où le motard arrive à hauteur de la voiture, la portière avant droite de la voiture s’ouvre. Ce geste serait réalisé de façon délibérée assurent les témoins la scène. Le pilote est alors fauché : il est éjecté de la moto et percute un (ou deux, selon les versions) potelet(s). L’une de ses jambes est fracturée (elle n’a pas été arrachée comme initialement indiqué), subissant une lourde intervention chirurgicale au cours de la nuit. Son pronostic vital n’est cependant pas engagé indiquent les pompiers. Cette fois-ci, il y a de nombreux témoins, des vidéos et du monde qui sort dans la rue assez enervé contre les flics. Quelques heures après, l’info est dans toute la presse, et même Sos Racisme – que l’on pensait disparus – sort un communiqué demandant des explications à la pref’… Pourtant, même avec cette accumulation de preuves, le syndicat des flics Synergie se glorifie sur Twitter d’avoir débarrassé avec héroïsme le quartier d’un dangereux individu… [9]
L’Association de lutte Contre les violences policières a quant à elle déjà enregistré 7 plaintes contre les flics [10] :
- Le 19 mars À Torcy
C’est Chems, 19 ans, qui a été agressé par des policiers. Il attendait un ami en bas de sa tour lorsque des policiers l’ont contrôlé. Chems reconnaît qu’il n’avait pas d’attestation et qu’il a commencé par donner un nom fictif avant de décliner son identité. En réponse, un agent de police lui saute dessus et l’étrangle au point qu’il n’arrive plus à respirer, pendant que son collègue scande des insultes racistes aux témoins inquiets qui criaient par leurs fenêtres face à cette scène de violence. Une plainte a été déposée et le Défenseur des droits a été saisi. Une enquête a été ouverte par le parquet de Torcy.
- Le 19 mars 2020 À Aubervilliers
C’est Ramatoulaye, 19 ans, qui a été frappée, insultée et tasée par des agents alors qu’elle était sortie faire des achats de première nécessité pour son bébé âgé de 6 mois. Arrivée à proximité de son domicile, et en présence de son petit frère âgé de 7 ans, Ramatoulaye a été contrôlée par huit policiers qui décidèrent que son attestation manuscrite ne suffisait pas. Le ton est monté et un policier a soudainement envoyé un coup de taser à la poitrine de la jeune femme. Résultat ? 5 jours d’ITT, et là encore, des blessures psychologiques invisibles. Une plainte a été déposée et le Défenseur des droits a été saisi.
- Le 23 mars 2020 aux Ulis
Yassin, 30 ans, a été tabassé par des policiers alors qu’il sortait de son immeuble pour aller acheter du pain. Il n’a même pas eu à présenter son attestation ou à justifier sa sortie, puisque les agents, qui étaient « déchaînés » selon son témoignage, l’ont directement pris à partie. Plaquage contre le mur, coups de pied, coups de matraque lui ont valu 5 jours d’ITT. Une plainte a été déposée.
- Le 24 mars 2020 aux Ulis toujours
Sofiane, qui avait oublié son attestation, a été pris de panique à la vue des policiers et a tenté de les fuir. Au lieu d’être arrêté et verbalisé, il a subi des violences physiques aggravées de la part d’agents de la BAC. Ce passage à tabac lui a valu 4 jours d’ITT, 15 jours d’arrêt maladie prescrit par un psychiatre, et un important traumatisme. Une plainte a été déposée.
- Le 1er avril 2020 à Montceau-les-Mines
C’est Walid, 30 ans, qui a été tabassé par des policiers. Un déchaînement de violence qui lui a valu 16 jours d’ITT et, là encore, un important traumatisme psychologique. Ce soir-là, Walid était simplement sorti s’acheter à manger. Il était en voiture lorsque la police l’a arrêté. Régulièrement contrôlé, il l’a fait remarquer aux policiers et a sorti son téléphone pour filmer l’interpellation. C’est là que les choses ont dégénéré. Gazé, frappé, bloqué, Walid a subi de nombreuses violences, auxquelles se sont ajoutées 48h de garde à vue pour… outrage, rébellion et violences contre les policiers. Résultat ? Lui qui n’avait jamais eu maille à partir avec la justice s’est retrouvé jugé en comparution immédiate. Une plainte a été déposée.
- Le 4 avril 2020 aux Lilas puis à l’entrée de l’autoroute près de Montreuil
C’est Mohamed, 22 ans, qui a été passé à tabac par des policiers. Ce jour-là, Mohamed a subi deux contrôles de la part des mêmes agents, à quelques minutes d’intervalle. La première fois, il était en train de faire des courses pour sa grand-mère. Pris à parti par des policiers, il a finalement été relâché, car tout était en règle… mais quelque temps après, alors qu’il avait pris sa moto pour rentrer chez lui, il a été arrêté et menacé par les mêmes policiers. Pris de panique, il a tenté de fuir à pied, mais les policiers l’ont rattrapé. S’en est suivie une salve de coups qui a valu 7 jours d’ITT au jeune homme. Il a été frappé et tasé alors même qu’il avait encore son casque sur lui. Une plainte a été déposée.
- Le 10 avril 2020 à Saint-Pierre-des-Corps
C’est Mohamed, 26 ans, qui a été tabassé par des policiers. Pompier volontaire, il était sorti faire un footing tardif pour s’aérer l’esprit. Sur la route, il croise des habitants du quartier et les salue. C’est à ce moment qu’une voiture de police arrive. N’ayant pas leur attestation, plusieurs des personnes présentes se mettent à courir. Mohamed reste : il a son attestation et se dit qu’il n’y aura aucun problème. Mais le ton monte rapidement. Alors que Mohamed sort son téléphone pour filmer le comportement des policiers, il est gazé au visage à bout portant. S’en suivra une violente salve de coups. Un agent lui a même tiré sa capuche pour l’étrangler. Ce passage à tabac lui aura valu 10 jours d’ITT et un lourd traumatisme. Au-delà des marques de strangulation et des ecchymoses, Mohamed est sous le choc. Une plainte a été déposée.
Ces morts et ces blessé·e·s s’ajoutent aux 673 meurtres policiers recensés en 43 ans
Des morts dans les quartiers populaires aux mutilations dans les manifs, les flics s’adaptent aux réactions publiques, mais la volonté est la même, rappeler à tous et toutes qu’il faut baisser la tête, car la rue appartient à l’État. Que cela soit pour jouer au foot dans la rue ou occuper l’espace public, vous n’êtes pas à votre place.
Il n’existe pas de « bavure policière » ou de « mauvais flic », mais un système de domination policière [11]. C’est la fonction même de la police de terroriser les pauvres et de maintenir les populations racisées des quartiers populaires dans une domination néocoloniale déshumanisée.
Cela dans un unique but : garantir le fonctionnement du capitalisme à tout prix.
Depuis le 8 avril, ce sont donc 5 personnes qui ont été tuées par les flics et qui s’ajoutent à une liste interminable et insoutenable.
Alors bien sur, chaque meurtre est rapidement minimisé : il faudrait que justice enquête, il faut laisser la présomption d’innocence aux flics, il faut lire la version officielle, il ne s’agit peut être que d’un accident…
Pourtant avec 673 meurtres policiers recensés en 43 ans, quelques soient les preuves apportées par les collectifs de soutien aux familles (vidéos, experts, contre-experts, témoins multiples…), quasiment aucun flic n’a été condamné, et quand ils le sont c’est pour des peines minimes.
N’attendons donc pas une hypothétique condamnation judiciaire pour le dire, affirmons-le, la police tue, a tué et tuera tant qu’elle existera. Les flics ont tué 5 hommes en 8 jours et en ont mutilés ou blessés plus de 10
La police tue et mutile. Pensée à toutes les victimes et leurs familles