« Attaquer l’univers culturel qui permet aux organisations néo-fascistes d’exister »

Depuis quelques mois, nous avons commencé à créer des liens avec les militant·e·s de l’Azione Antifascista Roma Est. On leur a récemment posé quelques questions pour mieux comprendre la situation politique en Italie et leur point de vue sur le militantisme antifasciste.

Questions-réponses avec l’Azione Antifascista Roma Est (Partie 1/2)

Quand est né votre groupe et pour quelles raisons avez-vous décidé de le fonder ? Quelles sont vos pratiques militantes ?

Nous sommes nés il y a un peu plus d’un an ; beaucoup d’entre nous viennent d’autres expériences de lutte, donc notre groupe a une composition assez hétérogène en termes de formation politique. Nous avons commencé l’antifascisme en essayant de répondre aux organisations néo-fascistes qui sont particulièrement présentes et envahissantes, y compris dans nos quartiers, lors des campagnes électorales. Nous nous sommes rendus compte des limites de notre action militante : toujours à la traîne par rapport à notre adversaire, mécanique, dénuée d’imagination, en bref, elle était inefficace pour répondre à l’urgence du problème.

Nous nous sommes également rendus compte que les fascistes ont réussi à rendre leur discours et leur imaginaire attrayants et désirables, notamment pour de nombreux jeunes. Et ces derniers, au contraire, se fichent des messages portés par les mouvements sociaux. C’est une responsabilité que nous devons endosser comme militants : nous nous sommes refermés sur nos convictions et sur nos mots d’ordre, nous avons cessé d’expérimenter, de proposer, de dialoguer et de nous mélanger au monde environnant, car nous pensions détenir une vérité supérieure. En faisant cela, nous avons laissé le champ libre à nos ennemis, leur permettant d’occuper des espaces qui étaient les nôtres autrefois.

Nous avons ainsi compris que nous contenter d’un antifascisme militant classique (qui est absolument juste, nécessaire et défendable) est insuffisant, étant donné que le fascisme ne se réduit plus à quelques groupes minoritaires, mais s’est étendu jusqu’à devenir une véritable hypothèse politique, une langue officielle et un sentiment commun diffus. Ce qu’il faut faire, avant toute chose, c’est construire des instruments conceptuels pour cerner notre ennemi et, de là, commencer à l’attaquer avec des modes d’action différents, qui s’appuient sur des situations concrètes.
C’est une stratégie de lutte multiforme que nous avons choisie d’entreprendre : nous nous sommes dotés d’appareils d’enquête pour comprendre quand et comment agit le camp ennemi, de quelle façon il déploie ses forces ; nous avons développé une stratégie de propagande qui comprend des actions, des collages, la diffusion de visuels, l’usage d’outils numériques, et qui utilise toute une série de slogans nouveaux à même de stimuler l’imagination de ceux qui nous lisent.

Nous avons compris par ailleurs, que chaque action aujourd’hui suppose que nous la mettions en récit, sans tomber dans la simple « scénarisation du conflit » : il faut rendre fascinant, attrayant et puissant chaque geste singulier, y compris des choses absolument banales comme le fait de placarder un texte sur un mur. L’expérimentation de différentes techniques d’autonarration, visant à la production d’un imaginaire antifasciste contemporain, nous a permis de donner plus d’importance et d’impact à des actions qui, par le passé, ne suscitaient aucune réaction.

Ce qu’il est fondamental d’attaquer, ce ne sont pas les organisations néo-fascistes, mais l’univers culturel et les mots qui leur permettent d’exister.