Syndicats, forains & autonomes
Certains l’avaient dit, d’autres pressentis, la fin des vacances sonne le début des hostilités. Ce 12 septembre 2017, chaque organisation se positionne dans la guerre en cours contre le projet néo-libéral de Macron. Oui, ça va gréver, ça va bloquer, ça va charcler.
La CGT et Solidaires ont vu leurs adhérents répondre à cet appel. De nombreuses unions locales de Force Ouvrière ont conservé leur autonomie en décidant de prendre part à la grève et à l’opposition de rue. On entrevoit des débordements possibles de la direction par la base, révélant des antagonismes par une critique en actes de la bureaucratie.
Les forains, mobilisés à la fois contre une ordonnance visant à ubériser leur métier et contre la Loi Travail XXL, ont bloqué de nombreux axes routiers, provoquant le retard de travailleurs et de marchandises, et perturbant partiellement le cours quotidien de l’économie. Alors pour faire mouvement nous devons multiplier les pratiques de blocage empêchant l’économie de fonctionner normalement, être un grain de sable dans la machinerie capitaliste.
Enfin, les jeunes et les autonomes, n’ont pas réussi d’une part à bloquer des établissements scolaires, d’autre part à exister autrement que dans le champ désormais cloisonné, car prévisible, du cortège de tête, c’est-à-dire là où on les attendait.
Le cortège de tête, entre puissance et enfermement
Le cortège de tête s’affaiblit, englué dans un fétichisme émeutier, en incapacité de s’exprimer autrement qu’à travers l’affrontement.
Plus que jamais, il semble nécessaire de se souvenir que le cortège de tête est apparu lorsque la frange la plus déterminée de la jeunesse, empêchée de plus en plus férocement de partir en manifestation sauvage, a décidé de prendre la tête du cortège syndical, montrant par là son désir de s’émanciper des formes établies de la politique contestataire. Le préalable à cette énergie résidait dans les blocages d’établissements scolaires, en ce qu’ils permettent de libérer du temps et de déjouer le dispositif gouvernemental qu’est le rythme imposé par l’institution scolaire. Ceux-ci ont été indispensables à l’apparition de la tête de cortège.
Ces gestes ont introduit du politique, là où il n’existait jusqu’alors qu’à l’état de potentialité, sous forme de révoltes individuelles et isolées, qui se sont alors trouvées pour s’exprimer collectivement, au sein des comités d’action ou d’une assemblée ouverte, au détour d’une occupation d’une salle ou d’un blocage.
Déjeuners collectifs, ateliers banderoles, distributions de tracts, et une foule d’activités rendaient ces moments vivants. Les manifestations lycéennes, expression d’une composition plus large, réunissaient des jeunes révoltés, des collectifs autonomes et les traditionnelles forces de la gauche. C’était l’occasion rêvée d’expérimenter des nouvelles modalités d’actions, en y liant la volonté de les rendre diffuses et ré-appropriables. Du matériel été distribué dans les cortèges à qui voulait en faire usage : bouteilles de peinture, cagoules rouges et t-shirts de couleurs pour se masquer, numéro de l’équipe anti-répression, fumigènes et torches, marteaux pour attaquer les symboles du capital et bâtons pour organiser la défense face aux flics. On vit au fil de ces semaines se mettre en place les premières équipes médicales, mais aussi la question de la répression se poser de manière concrète.
Cherchant à s’extraire d’un « milieu », régulé par des pratiques et des codes, cette dynamique d’organisation fût diffuse. L’autonomie, c’est non seulement la densification des liens par le dialogue et la pratique, mais la transmission de nos pratiques, l’articulation stratégique de nos formes de luttes avec celles d’autres composantes du mouvement révolutionnaire.
C’est cette même logique qui s’est exprimée lors des révoltes qui ont fait suite au viol de Théo par des policiers. Il s’y est vu une composition entre jeunes des centres-villes et jeunes des quartiers populaires, un partage réciproque de l’émeute et des savoirs. Cela n’est pas suffisant, mais laisse entrevoir des brèches pour connecter des mondes qui jusqu’à présent se regardaient de loin sans jamais se rencontrer.
Brouiller les identités pour se mouvoir. Partager des savoirs pour en faire un usage collectif. Accroître notre force. Nuire aux dispositifs d’anéantissement de la révolte que sont les manifestations syndicales en lui donnant un caractère festif et offensif. Pour un cortège de tête offensif, pour l’autonomie diffuse, multiplions la subversion, pensons au Nous.
Aujourd’hui, la guerre sociale
Aujourd’hui, la guerre sociale menée par le gouvernement de technocrates sous l’égide de Saint Macron ne laissera personne indemne. Nous voyons bien que partout les emplois sont précarisés rendant l’inconfort du travail toujours plus pénible. L’État dit ‘social’ meurt petit à petit, ce qui se traduit par des baisses constantes des aides, les migrants refoulés et renvoyés chez leurs bourreaux, les facultés menacées de devoir sélectionner aux entrées, pendant que les bourges voient leurs impôts diminuer. Une chose est sûre, Macron va bel et bien redresser la France et pour cela c’est la plèbe qu’il veut écraser.
Oui, l’autonomie est une force conséquente ! Nous sommes nombreux et on a pu le constater notamment lors du sommet contre le G20, mais aussi lors des différents événements à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, des mobilisations contre les violences policières ou encore lors de l’opposition à la mascarade présidentielle prenant des formes variées selon les villes. Il ne tient qu’à nous de développer nos réseaux pour s’accorder sur des dates communes, partager les tâches nécessaires pour occuper des facultés, aider les lycéens face à la police lors des blocages, et d’opérer des rapprochements avec les travailleurs pour proposer une aide matérielle concrète qui se traduit par des tunes pour faire grève, de la bouffe et des bras pour aider sur les points de blocage économique.
Penser le mouvement social revient d’une certaine manière à être capable de s’en extraire. Superposer plusieurs temporalités. Les immeubles vacants, une fois occupés, ne dureront qu’un temps, mais permettrons d’expérimenter d’autres formes de vie basées sur le partage – le communisme – et en période de forte tension sociale d’avoir un espace d’organisation politique pour faire face au capital. Au-delà des bâtiments occupés, il existe diverses cantines pérennes ou éphémères, des locaux d’expérimentations politiques ou des centres sociaux autogérés. Ce tout recouvre une caractéristique commune : faire sans l’État, faire sans le gouvernement, rendre inapte, destituer.
Pour gagner cette guerre, nous devons politiser l’ensemble des questions du quotidien. C’est la seule manière d’agréger du monde et d’être plus nombreux à jouer son corps dans la bataille.
La force du Mouvement Inter Luttes Indépendant, collectif de jeunes autonomes, a réussi à développer de 2012 à 2016 son propre agenda politique en étant à l’initiative de nombreux appels à blocage, organisation d’assemblées pour développer la coordination entre les différentes composantes de la jeunesse, mais également d’un tas d’activités, du tournoi de foot, en passant par des concerts, des projections, des collectes pour les réfugiés dans les lycées et d’une diffusion du matériel (tracts, stickers, affiches) à disposition. Loin d’être parfait, son expérience démontre qu’agir à l’extérieur de la structure n’empêche en aucun cas de l’attaquer et ne revient pas à se marginaliser. Sa plus grande réussite fût sûrement de rompre avec la séparation entre jeunes politisés et non politisés, créer des brèches en développant une contre-culture compréhensible par d’autres jeunes, politiser des questions qui ne l’étaient pas jusqu’alors, pour le dire de manière grossière faire en sorte que les militants ne soient plus des extraterrestres pour les jeunes de l’est parisien.
À présent, les autonomes savent bien que cette société est décomposée. Il ne reste plus grand chose qui tient et les communiqués ne font que le répéter, mais sans jamais ne rien dire de plus. Nous avons besoin de mettre des mots sur les choses qui nous dérangent, d’aller au fond de celles-ci pour trouver des solutions pratiques. Essayer, quitte à échouer. Prendre des risques comme lorsqu’on jette des cailloux sur une rangée de CRS pour la première fois, et être en mesure de se lier à d’autres personnes.
Ceci n’est pas un appel à la diversité des pratiques ou à rejoindre ce qui est déjà là, mais un appel au dépassement des formes qui sont devenues des zones de confort. Sortir du confort implique de prendre des risques, d’être capable d’aller vers des gens loin d’avoir le regard politique que nous portons sur la vie, construire des situations d’effervescence collective où chacun sent ce désir d’en être. Dépasser revient à injecter du neuf dans du vieux, tout en n’oubliant pas ce que le vieux enseigne comme construction nécessaire pour faire d’un mouvement une période pleine de possibles.
Quelques autonomes.