À propos du service d’ordre et de ses syndicats : Lettre aux uns et aux autres

Dans ce texte, ce dont nous voulons traiter, c’est de l’expérience toujours renouvelée du service d’ordre, des syndicats, ces entités mastodontesques à la démarche boiteuse. Après le récit de la manifestation, nous rappellerons les mots qu’Émile Pouget adjoignit à l’acronyme CGT ainsi que les frasques syndicales d’antan — majoritairement portées par les bases militantes. Nous terminerons par une analyse générale en suggérant ce qui, à nos oreilles, pourrait faire souffler un vent doucement révolutionnaire, ou seulement progressistes, connaissant les forces aujourd’hui en mouvement.

Les blancs débarquent. Le canon ! Il faut se soumettre au baptême, s’habiller, travailler.

LE RECRUTEUR : Adjudant, je flaire un esprit d’insubordination qui se dégage de cette personne. Alors qu’au camp on a besoin de discipline.

Nietzsche dit quelque-part, d’après la vulgate, que « le diable se cache dans les détails. » Les détails, où se cachent-ils, eux, quand apparaît en gros, si gros, encore et toujours, la persistance dont accouche la répétition ? Moments qui pénètrent le crâne à forts coups de bidules et de palets, à forts coups de gazeuses et de gourdins. La manifestation s’arrête — la rage, pleine de sang et de peurs, de corps et de cris, ne désenfle pas. Les contusions, les ecchymoses, les meurtrissures et autres macules catarrheuses non plus. Ce qu’il s’est passé ce samedi 11 mars, ce mardi 7 mars, cette année 2022, 2021 … 2016 n’ajoute pas qu’à la liste des malheureux moments que nous vécûmes, mais, constitués par ceux-ci, dessine les grands traits d’un détail qui n’en est plus un. On ne s’éveille pas un matin, au sortir de rêves agités, métamorphosé en misérable vermine.

Dans ce texte (que nous voudrions plus concis, mieux organisé, plus frappant, mais tant pis, le temps presse), ce dont nous voulons traiter, c’est de l’expérience toujours renouvelée du service d’ordre, des syndicats, ces entités mastodontesques à la démarche boiteuse. Ce que nous traitons ici fut déjà traité ailleurs, bien mieux, bien plus longuement, bien plus concisément, bien autrement. Au travers du récit de cette ténébreuse journée de manifestation du 11 mars, nous voulons asséner la critique, toute négative, que nous pensons absente de vos esprits, vous service d’ordre, vous centrales. Critique ne visant qu’à faire choir les formes encroûtées de luttes qui enferment et reconstituent ce que, tous — nous semble-t-il —, nous abolirons [Aufhebung] ; critique s’inscrivant in praxis dans le mouvement réel abolissant l’état de chose : abolissant le capitalisme.

Que la dureté du propos ne masque pas la camaraderie, ne masque pas les chants : « car c’est tous ensemble qu’il faut lutter / c’est tous ensemble qu’on va gagner ! »

Après le récit de la manifestation, nous rappellerons les mots qu’Émile Pouget et ses camarades adjoignirent un jour à l’acronyme CGT ainsi que les frasques syndicales d’antan — majoritairement portées par les bases militantes. Nous terminerons par une analyse générale en suggérant ce qui, à nos oreilles, pourrait faire souffler un vent doucement révolutionnaire, ou seulement progressistes, connaissant les forces aujourd’hui en mouvement.

Récit de manifestation — un espace qui se creuse

Dès que possible nous appuierons notre propos par les images prises par CLPress [1] : à chacun de juger des éventuelles déformations des faits passés à la moulinette des gazs.

Le cortège de tête est éparpillé, divers mais nombreux ; ce n’est que le début. Au côté des gilets jaunes « piliers de manif’ », des jeunes « sans étiquettes » et autres badauds, se retrouvent des syndicalistes et des retraités. Ambiance festive, humeur printanière. À noter toutefois : les cortèges étudiants, ou dits tels, se retrouvent encastrés dans le cortège syndical. Le syndicalisme étudiant n’est-il plus un syndicalisme de combat ? Passons. De longues minutes. Le tout démarre, et les premiers bourgeons encapuchonnés « de noir » commencent à débourrer. Humeur printanière.

La tête plus dense, les premiers frimas d’insurrectionnalisme se font jour ; les premières vitrines se brisent ; les premiers feux de la journée s’allument. La cégéte n’est pas loin ; la tête toujours très hétérogène. La troupe arrive, pour ne plus jamais partir.
Une première charge, une deuxième, la tête reflue et s’arc-boute contre le service d’ordre de la manifestation. Se fait entendre ce qui, à intervalle régulier, heurtera — et hantera — nos tympans avec insistance : « Contournez-nous ! Contournez le cordon syndical ! Contournez le service d’ordre ! » Nous nous exécutons, non sans peine, pris entre un cordon de flics et un de syndicalistes — ou l’inverse. Bien qu’évènement fréquent, bien que directive usuelle, ce qui ressort de ces paroles, ce qui traduit ces paroles en actes, en pratique militante, est ce qui est questionné ici.

Car le SO doit empêcher, ou du moins contenir, ou plutôt contrôler le « reflux ». Lorsque les manifestants du cortège de tête, avec leurs pratiques militantes propres — que nous discuterons par la suite —, ne sont plus à même de tenir (la) tête aux forces de l’ordre ; ou encore lorsque ces jeunes « sans étiquettes » cités plus haut n’arrivent plus à respirer dans un dense nuage de gaz lacrymogène ; ou que les gendarmes mobiles sur nos talons, tonfa au bout du bras gauche, bouclier du droit, jouent des manches à nous en casser les genoux ; alors, lorsque cela advient, un reflux se produit en direction du cortège syndical, du service d’ordre, compact et équipé. Comme nous le verrons, le SO n’empêche pas stricto sensu le reflux. Le plus souvent il le dévie aux abords de la manifestation syndicale pour « ne pas […] rompre le cordon formé par les collectifs » présents au sein du SO. Cela, d’après les dires de ces « collectifs », s’inscrit dans le cadre du « respect de la diversité des tactiques ».

Règle syndicale : « Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs [du SO] n’ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d’assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical. »

Le problème dans tout cela est, qu’une fois le reflux advenu, des masses importantes de militants du cortège de tête se rangent non pas derrière le camion de la cégéte — comme cela leur serait sûrement interdit — mais aux abords directs du carré de tête, formant parfois des chaînes humaines compactes entourant le service d’ordre. Dans cette configuration, une myopie — sélective — s’immisce dans la règle syndicale. Que faire de ces camarades ? Que faire de ces camarades lorsque les gendarmes et autres flicaillons chargent, violemment, sur les côtés ? Que faire de ces camarades lorsque les gendarmes et autres flicaillons chargent, violemment, sur les côtés, et en embarquent plusieurs ?

« La théorie sans la pratique est inutile, la pratique sans la théorie est aveugle. » Réponse, syndicale : on laisse, devant nous, sans rien tenter, les camarades se faire interpeller. Le « service d’ordre », une dénomination à ne pas prendre à la légère ; prend « le parti de l’Ordre. »

« Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. » Ces phrases résonnent alors amèrement. Assumer sa propre protection n’exclut pas de faire face collectivement à la répression au-delà des stratégies de luttes employées par chacun. Que fait la CGT lorsque ses syndiqués, sa base, décide de prendre part à des actions (voir après) qui ne sont pas approuvées, voire rejetées, par la direction confédérale ? Elle leur ôte toute possibilité d’avoir accès à l’aide juridique syndicale ? Ou appelle-t-elle la soldatesque … ? Ce manque d’acuité, ou cette myopie, relevée précédemment, pourrait se synthétiser en deux questions : Existe-t-il des bons et des mauvais manifestants pour le SO ? Existe-t-il de bon et de mauvais syndiqués pour les centrales syndicales ?

Laissons la deuxième question aux syndiqués eux-mêmes. Quant à la première, un doute s’est installé — depuis 2016 « au mieux ». S’est fait jour le signal fort, du côté du SO, et donc de la CGT (et des autres organisations syndicales), d’une conception de la lutte comme désarticulée et désarticulable ; dans lesquelles les moyens d’action ne s’ajoutent pas synergiquement, mais se retranchent : à la recherche de la portion congrue. Il est important de noter que le SO n’agit pas en « électron libre ». Pour reprendre les propos de ce même SO : « Les dérapages violents et les fonctionnements en « électron libre » ne sont pas tolérés, et il est entendu que leurs auteurs doivent être évincés ; il suffit en effet d’un dérapage individuel pour ternir l’image d’un collectif. » Derrière les actions du SO, réside une position politique. Le SO met en branle, en pratique, dans la rue, les positions politiques, les soubassements théoriques, constituant et constitués par les centrales syndicales.

Le récit de cette manifestation du 11 mars éclaire le problème soulevé dans notre première question. Dès le début de la manifestation, et comme constante aussi universelle que celle de la gravitation, le SO s’est efforcé de maintenir un espace entre le cortège de tête et le cortège syndical. Certes, le SO a mandat de visibilité du carré de tête et des banderoles en son lieu. Cependant, la raison instrumentale de cet espace semble — empiriquement — être la matérialisation du no man’s land permettant à l’Ordre, de tous les « services », de séparer le bon grain, militant, de l’ivraie. L’avancée hachée du cortège syndical n’est que le résultat de ce positionnement politique de la part des centrales. Et c’est dans ces « interstices » que les pandores déboulent.

Et ça ne manque pas : à plusieurs reprises un cordon de mobiles ou autres CRS s’insère dans cet espace, entre le SO et le cortège de tête [21 :55 et 28 :45 par exemple]. Alors, il n’y a plus d’espace entre le SO et les forces de l’ordre. Est-ce cela que de « sécuriser les manifestantes et manifestants qui marchent avec la CGT » ? Cela rentre-t-il dans la stratégie consistant à « s’interposer […] pour empêcher l’attaque des cortèges syndicaux par la police » ? Rien n’est moins sûr.

Les CRS sont casqués, les militantes et militants du SO non : rien à craindre pour eux — de quoi chantonner un refrain : « Nos salaires sont trop faibles / Silence … » [21:55]. De l’autre côté du mur on s’échauffe, criant des timides « Libérez la CGT ! » « Libérez nos camarades ! » Le SO ne fait rien : situation enviable ? souhaitable !? Qui souhaiterait une telle proximité avec la maison poulaga ? Du « mauvais côté » les esprits s’échauffent, la troupe n’est guère appréciée dans les cortèges et on comprend guère pourquoi la cégéte ne tranche pas le cordon gordien. Après le dégagement des forces de polices on entend des « Allez ! venez ! » [24:34], « Vous faites quoi les syndicats ? » [24:40] « Ça c’est de votre faute ! » [24:46] à l’adresse du SO immobile. SO qui finit donc par se faire gazer « salement » sous un téméraire « Et la rue elle est à qui ? À nous, à nous, à nous ! » [25:00] émanant du camion cégéte. Un passant lance même un ironique « merci la CGT, c’était vraiment super […] » [25:22]. « Fallait avancer merde ! » etc.

Après Bastille, de nombreuses charges sur les flancs du SO auront lieu, sans que celui-ci ne réagisse à la pénétration de flicaillons dans le cortège ayant « reflué » [28:45]. À quelques mètres du cortège syndical, une autre tentative d’arrestation [29:09]. Ces mêmes forces de l’ordre constituent ensuite un cordon assez proche du cortège syndical, le cortège de tête dissout, l’empêchant d’avancer. La réponse du SO, et des centrales, est encore de rester immobile alors que quelqu’un scande dans le micro du camion « On avance ! On avance ! » [31:05]. Encore faut-il le faire ! Des militantes et militants du cortège de tête amorcent le mouvement, enjoignant le SO à les suivre pour enfoncer les lignes bleues. Réponse, en substance : tant que vous serez devant, nous n’avancerons pas. La désarticulation des luttes et de leurs moyens se présente à nouveau. Ceux-là, de manière paradigmatique le SO, confondent le « moi » et le « mien ». Oui, ceux-là qui sont dans la manifestation, en tant que « moi », ne devraient chercher à s’approprier « la démonstration de force », pour en faire « la leur », celle de la « CGT », etc., sinon devraient chercher à former un « nous » qui, seul, pourra atteindre les buts visés par la manifestation.

Non pas « moi » mais « nous », tel est le commencement de l’affranchissement de la personne ! Tant qu’existera le « mien », le « moi » ne saurait s’arracher de la formidable étreinte de ce monstre.

Enfin, écourtons le récit, qui entretemps se serait fait rocambolesque, pour directement arriver à la place de la Nation. Arrivée confuse du cortège syndical, visiblement empêché d’avancer par … le cortège de tête [35:00] ? Qui sait, l’ambiance est confuse. Le SO sort les matraques, les gazeuses et les macho-virilistes [37:00] : on retrouve la vieille garde du SO, la vieille « garde prétorienne ». Mais devant, sous les gourdins, il y a des camarades, des « vrais » : « Tu devrais avoir archi honte. Je suis un syndicaliste comme toi. T’es une grosse merde avec ta matraque. » [37:20]. Réponse bafouillée de l’arrière-garde « [inaudible] spectacle ! […] ». Un homme du SO, trépignant dans son accoutrement de nervi, de supplétif de l’Ordre, foulard rouge, lunettes de piscine bleues et noires nabaiji, casque noir oxelo, badge et brassard CGT, gaze avidement la foule [37:42]. Ce doit être le fameux « militant sous pression ». Une militante du SO lui demande, effarée : « Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fais ? Mais qu’est-ce que tu fais ? Casse-toi ! Dégage ! » L’apothéose, que nous ne commenterons même plus si fort est l’embarras : les pandores séparent le SO du reste de la foule en passent à travers le SO. On répète en chœur : le SO « [doit] également s’interposer régulièrement pour empêcher l’attaque des cortèges syndicaux par la police. » Sic !

À la sombre lueur de ce récit nous ne pouvons que paraphraser le « Vieux Maure » : ce que nous avons vu et vécu est d’une médiocrité sans phrase. À vous d’en répondre.

Répétons, nous ne le ferons jamais assez, que les syndicats, les syndicats de luttes étaient, sont et seront des alliés des luttes révolutionnaires, anticapitalistes et antifascistes. Toute posture pratiquement agressive face aux syndicats ne pourrait être qu’un égarement politique grave, faisant fi de l’histoire centrale du syndicalisme de lutte en France depuis près de deux siècles.

La radicalité chez la cégété — brève histoire d’une fracture.

Illégalisme, Action directe et extra-parlementarisme : le syndicat chez Émile Pouget

Y’a pas à tortiller, la faillite révolutionnaire est un rude fiasco. Faut qu’ça change, foutre !

Émile Pouget, en père Peinard, vociférait dans ses Almanachs, mais pas seulement. On en peut lire deux petits bouquins, concisément intitulés « l’Action Directe » et « le Sabotage », mais aussi, en vrac « Comment nous ferons la révolution » (co-écrit avec son camarade Pataud (sic)), « Patron assassin » ou encore « Châtrons les frocailles, en attendant mieux ! » [2]. Argoteux gouailleur et vociférateur déter donc, mais surtout théoricien d’un syndicalisme révolutionnaire, d’un « syndicalisme agissant » qui prend les armes du Sabotage et de l’Action Directe pour « livrer bataille à l’Exploitation et à l’Oppression », théoricien d’une classe ouvrière qui, sans trêve, livre assaut au Capitalisme.

La Confédération Générale du Travail est fille de la première Internationale. Fondée en 1895, elle vient au monde dégoulinant des bouillantes ébullitions révolutionnaires, par tous ses pores, de la tête aux pieds. Pouget, l’anarcho-syndicaliste, en est dès le début. Dieu vomit les tièdes, la cégété vire les réformistes et les guesdistes : à Bourges en 1904, la conception révolutionnaire du syndicalisme du « Gniaff » et de ses camarades s’impose largement.

En 1910, Pouget, alors secrétaire adjoint, rédige pour la cégété un texte programmatique [3]. Nous en gardons ici quelques passages, et vous proposons de les lire de façon résolument anachronique — pensez au 11 mars. Il faut apposer au mufle saillissant d’un passé fantasmé la coquille vide de son masque présent.

(N’arrêtez pas sur le vieux Gniaff la positivité béate et béante d’une grenouille de bénitier.
L’homme ici cité est homme — mâle des ruines à abattre.
Qu’il aie pu gargouiller du bonnard, du flambant, d’la dynamite, c’est d’la faute aussi, surtout, à toutexs ses camardes !)
1. La lutte des classes comme axiomatique.

Pouget cite d’abord, et nous citons avec lui, une déclaration qui tient lieu de statuts, rédigée dans les débuts de la cégété, et qui rappelle un peu (et s’y réfère explicitement) les Rules que composèrent le vieux barbu et ses camarades pour la première internationale :

Considérant que par sa seule puissance le travailleur ne peut espérer réduire l’exploitation dont il est victime ; ,
Que, d’autre part, ce serait s’illusionner que d’attendre notre émancipation des gouvernants, car — à les supposer animés des meilleures intentions à notre égard — ils ne peuvent rien de définitif, attendu que l’amélioration de notre sort est en raison directe de la décroissance de la puissance gouvernementale ;
Considérant que, de par les effets de l’industrie moderne et de l’appui « logique » que procure le pouvoir aux détenteurs de la propriété et des instruments de production, il y a antagonisme permanent entre le Capital et le Travail ;
Que, de ce fait, deux classes bien distinctes et irréconciliables sont en présence : d’un côté, ceux qui détiennent le Capital, de l’autre les Producteurs qui sont les créateurs de toutes les richesses, puisque le Capital ne se constitue que par un prélèvement effectué au détriment du Travail ;
Pour ces raisons, les prolétaires doivent donc se faire un devoir de mettre en application l’axiome de l’Internationale : « L’ÉMANCIPATION DES TRAVAILLEURS NE PEUT ÊTRE QUE L’ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MEMES »

« L’objectif dominant de l’organisation syndicale » est affirmé : c’est la lutte des classes. Un rapport dialectique entre Capital et Travail est posé, deux classes sont opposées, aux intérêts irréconciliables — l’une créatrice, l’autre parasitique et pillarde. La nécessité pour les travailleureuses qui ont acquis le sentiment lucide du rapport de classe dans lequel iels sont prises est double : de s’associer d’abord, de mettre in praxis, ensuite, le principe premier de l’internationale qui est que la lutte pour l’émancipation du prolétariat doit, par une nécessité logique en retour, être de son fait. (Cette doctrine a ses apories, et nous y reviendrons, mais au moins, elle a du chien.)

2. Minorité militante.

Se posent alors la question des moyens de cette lutte. Le syndicat prend son rôle :

De la constitution en bloc autonome des travailleurs — bloc qui manifeste avec une grandissante acuité la lutte de classe — devaient résulter des moyens d’action adéquats à cette forme de groupement et aux tendances qu’il exprime. (…) Les méthodes d’action de l’organisation confédérale ne s’inspirent pas de l’idée démocratique vulgaire ; elles ne sont pas l’expression du consentement d’une majorité dégagée par le procédé du suffrage universel. Il n’en pouvait d’ailleurs pas être ainsi, dans la plupart des cas, car il est rare que le syndicat englobe la totalité des travailleurs ; trop souvent, il ne groupe qu’une minorité. Or, si le mécanisme démocratique était pratiqué par les organisations ouvrières, le non-vouloir de la majorité inconsciente et non syndiquée paralyserait toute action. Mais la minorité n’est pas disposée à abdiquer ses revendications et ses aspirations devant l’inertie d’une masse que l’esprit de révolte n’a pas animée et vivifiée encore. Par conséquent, il y a, pour la minorité consciente, obligation d’agir, sans tenir compte de la masse réfractaire, et ce, sous peine d’être forcée à plier l’échine, tout comme les inconscients.

La constitution d’un collectif reconduit sans cesse l’établissement des conditions objectives de son action spécifique. Ce collectif, c’est la « minorité militante » que rassemble le syndicat, ceux de la classe travailleuse qui ont déjà le sentiment lucide dont nous parlions plus haut et qui, par suite nécessaire, ont « obligation d’agir » — et ce sans attendre que ne soient approuvées leurs actions par la mastodontesque foule à l’intelligence encore morte de sa classe et de ses intérêts.

Au surplus, la masse amorphe, pour nombreuse et compacte qu’elle soit, serait très mal venue à récriminer. Elle est la première à bénéficier de l’action de la minorité, c’est elle qui a tout le profit des victoires remportées sur le patronat. Au contraire, les militants sont souvent les victimes de la bataille ; les patrons les pourchassent, les mettent à l’index, les affament, et ce, avec la complicité du gouvernement.
Donc l’action syndicale, si infime que soit la minorité militante, n’a jamais une visée individuelle et particulariste ; toujours elle est une manifestation de solidarité et l’ensemble des travailleurs intéressés, quoique n’y participant en rien, est appelé à bénéficier des résultats acquis.

Le syndicat agit pour sa classe, prend pour elle les armes et les risques nécessaires. Sans amertume et sans haine, il lutte pour les indolents mêmes.

3. Contre la collaboration de classe.

Doit être montrée aussi, clairement, l’antithèse de l’action syndicale révolutionnaire : les engagements helvétiquement dialogueux qui, au surplus d’être mollasses et complaisants, minent les conditions révolutionnaires.

À l’origine, le corporatisme, en limitant son action à des améliorations de détail, n’ayant ni vues d’ensemble, ni idéal, ni d’autre horizon que la frontière corporative, ne menaçait en rien la société capitaliste. D’autre part, l’espoir en l’intervention de l’État qui, parce que saturé de démocratisme, se ferait bon gendarme en faveur des exploités aboutissait aux mêmes fins conservatrices. De l’une et l’autre conception découlait la collaboration de classes, substituée à la lutte de classe, pierre angulaire du syndicalisme.
Cette orientation déviatrice et pacifiste, qui est en voie d’extinction, les pouvoirs publics cherchent à la revivifier par des mesures législatives qui tendent à subordonner les syndicats à l’État, à restreindre leur champ d’activité et à parlementariser leur action.

4. Illégalisme

La loi, pour qui veut la révolution, n’est ni un cadre, ni un but. L’illégalisme, alors, n’est pas un pragmatisme — il est une affirmation. Et l’assaut contre le Capitalisme ne doit pas se limiter à être assaut contre les « capitalistes », les bouffes-galette ; il doit être assaut contre l’État moderne — contre l’état des choses.

[…] les syndicats ne tiennent pas compte des prescriptions législatives ; ils se développent sans se préoccuper d’elles et, s’ils remplissent les formalités exigées, c’est parce qu’ils n’y attachent aucune importance, se sachant assez fort pour passer outre.

Les moyens d’action que nous venons d’esquisser rapidement, outre qu’ils concernent principalement la lutte immédiate, se rapportent surtout à la bataille contre le patron. Mais le syndicalisme exerce une action sociale qui, sans se manifester par une participation directe à la vie parlementaire, n’en a pas moins pour objet de ruiner l’État moderne, de le briser, de l’absorber. Poursuivant l’émancipation intégrale, il ne peut se borner à vouloir libérer le travailleur du capitalisme et le laisser sous le joug de l’État. Seulement, la lutte contre les pouvoirs publics n’est pas menée sur le terrain parlementaire, et cela parce que le syndicalisme ne vise pas à une simple modification du personnel gouvernemental, mais bien à la réduction de l’État à zéro, en transportant dans les organismes syndicaux les quelques fonctions utiles qui font illusion sur sa valeur, et en supprimant les autres purement et simplement.

Syndicalisme et violence : Différence de moyen, différence de fins ? Faut-il être « violent » pour être révolutionnaire ?

Il s’agit de donner d’abord à la violence une définition commode. Nous reprenons celle de Michelle Perrot [4] : « agression collective et physique contre les personnes ou le choses ». Elle servira.
(Ré)écrire une histoire des rapports des syndicats français à la « violence » de militants : vaste et copieux programme que l’on ne suivra pas ici. Nous ne faisons qu’esquisser, faute de temps et d’espace (en suivant surtout la ref 4).

Avant 1890, le développement des syndicats en France agit comme un étouffoir — la violence des mouvements sociaux est encadrée et retenue. « L ’attitude des syndicats est sans ambiguïté : la violence naît en dehors d’eux et ils la condamnent. En vue de prévenir les désordres, ils mettent en place une "police de la grève". » La violence, au sens donné plus haut, ne survient que dans moins de 4% des grèves (plus de 10% pour les grèves de plus d’un mois). Les manifs sont un peu plus agitées (env 30% d’ « agression collective et physique ») Dès les années 1890, les anarchistes et les blanquistes font irruption dans les syndicats (sous l’impulsion, notamment, de Pouget). L’action directe (contre les choses) et le sabotage (de la production) sont alors, pour une période, préconisés comme armes pour les travailleurs syndiqués (peu d’info sur la réalité de terrain). Autour de 1910, la CGT, imitant le PS, constitue un service d’ordre — les désordres sont désormais prévenus.

Succède à la première guerre mondiale une période de flottement dans les encadrements syndicaux qui laisse reparaître les émeutes et la fulminance des agitations. Dès les années 20, et ce jusqu’en 1952 (avec interruption pendant la seconde guerre mondiale), la violence, d’irruption spontanée devient pivot stratégique. Elle est légitimée et encouragée par le PC et la CGTU. « Plus l’action sera violente, plus elle sortira des cadres de la légalité, mieux cela vaut ! » peut-on lire dans le Carnet du militant du PC, « Tout moyen est bon pour cela. Tout moyen, disons-nous, sauf le coup de main individuel, en dehors de la participation et du contrôle des masses. » Tout est bon — par exemple les Groupes de Défense Antifasciste, mis en place par le PC, et qui sont chargés d’entrismer les manifs et de guider les masses ouvrières vers le combat et les actions radicales. Les poulets ramassent : « Lors des grèves des mineurs de charbon de l’automne 1948 (…) une compagnie de CRS est submergée, décimée, dépouillée de ses armes et matériels. » En 1952, c’est la fin d’la récré. La venue à Paris du chef de l’OTAN, le général Ridgway, un yankee dégueulasse, provoque un grand coup CGT-PCF, une manif vener. Ça tourne mal, y a du trépas et des derniers sommeils — deux morts.

Il semble qu’à partir de là, et dans les suites de 68 surtout, la base militante — issue des syndicats ou non — se déchausse un peu de la mâchoire programmatique des directions confédérales — et ces dernières de « commenter », ou de « prendre position » par rapports aux actions des travailleurs radicaux et des nouveaux « gauchistes ». En 68, la CGT et le PC vilipendent les « aventuristes », qui « par goût ou profession (sont) essentiellement préoccupés d’entraîner la classe ouvrière dans des provocations. » Des dirigeants de la CGT critiquent certains militants de la CFDT qui « veulent se donner les allures dures de durs. » Le premier mai 1978, des militants de CFDT Longwy prennent d’assaut un commissariat à coups de béliers et de molotovs — action condamnée par la CGT et assumée par la CFDT (action racontée dans lundi am !). Dans les années 1970, la CGT s’oppose fermement aux séquestrations de patrons « qui divisent les salariés, attirent la répression et permettent ainsi au patronat de détourner les luttes revendicatives de leur objet. » La CFDT, elle, considère que « la séquestration est un moment de révolte face à une situation intenable […] s’il y a quelque chose à condamner, c’est la situation et non pas la révolte. » et que « La violence n’est pas dans le fait de séquestrer cinq personnes ; mais la violence c’est le fait patronal, le refus d’entendre les revendications des travailleurs […]. »
La rupture entre les directions confédérales et les minorités plus radicales a l’air d’être peu à peu consommée : « Lors de la manifestation des sidérurgistes de la CGT le 23 mars 1979 à Paris (…) de sérieux incidents éclatent. Ceux-ci sont provoqués non par les ouvriers de la CGT, mais par des groupes gauchistes dits "autonomes", "rescapés de l’autodissolution de la "gauche prolétarienne" (…) Ces "autonomes" se heurteront aussi bien à la police qu’au service d’ordre de la CGT. (…) La CGT, notamment, accusera la police d’avoir, sinon organisé les incidents, du moins fait preuve d’une négligence collusive à l’égard des autonomes. »

Concluons cette linéeuse historification, sans transition, avec un minucule extrait de « Comment nous ferons la révolution », de Pataud et Pouget. « Les grévistes firent front à l’attaque et, en peu de temps, la bagarre dégénéra en échauffourée quelques tables et chaises, prises aux terrasses des cafés des planches, un tramway renversé, s’esquissèrent en barricade. La résistance ouvrière fut vive on se battit avec acharnement. » Comment ne pas penser à ceux qu’aujourd’hui même l’Huma qualifie de « casseurs » ?

Ainsi, nous avons montré dans quels tubs et par quelles mères — pourpre et noire — la cégété a été mise au monde. Nous avons montré qu’elle et d’autres ont turbulé, frasqué, cassé, parce que c’était nécessaire et senti tel. Qu’elle a honni la collaboration de classe, quelle a vomi les luttes tronquées qui ne visaient pas l’abolition du capitalisme et l’anéantissement de l’État moderne —l’abolition de l’état de choses. Aujourd’hui que le SO condamne et trahit le cortège de tête, il serait trop facile de conclure que « c’est plus c’que c’était », que « c’était mieux avant » et autre dégringolade du cervelle-caillou dans les ravins réactionnaires. Il faut comprendre et, surtout, faire mieux. « Nous allons assister à l’enfantement d’un monde ! »

À Vous, « les uns et les autres »

À chaud : une mansuétude couarde !

Que de mépris, que de haine fracassante à la vue de cet espace dans lequel des camarades se sont vuexs vivre et mourir. Nous devons l’avouer, nous vous avons débectés, honnis, pour votre immobilisme assassin : une médiocrité sans phrase, une mansuétude couarde. Nous vous avons crié dessus, peut-être insulté — vous nous avez frappéexs ; vous nous avez délaisséexs, nous toutexs.

Pluralité des tactiques comme articulation des tactiques — et non désarticulation.

Vous vous épanchez sur le fait « [qu’] une mutation s’est engagée » depuis 2016-2017 dans la formation du SO syndical ; mutation comprenant notamment la prise en compte de la « diversité des tactiques » :

Malgré le contre-exemple que constitue l’agression des cortèges de la CGT le 5 décembre 2020 et le 1er mai 2021, la stratégie des collectifs [du SO] a globalement apaisé les tensions apparues en 2016 entre les syndicalistes et le « cortège de tête ». Cette stratégie implique le respect de la diversité des tactiques, un principe popularisé par le mouvement libertaire lors du cycle altermondialiste des années 2000 : la diversité des tactiques doit permettre la coexistence de tactiques de rue radicalement différentes, violentes et non violentes, en séparant les lieux selon le degré de confrontation voulu, tout en restant solidaires malgré ces divergences tactiques

Termes résonnant drôlement mal avec les suivants, déjà cités :

Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs [du SO] n’ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d’assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical.

De sorte qu’il apparaît que le « respect de la diversité des tactiques » n’est conçu que comme la désarticulation, la balkanisation des luttes et de leurs modes d’action singuliers. Or ce « respect » implique bien l’inverse : l’articulation de modes divers dans des schémas d’action plus larges tendus vers des buts communs. Non pas la recherche du plus petit dénominateur pratique commun, mais bien la recherche de l’articulation synergique des moyens autour du plus grand dénominateur théorique commun. Les moyens de lutte ne se retranchent pas, ne s’additionnent point, mais se multiplient, s’exponentient !

Les dernières grandes victoires, en France et ailleurs, ont usé et abusé du « respect » réel de la diversité des tactiques ; elle se sont construites dessus. Ce fut le cas à Notre-Dame-des-Landes. Récemment la manifestation de Sainte-Soline, et plus généralement le mouvement climat et sa cristallisation autour du collectif « bassines non merci », sont des exemples contemporains frappants de ce qui peut fleurir en adoptant de telles positions : une convergence des luttes réelle — loin de l’impossibilité logique que fait naître l’abstractification des possibles — regroupant « plus de 200 organisations syndicales, politiques, paysannes et environnementales. »

Repenser collectivement le sujet révolutionnaire — dépasser l’aporie du lumpen

Certain, à la vue du cortège de tête doivent se remémorer les fameusement célèbres passages du 18 Brumaire :

A côté de « roués » ruinés, aux moyens d’existence douteux et d’origine également douteuse, d’aventuriers et de déchets corrompus de la bourgeoisie, on y trouvait des vagabonds, des soldats licenciés, des forçats sortis du bagne, des galériens en rupture de ban, des filous, des charlatans, des lazzaroni, des pickpockets, des escamoteurs, des joueurs, des souteneurs, des tenanciers de maisons publiques, des portefaix, des écrivassiers, des joueurs d’orgue, des chiffonniers, des rémouleurs, des rétameurs, des mendiants, bref, toute cette masse confuse, décomposée, flottante, que les Français appellent la bohême.

et hallucinent des hourras « Vive Macron ! Vivent les saucissons ! » Le lumpen planerait sur le cortège syndical, ce lumpen c’est le cortège de tête. Est-ce cela que vous pensez ? Dans tous les cas c’est bien de ces exhalaisons que vous fleurez. En place d’abandonner les apories du « Vieux maure », vous les propagez, calquant le mouvement incessant de la valeur — vide et putréfiant.

Vous devriez revoir votre catéchisme — à la lettre ! Sans vouloir rentrer dans les tréfonds de la théorique révolutionnaire, sans vouloir se faire taupe, la posture syndicale visant à affirmer, à positiver la classe prolétarienne, l’ontologise et l’anhistoricise — posture apologétique qui fait trépasser toute possibilité réelle de dépassement du capitalisme. Comme l’exprime bien Marx :

Le capital suppose donc le travail salarié, le travail salarié suppose le capital. Ils sont la condition l’un de l’autre ; ils se créent mutuellement. L’ouvrier d’une fabrique de coton ne produit-il que des étoffes de coton ? Non. Il produit du capital. Il produit des valeurs qui servent à leur tour à commander son travail, afin de créer au moyen de celui-ci de nouvelles valeurs.

Sans capital, hors capitalisme, il n’y a plus de « travail salarié », plus de prolétariat, voire plus de travail du tout, plus de travail sans phrase. Penser que le prolétariat seul peut subsister, dans une robinsonnade eschatologique d’annihilation de la bourgeoisie, serait comme retirer le mot « Critique » au sous-titre « Critique de l’économie politique ».

Dans la même veine, nous pouvons citer un moment préfigurateur de Blanqui :

Ce sont des bourgeois qui ont levé les premiers le drapeau du prolétariat, qui ont formulé les doctrines égalitaires, qui les propagent, qui les maintiennent, les relèvent après leur chute. Partout, ce sont les bourgeois qui conduisent le peuple dans ses batailles contre la bourgeoisie.

Qui est donc le sujet révolutionnaire ? Ou, plus directement, qui sont les « mauvais » et les « bons » manifestants ? Nous vous laisserons répondre à ces questions.

Une ultime interrogation : voulez-vous, dans les annales de la lutte en train de s’écrire, vous accoler le sceau des républicains-révolutionnaires ou démocrates d’antan ? Voilà ce qu’en dît Blanqui en 1852 :

Eh bien ! les soi-disant républicains-révolutionnaires ou démocrates ne veulent rien de cela. Ils l’ont prouvé en Février. Ne croyez pas qu’alors ils n’aient pas su renverser ; ils ne l’ont pas voulu ils ne le veulent pas davantage à présent, ils se moquent de nous, ce sont des égoïstes prêts à se jeter sur une nouvelle curée et à crier encore : ôte-toi de là que je m’y mette ! Les imbéciles ! ils perdraient une dernière fois et pour toujours la révolution. Car, vous le voyez, chaque avortement entraîne une réaction plus terrible.

À Nous — Que faire ?

Nous ne reviendrons pas ici sur les différences idéologiques, les dissensions théoriques profondes qui traversent les différents cortèges. Nous discutons uniquement de divergences tactiques et stratégiques qui devraient être synergiquement acceptées et donc dépassées.

Le SO dit :

Malgré le contre-exemple que constitue l’agression des cortèges de la CGT le 5 décembre 2020 et le 1er mai 2021, la stratégie des collectifs ALS a globalement apaisé les tensions apparues en 2016 entre les syndicalistes et le « cortège de tête ». Cette stratégie implique le respect de la diversité des tactiques, un principe popularisé par le mouvement libertaire lors du cycle altermondialiste des années 2000 : la diversité des tactiques doit permettre la coexistence de tactiques de rue radicalement différentes, violentes et non violentes, en séparant les lieux selon le degré de confrontation voulu, tout en restant solidaires malgré ces divergences tactiques […]. Le cortège syndical assume son autoprotection. Le cortège de tête doit assumer la sienne. Les collectifs [du SO] n’ont ni le mandat, ni la légitimité, ni la capacité d’assurer la protection de manifestant·es qui ont fait le choix de fonctionner en autonomie, sans se coordonner avec le cortège syndical.

Eh bien, prenons-les au pied de la lettre. Adoptons et assumons une pratique d’autodéfense ne reposant plus sur quelques-uns mais sur tous ; qui, dans la violence à laquelle elle se confronte, s’épaissit comme un idéal qui prend corps. Ne reculant plus dans la pratique, c’est la théorie qui avance — l’impossible possible aurore qui se lève.

Nous prônons une défense collective à la fois indépendante, autonome, et articulée avec les forces syndicales ; passant par la remobilisation des tactiques syndicales de lutte « fonctionnelles » en manifestation, comme la mise en place de chaînes humaines denses lors des assauts et charges des forces de l’ordre. Chaînes combatives tout autant que défensives. Car il est important de faire bloc : nous ne serons jamais si fort, si fortes face à la répression étatique et policière, qu’unies, compacts, bras dessus bras dessous. De son côté, le cortège syndical doit s’assurer de la cohésion de la manifestation « par l’arrière » et, enfin, dépasser cet espace, théorico-pratique, historico-géographique, qui, évoqué plus haut, nous sépare et nous détruit. La lutte n’est ni « un dîner de gala », ni une querelle de chapelle — le livre de prière comme de chant peuvent être rangés. Face à l’ignominie, l’incurie d’un « système monde » ; face à la dureté mortifère d’un rapport social autophage : unissons-nous autour d’un désir, de joies en puissance, unissons-nous pour « l’abolition du Toujours », contre le rapport-capital. Ensemble, enfin, faisons tomber [Aufhebung] le capitalisme.

Pour cela, l’autonomie ne doit pas s’arrêter où commence la charge policière. Réitérons nos propos précédents : le cortège syndical n’est pas un refuge auquel nous pouvons déléguer notre protection ; Non ! le cortège syndical devrait être considéré comme une base arrière de soutient.

Le refus de l’enkystement des pratiques doit aussi imprégner l’ensemble des mouvements du cortège de tête. Ce qui est notamment, et vaguement, proposé ici ne saurait constituer un cadre normatif et prescriptif — bien qu’éventuellement il puisse être moral — aux actions des groupes constituant le cortège de tête. La proposition de ne plus reculer, par le réamorçage de pratiques ayant par le passé prouvé leur efficacité en cela, ne pourrait se résumer à une position jusqu’au-boutiste. La meilleure protection est le rassemblement, possiblement de circonstance. Celle-ci permet réellement, et non abstraitement, le respect de la diversité des pratiques par son insertion in concreto à des formes d’action déjà présentes. Les personnes ne désirant pas, par exemple, se retrouver le nez dans le casque des bleus pouvant réellement se sécuriser par et pour la masse manifestante.

Ainsi, et seulement ainsi, bien que touxtes d’horizons disparates et d’identités différentes, le brûlis sur lequel reposera Paris au retrait de la réforme n’aura été allumé que par une unique braise, la braise du feu commun qui brûle.

Finissons par une maxime tombant à pic :

La vie du monde accélère son mouvement : elle voit ses entrailles de plus en plus pénétrées du trouble violent du réveil printanier ; partout se manifeste un troublant émoi : c’est l’énergie potentielle qui prend connaissance de sa force créatrice et se prépare à l’action.

Note

Voir aussi, en vrac :

Une saison en enfer
Mère courage et ses enfants
https://blogs.mediapart.fr/jean-marc-b/blog/300621/au-sujet-de-la-mutation-du-service-d-ordre-de-la-cgt
https://paris-luttes.info/des-flics-devant-des-agresseurs-14663?lang=fr
https://bassinesnonmerci.fr/
https://www.cgt.fr/sites/default/files/2018-08/2017_statue51econgres_v2.pdf
Les Documents du Progrès : Revue Internationale, Mars 1908
Maintenant il faut des armes
Travail salarié et capital
L’idéologie allemande
Le Capital
Grundrisse
Critique de la philosophie du droit de Hegel
Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte
Le manifeste contre le travail
L’honneur perdu du travail
La fin du prolétariat comme début de la révolution
Apophtegmes sur le marxisme
Le fétiche de la lutte des classes

contact : perro1871@proton.me

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