A notre camarade : les mots de l’hommage à Barış Ataman

Les organisateurs et organisatrices de la soirée d’hommage à notre camarade Barış Ataman remercient l’ensemble des personnes venues rendre hommage et partager cette belle soirée. Nous remercions l’ensemble des groupes venus jouer pour lui.
Combattant de la liberté, réfugié politique, tombé sous les coups des états turc et français, Barış est parti il y a un an.
Nous reproduisons les paroles qui ont été partagées, celles de ses camarades de la CGA ainsi que celles de ses ami-e-s.

Ces textes ont été lus à Mersin, Turquie, lors d’une commémoration en hommage à notre camarade Barış Ataman

“Ami si tu tombes 1000 ami-e-s sortent de l’ombre”

Par les deux textes que nous allons lire ici, nous tenons à apporter à la famille de notre camarade et ami, Barış Ataman, notre entier soutien et nos sincères condoléances. A travers nous, c’est l’ensemble de ses camarades et ami-e-s français-es, tur-c-ques et kurdes de Paris et de Lyon qui n’ont pas pu venir qui s’expriment.
Le premier texte est écrit au nom de toutes et tous les camarades de la Coordination des Groupes Anarchistes, organisation politique à laquelle Barış participait, à Saint-Denis comme à Lyon.
Le second texte est celui de ses ami-e-s plus largement, celles et ceux de l’université, de l’organisation et d’ailleurs. Nous espérons qu’il rendra au mieux l’affection que chacune et chacun lui portait, même si les mots sont toujours limités pour exprimer le fond de nos sentiments face à une telle perte.

Barış, c’est d’abord une rencontre inattendue...

Barış était arrivé en France en mars de l’année 2012, chassé de turquie par la répression menée par l’État turc contre le mouvement syndical étudiant. A plusieurs reprises, il avait vécu de plein fouet la répression des mouvements étudiants, d’abord à Siirt, puis à Mersin. Il avait déjà été condamné à une peine de prison et risquait encore davantage. C’est donc la violence de l’État qui l’a conduit à l’exil politique. C’est ainsi qu’il a été, âgé de seulement 19 ans, douloureusement confronté au déracinement. Seul et sans possibilité de communiquer en France, isolé, il en restait pour autant déjà très fort et débrouillard.

C’est un camarade déterminé à poursuivre en France son combat contre toutes les dominations que nous avons rencontré après quelques e-mails échangés grâce aux sites de traduction en ligne. Symbole des épris-es de liberté, le A cerclé d’une affiche dans les rues de Saint-Denis l’avait guidé jusqu’à nous, où il savait qu’il pourrait trouver, au-delà des difficultés de la communication, les valeurs de solidarité et d’internationalisme qu’il avait défendu jusque là et dont il avait besoin plus que jamais.

… La rencontre d’un lion
Barış avait la rage au ventre. Il ne supportait aucune injustice, aucune oppression et était toujours prêt à lutter. Quelques semaines après notre rencontre, même pas trois mois après son arrivée, il nous embarquait dans le soutien aux étudiantes et étudiants de Turquie qui subissaient la répression et notamment aux militantes et militants anarchistes arrêté-e-s après le 1er mai 2012 à Istanbul et ailleurs. Il connaissait d’autant mieux la situation qu’il la subissait lui-même.
Malgré les difficultés, il ne se plaignait jamais. Pour lui, “vivre, c’était lutter” comme le disent tous les révolutionnaires, de Louise Michel aux YPJ. Sa vie était tournée vers la lutte, la révolution, le socialisme et la liberté. Il vivait simplement car “pour être libre, faut avoir rien à perdre” comme le dit une chanteuse bien connue en France.

Par-delà les frontières, un internationalisme concret et vivant

Kurde, tu savais ce que le nationalisme pouvait causer de guerres, d’atrocités et de tragédies. Pour toi, les frontières ne signifiaient rien de bon. Elles n’étaient que des murs qui nous séparaient et qu’il fallait abattre. À Paris, tu te battais aux côtés des migrants en lutte alors même que toi-même n’avaient pas encore de papiers.
Ton internationalisme était celui de la révolution. Ton implication était sans faille et tu étais prêt à tout contre les oppressions. Nous avons eu la chance de te compter dans les luttes pour le logement et les papiers, contre le capitalisme et en fidèle soutien des luttes des femmes pour leur émancipation. Déterminé et fort de tes convictions, la barrière des langues ne nous a pas empêché de nous comprendre et de partager nos idées et nos luttes contre nos ennemis communs et la violence qu’ils nous imposent :

  • la violence policière, judiciaire ou militaire,
  • la violence sociale de l’exploitation et de la précarité des revenus, du logement, de la santé,
  • les violences contre les femmes, les minorités nationales et les minorités sexuelles,
  • la violence psychologique aussi contre chacun-e d’entre nous.

Déraciné trop jeune et contre ton gré, tu es resté toujours attaché aux luttes de tes camarades en Turquie et au Kurdistan. Tu les vivais de loin, par procuration mais avec toute la passion et la rage qui t’animait. Tu n’arrivais pas à abandonner tes combats et tes camarades, c’est pour cela que tu n’as jamais pu te résoudre à apprendre le français plus que le minimum dont tu avais besoin pour survivre.
Toujours critique de ce que tu voyais, cela ne t’empêchait pas pour autant de t’investir de toutes tes forces dans les luttes contre les oppressions et pour la justice. Nul doute que le processus révolutionnaire au Rojava et les principes qui y sont défendus résonnent avec les principes que tu as toujours défendu en Turquie et en France : la lutte contre tous les États et tous les fascismes, l’émancipation des femmes et l’égalité dans la prise de décisions. Nous savons que tu aurais été avec nous en première ligne de la solidarité antifasciste internationale pour le peuple kurde et les autres minorités en lutte à Kobanê. Tu te serais intéressé aux évènements en cours au Rojava, au Kurdistan en général et en Turquie avec passion et esprit critique, tu aurais porté cet espoir sans faire aucune concession si tu y avais décelé la moindre chose qui te déplaisait.

L’expérience du racisme et de la pr{{}}écarité
Camarade, tu es mort sous les assauts répétés des États et du système capitaliste. Tu avais à peine 22 ans. Tu étais jeune mais tu avais déjà connu beaucoup plus que ce que la majorité des gens ne connaitront jamais en toute une vie sur la violence des États. C’est sûrement ça, en partie, qui animait la flamme de ta révolte et qui garantissait ta détermination à toute épreuve.
Tu connaissais le racisme d’État. Celui de la Turquie contre les kurdes que tu avais expérimenté avant même de pouvoir le comprendre. Celui de la France aussi, où les demandeurs d’asile n’ont droit qu’à une vie semi-clandestine et sont exclus des comptes officiels. Tu as dû te battre pour faire reconnaitre ton droit à l’existence et faire reconnaître les persécutions que tu avais subi ici, dans l’État turc. Tu as affronté la tête haute les difficultés de la vie des réfugiés politiques, le travail clandestin faute de droits, l’individualisme si fort en France alors que la misère est si grande.
Tu connaissais la violence des États. Ici, en Turquie, où tu avais déjà été plusieurs fois arrêté, condamné, torturé. En France aussi, quand la police réprimait nos luttes et que tu faisais front à nos côtés, fort de ta détermination et de notre solidarité.
Les principaux responsables de ta mort, ce sont les États français et turcs et leurs politiques racistes et fascistes.

La machine à détruire les vies humaines qu’est le capitalisme a fait le reste. Des difficultés matérielles liées à la vie en région parisienne t’ont poussé en septembre 2013 à quitter l’île-de-france pour aller à Lyon retrouver d’autres camarades turcophones et y continuer le combat.

Malgré toutes ces difficultés, nous avons essayé de nous entraider et de t’assurer les meilleures conditions de vie possibles. La solidarité des camarades a permis de t’héberger à Paris et à Lyon, que tu obtiennes l’asile, que tu soies inscrit à l’université, que tu commences à apprendre le français avec les cours qu’on a pu organiser et que, quoiqu’il arrive, tu puisses sentir que nous étions toutes et tous à tes côtés, même des camarades que tu n’as jamais rencontré directement et qui avaient déjà prévu de t’héberger en cas de problèmes.

Barış, c’était surtout un camarade exemplaire

En te perdant, on perd toutes et tous un ami et un camarade de luttes. Nous n’oublierons pas toutes ces heures de transport pour venir participer aux actions, aux manifestations, pour soutenir les luttes même à l’autre bout de la région parisienne.
Dès le début, nous avons toutes et tous été marqué-e-s par ta maturité et ta détermination. Si jeune et pourtant, des idées si fortes et grandes auxquelles tu ne faillais jamais. Pour nous, tu étais un camarade rare, en qui nous avions une confiance sans bornes et que nous admirions toutes et tous. Nous te savions prêt à tout pour défendre et faire vivre nos valeurs communes, même dans les moments les plus difficiles. Oui, Barış était dévoué à la lutte.
Là-bas, il nous reste de lui toutes les solidarités qu’il a contribué à créer, toute la rage et la détermination qu’il nous a transmises. Il nous reste une grande leçon d’humilité et de dévouement que nous n’oublierons pas.
Si nous pleurons aujourd’hui, nos larmes ne sont pas de tristesse. Ce sont des larmes de rage. Nous continuerons de porter tes espoirs. Nous portons ta mémoire dans chacun de nos gestes contre ce système qui cherche à nous détruire. La solidarité n’est pas un vain mot.
Barış, tu vivras dans nos luttes.
 
Ses camarades du groupe région parisienne de la CGA

Pour Barış, de ses ami-e-s

Nous rendons hommage à notre camarade Barış Ataman, qui nous a quitté le 13 mai 2014. Nous adressons à sa famille nos sincères condoléances. Nous saluons leur force : celle d’avoir protégé ses combats, celle de l’avoir sauvé de l’enfer carcéral.
Barış, tu as vécu des persécutions bien trop grandes pour un si jeune âge. Par dela les frontières, nous venons ici saluer au nom de tou-te-s tes ami-e-s de France, français, tur-c-ques et kurdes, ta force et tes convictions. Tu restes à jamais un exemple pour nous tou-te-s.

Tu es venu avec des combats plein tes valises

Tu as placé l’amitié sous le signe de la lutte. Dès ton arrivée, tu as su réunir autour de toi de nombreux camarades révolutionnaires, par delà les frontières et les idéologies : depuis ta rencontre avec les camarades anarchistes-communistes que tu as contacté après avoir suivi leurs affiches, à ta rencontre avec les camarades kurdes et tur-c-ques de l’UEKF et des collectifs d’étudiants contre la répression des étudiant-e-s en Turquie quand tu initiais la campagne de solidarité contre la repression des étudiants et des anarchistes en mai 2012.
A l’université, tu t’es rapproché des luttes syndicales de Solidaires Etudiant-e-s et soutenait les luttes des camarades de l’UEKF- Union des Etudiant-e-s Kurdes de France. Discret, tu cultivais une grande camaraderie, et l’amitié ne pouvait marcher sans la camaraderie. Tes objectifs étaient clairs et tu savais ce qu’était le sacrifice. Esprit libre dans toutes les luttes, tu étais critique de tout, attaché à en finir avec les manipulations.
C’est dans la lutte que tu as noué les alliances les plus fortes. Tu as incarné la solidarité et la camaraderie au quotidien. Tu as donné un sens concret à ces mots qui s’affadissent trop dans une société aussi individualiste que la France. A tes côtés, nous avons tou-te-s pris une leçon d’humilité, de détermination et de solidarité. Tu nous as fait grandir.

Les bons moments et la détermination
Insoumis dans ton coeur, insoumis dans tes pratiques, insoumis dans ton idéologie. L’histoire gardera de toi cette image du révolutionnaire déterminé et extraordinairement matûre pour son jeune âge.
De notre côté, nous garderons aussi l’image de ce jeune homme au regard de feu qui défiait le monde à la terrasse d’un café. De tes cigarettes que tu roulais devant un café encore trop chaud. De ton sourire en coin, de ton air malicieux et de tes blagues qui venaient détendre l’atmosphère même dans les moments les plus difficiles. Tu avais le don pour le bon mot dans toutes les situations.
Nous nous souviendrons de cet ami discret, avec qui une partie d’entre nous ne pouvait communiquer que par l’intermédiaire d’un traducteur en ligne très limité ou par quelques mots bafouillés dans des langues qui nous étaient inconnues. De nos sourires échangés, nos gestes à peine perceptibles de sympathie, les frustrations de ne pas pouvoir échanger davantage. Nous nous souviendrons de notre envie de te transmettre un peu notre langue et notre empathie quand nous voyions qu’au fond de toi, tu venais au cours de français plus pour partager un moment intime avec nous que pour apprendre la langue d’un pays raciste, impérialiste et que tu haïssais autant que l’État que tu combattais en Turquie. Nous nous souviendrons la beauté, en même temps, de cette relation qui ne s’embarrassait pas de mots parce que nous savions que nous étions ensemble, dans les idées, dans la lutte et dans les coups durs.

La souffrance de l’exil
Ton esprit était resté en Turquie, auprès de ta famille, tes parents, ton frère, ta soeur et tes ami-e-s. Nous avons appris à le comprendre, pour celles et ceux d’entre nous qui ne connaissait pas la difficulté de l’exil. Nous avons essayé d’être là pour toi tout en acceptant que ta vie était ailleurs. Tu n’as jamais été seul mais la violence du système ne connait pas de limites.
Nous n’oublions pas ta souffrance, le reflet de ces systèmes qui dévorent l’humain à petits feux. Cette souffrance s’est installée à Paris comme une gangrène et s’est douloureusement développée à Lyon. Malgré toute la force de la solidarité qui t’entourait et tous les bons moments partagés. En dépit de ces difficultés, ton combat a continué jusqu’au bout.
La personne qui porte le combat pour la révolution est comme l’arbre. Dans l’exil politique, l’arbre est arraché à sa terre et déraciné. Il est debout mais re-planter ses racines est toujours une tâche compliquée. Déraciner un jeune arbre, c’est comme lui couper directement ses racines, pour s’assurer qu’il ne repoussera pas. Ton arbre à toi était fort et nous protégeait du soleil mais tes racines, les États assassins, en France et en Turquie, les ont coupé trop vite. Nous avons toutes et tous travaillé à leur fournir la meilleure terre que nous pouvions pour qu’elles repoussent mais ça n’a pas suffi.

Nous n’oublierons jamais que les États déracinent sans pitié. L’État turc et son allié l’État français sont responsables et ont ta mort dans leur sinistre palmarès. Mais ni à Gezi, ni à Notre-Dame-des-Landes, ni dans nos coeurs, on ne coupe des arbres impunément. Nous te faisons cette promesse ici : ils n’auront pas de répit tant que nous serons debout.

Barış. Ton nom, c’est la paix. Mais la paix, c’est aussi l’autodéfense. La vie et la lutte continuent. Tous tes espoirs et tes combats vivent en nous. Et aucune répression ne saurait les faire disparaitre.

Du Rojava au Chiapas, nous savons que nous ne sommes pas seul-e-s et que tou-te-s les révolutionnaires du monde portent tes idées.

Bijî Şoraşa û Haval !
Yaşasin devrimci ve dayanişma !
Vive la révolution et la solidarité !

Mots-clefs : Moyen-Orient | Turquie | Kurdistan
Localisation : région parisienne

À lire également...