2 jours à Kobanê avec les camarades des YPJ/YPG

Partis de France avec une valise au contenu improbable et beaucoup de questions, deux camarades anarchistes ont traversé la frontière syrienne clandestinement pour arriver dans cette ville qui fut un temps le symbole de la résistance face à Daesh. Et ils sont allés causer avec les combattantes et combattants qui s’y reposent. Ils tiennent le blog Ne var ne yok ?

Sur le passage de la ville-frontière de Suruç à Kobane, lire Mission « sous-vêtements pour Kobanê »

Kobanê. Contre toute attente, nous avons réussi à passer depuis la Turquie. Et à rejoindre ce petit endroit du monde où se sont concentrés et où se concentrent encore bien des enjeux, où se déroulent encore bien des guerres. Des guerres politiques : où en sera, pour les détenteurs du pouvoir, ce foutu jeu des alliances dans un mois, dans six mois, dans un an ? Des guerres économiques : qui contrôlera le business et le pétrole au Moyen-Orient ? Des guerres idéologiques : quel projet social ? Le fascisme ? La théocratie ? La démocratie capitaliste à la sauce occidentale ? Ou bien le communisme à tendance libertaire ? Autant de guerres, toujours sanglantes, traumatisantes et destructrices.

Kobanê, donc. Où pendant deux jours nous seront accueillis par une des coordinatrices des femmes combattantes kurdes, les YPJ (Yekîneyên Parastina Jinê, Unités féminines de protection du peuple), et ses camarades. Deux jours pendant lesquels elles nous feront faire, en quelque sorte une mini visite guidée et commentée de ce petit bout de territoire (de près de 2000 km2) libre des États et où tout reste à reconstruire et à imaginer.

Voici quelques notes à partir de ce que nous avons pu voir, entendre et discuter.

Kobanê, entre ruines et reconstruction

Depuis la libération de Kobanê, le 26 janvier de cette année, on a tous pu voir des photos de la ville détruite sur les réseaux sociaux. Un simple aperçu de la réalité. Sur place, le décor nous donne plutôt l’impression d’avoir atterri sur une planète hostile. Nous avons sillonné les ruelles, entre ruines et poussières. Des familles sont de retour dans les rares espaces d’habitations qui ont résisté aux attaques. Sur les routes, des tanks, des restes d’obus, des poteaux électriques barrent le chemin, du coup on est obligé de contourner les obstacles ou de changer de direction. On y distinguerait presque les silhouettes fantomatiques de combattant.e.s en train de se battre ou déjà tombé.e.s au champ de bataille. Simple imagination qui te joue des tours. Certaines personnes, de retour chez elles, déploient leurs énergies pour nettoyer, repeindre, et reboucher les innombrables impacts de balles et de mortier qui ont percé les murs. On se dit que ces petits travaux restent dérisoires face à l’ampleur des dégâts. On nous emmène ensuite sur la colline où s’est déroulée l’une des batailles contre Daesh la plus sanglante : nous y voyons la ville de Kobanê en panoramique, une vue d’ensemble qui laisse sans voix.

Pour rendre compte de la violence subie durant ces sept derniers mois de combats, en mémoire des Şehit – les combattant.e.s mort.e.s pour la cause –, les YPG/YPJ, ont pour projet de faire des quartiers les plus détruits un “musée“ : « Nous voulons que le monde entier voit et ressente la violence qui s’est abattue sur la ville,sur ses habitants, et sur nos camarades. Nous voulons que chaque coin de rue reste en l’état pour qu’on s’en souvienne. Et la mémoire de nos combattant.e.s doit rester gravée sur chaque parcelle où ils se sont battu.e.s. C’est grâce à elles et eux si aujourd’hui Kobanê est libre. Nous ne voulons pas seulement leurs rendre hommage, mais faire de la ville leur “musée“. » Il est également prévu de construire une nouvelle ville écologique juste à côté de Kobanê.

En attendant, il reste des craintes d’épidémies. Dès les premières chaleurs, chacun a pu sentir les odeurs des corps en décomposition dans les décombres. Un grand nombre de cadavres ont été ramassés, enterrés, en prenant soin d’y ajouter du chlore pour prévenir les maladies. Des médecins volontaires sont venus sur place et ils guettent l’apparition du moindre nouveau symptôme. Sauf que la difficulté de ne pas trouver les remèdes subsiste. Un hôpital est bricolé au sous-sol d’un bâtiment. Pas d’électricité la journée, on éclaire avec la lumière du téléphone, le temps d’attendre la nuit pour faire fonctionner les groupes électrogènes. Une chambre pour les femmes malades, et une autre pour les hommes. Et des proches et des familles sont dans le couloir à discuter, à rigoler en se montrant des vidéos. Nous rendons visite, avec les combattantes qui nous accompagnent, à leurs ami.e.s blessé.e.s pour leur donner un peu la pêche. Deux camarades gémissent sur des lits rafistolés : ils ont échappé de justesse à un piège explosif posé par Daesh, deux heures avant seulement notre arrivée. Nos hôtes combattantes les taquinent : « Vous êtes des chats. Vous avez neuf vies les gars. Même si on voulait vous tuer, on y arriverait pas. » Rires des uns et des autres. La guerre ne leur enlève pas leur joie de vivre.

A Kobanê, il n’y a pas d’électricité, et pas d’eau. Pour le moment, l’eau des puits couvre les besoins des habitants présents. A laquelle s’ajoutent les bouteilles d’eau qui arrivent par la “Porte“ depuis la Turquie. Pour l’électricité, les habitants se contentent de quelques groupes électrogènes. Ce n’est pas une solution durable. Tous attendent avec impatience le congrès international qui se tiendra à Diyarbakır les 2 et 3 mai. Cela va permettre de concrétiser les aides et les participations à la reconstruction de la ville.

Direction la campagne avoisinante. Le printemps donne de belles couleurs jaune et verte au paysage. Le colza en fleur s’est déployé sur toute la plaine et les collines au sud de la ville. Un instant, on oublie même que non loin, les bombes grondent encore. Nos guides nous disent : « Vous voyez, c’est joli ici. Mais dans ce colza, il y a pleins de pièges. Daesh y a mis des tas de mines. » Un certain nombre d’habitants ont perdu la vie ces deux derniers mois, en tombant par inadvertance sur ces explosifs laissés dans une couverture, sous un tapis, dans les champs, ou sur les routes… Quelques camarades s’improvisent “démineurs“ et se risquent à désamorcer ces engins. Cinq d’entre eux sont morts dernièrement par l’explosion des mines. Les États-Unis ont proposé d’aider en envoyant des spécialistes pour désamorcer le tout, les camarades attendent toujours. Cet été, les habitants du canton ont pour projet de brûler tous les champs et faire ainsi exploser les mines.

Un peu plus tard, nous allons sur la ligne de front. Avec les jumelles que l’on nous propose, on aperçoit les villages encore sous le contrôle de Daesh et d’autres fraîchement repris par les YPG/YPJ.

À lire également...