Votre doute donne la gerbe

Quand nous déclarons une agression sexuelle, un viol, un harcèlement, nous nous confrontons à des personnes qui nous mettent en doute. Ce texte s’adresse à vous, qui doutez.

Votre premier doute concernant une agression sexuelle passe souvent par une injonction à porter plainte. Vous nous dites : Si nous ne mentons pas, pourquoi ne pas aller porter plainte ? La question me semble plus pertinente ainsi : pourquoi cette injonction à porter plainte ? Accepter de se justifier, de se faire psychologiser, d’être mis-e en doute. Accepter ce doute érigé en procédure. Votre doute érigé en procédure judiciaire. Comme si nous ne subissions pas assez de violences comme ça, vous nous imposez une double peine.

Quand est-ce que vous êtes allé-es chez les flics pour la dernière fois ? Vous souvenez-vous de cette ambiance d’insécurité qui traîne dans les commissariats ? De cette odeur de mort qui y règne ? Vous souvenez-vous de nos frères et de nos sœurs qui y ont été assassiné-es, violé-es, torturé-es par les flics ? Les exemples sont multiples.
Une procédure bâclée parce qu’elle est fichée par les RG. Terminer en GAV pour rébellion alors qu’elle allait porter plainte . Se voir ramené-e à un nom et un genre d’État civil, quand ce n’est plus son identité. Attendre des mois la fin d’une procédure qui n’a jamais commencé. Chercher sans la trouver, une avocate qui ne qui ne doutera pas. Le système judiciaire est sexiste, validiste, transphobe, raciste et classiste. Au nom de quoi exigez-vous ou conseillez-vous ardemment de porter plainte ? Au nom de quelle justice ?

Quand vous ne nous demandez pas d’aller voir les flics, ou quand nous refusons, vous jouez vous-même aux flics. Vous utilisez leurs pratiques, leur justice.

Vous êtes sur le qui-vive, à la recherche de nos failles.
Vous ne nous faites pas confiance, alors nous ne vous faisons pas confiance.
Votre doute constant est une remise en question des vécus. Il fonctionne comme un rouleau compresseur, broyant ressentis et récits. Vous êtes habitué-es à minimiser les faits. Car selon vous, pour appuyer des témoignages il faut des preuves « tangibles », du concret.
A la recherche de ces preuves, vous entreprenez des fouilles archéologique. Vous vous introduisez dans nos vies intimes. Vous nous retournez l’estomac, puis le cerveau. Vous nous rendez fous-lles jusqu’à ce que parfois on en vienne à douter de nous-même. Alors qu’il s’agit là pour nous d’un signe de détresse, vous vous engouffrez dans notre doute pour y imposer le vôtre.

Votre doute donne la gerbe !

Mais de quoi donc doutez-vous ? Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans nos récits ? Notre anonymat ou nos seuls témoignages ne font pas de nos récits d’agressions une fiction. Les agressions sexuelles sont chose commune. Elles ont lieu chaque heure, chaque jour. Elles sont un outil de répression, un rappel à l’ordre patriarcal, à la morale, aux normes. Elles sont aussi une menace constante, qui s’accomplit sur des corps « déviants » (Car c’est bien connu, « nous sommes trop-ceci ou pas-assez-cela »). Les agressions sexuelles sont un outil normatif.

Vous soutenez cette norme en doutant.
Vous soutenez cette norme en nous bâillonnant.
Vous soutenez cette norme en vous taisant.

Vous vous persuadez parfois que nous aurions un intérêt à inventer des agressions, ou à les exagérer. Mais rassurez-vous, votre répression est tellement insoutenable que mentir relèverait de l’autoflagellation. Déclarer avoir été agressée sexuellement ne procure aucun bénéfice, bien au contraire. Et c’est parce que nous sommes si difficilement soutenu-es, que beaucoup d’entre nous n’osent pas vous parler de leurs vécus.

Nous avons souvent la rage contre vous. Nous la taisons souvent, car persiste un doute. Pas le vôtre de doute, le nôtre : Êtes-vous les idiots utiles de la répression patriarcale, ou avez-vous conscience de réprimer ? Quand nous sommes certain-es que vous en avez conscience, il nous arrive alors de vous pourrir, de vouloir vous exclure de nos vies. Ne voyez pas là une action de vengeance. Il s’agit de faire en sorte que vous ne nous réprimiez plus. Car votre répression est une violence quotidienne, d’autant plus invivable pour toute personne qui en prendrait conscience.
Êtes-vous les idiots utiles de la répression patriarcale, ou avez-vous conscience de réprimer ? Le plus souvent, nous ne savons pas répondre à ce doute. Alors, nous vous laissons le bénéfice du doute. Nous nous éloignons de vous. Nous prenons en silence nos distance avec votre répression.

J’admire les personnes qui tentent de vous expliquer en long en large et en travers les violences que vous exercez. Elles éveillent parfois votre conscience. Elles y mettent toujours du temps et de l’énergie. Je ne saurais pas rester calme comme elles le sont. Vos arguments patriarcaux me mettent hors de moi. Or, quand on s’énerve, l’explication est souvent contre-productive avec vous. Vous ne comprenez pas notre rage. Vous ne comprenez pas qu’on soit à bout, que nous n’ayons pas envie ou pas la force de garder notre calme. Cette injonction à rester calme fait elle-même partie de votre répression. Car être calme face à vous, c’est souvent se sentir faible, se sentir comme une victime sans défense.
La rage est une arme de confiance. Et notre rage est légitime, ne vous en déplaise.

Nous luttons aujourd’hui pour nous préserver de votre répression. Nous luttons également pour la détruire. Ce n’est pas aisé, car votre répression est vaste. Les textes sur le sujet sont multiples, les discours sont complémentaires, les personnes qui vous en parle sont précieuses. Vous avez la capacité de sortir de ce rôle de répression à tout moment. Séparez-vous en le plus vite possible, ceci est un précieux conseil.

Nous, des survivant-es enragé-es
Je, une plume acérée

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