Saint-Denis : un jour de marché comme les autres

Scène vécue sur le marché de St Denis. Fragment de la répression quotidienne dans les quartiers populaires...

Ce matin, je suis sorti heureux et avec l’intention d’aller manger chez des ami-e-s. Idée réjouissante. J’avais oublié qu’entre temps, il y avait bien 500m et que face à la réalité de la vie en région parisienne, ça pouvait être long, très long...

Quand j’arrive au marché, je vois un attroupement et deux types en bleu au volant d’un caddie customisé pour y faire griller du maïs. La police municipale a encore sévi ! Elle a arrêté l’un de ces dangereux criminels dont le JSD (Journal de Saint-Denis, émanation hebdomadaire de la mairie communiste de droite de la ville) relatait en une de son dernier numéro la dangerosité [1]. Un pauvre type qui parle à peine français et qui vend du pop-corn et du maïs pour 50 centimes pour survivre. Une vraie menace pour la République !

Les flics sont là, arrogants et fiers de leur prise. Deux jeunes hommes leur disent d’aller faire chier d’autres gens ailleurs et de rendre son caddie au pauvre vendeur qui ne peut même pas se défendre. Une vingtaine de personnes observent la scène. Autour de moi, des commentaires fusent, des bribes de discussions volontairement énoncées assez fort pour que les bleus entendent : « Mais c’est eux qu’agressent les gens », « ils sont fous », « mais ils ont rien d’autre à faire que d’emmerder les pauvres gens », « mais c’est les flics là, ils font chier le type là, miskin », « et après ils s’étonnent qu’on va voler » et la réponse « ah mais t’façon, c’est c’qui veulent ces bâtards, ils nous poussent à voler et après ils vont encore nous faire chier ». On hoche la tête, on les regarde avec rage. Je reconnais alors l’un d’entre eux, avec qui je m’étais déjà pris la tête quand les copains de Guantanamo campaient devant la mairie pour leur relogement et les papiers. Il mesure toute la haine que je lui porte quand il croise mon regard. Et il sait que je ne suis pas le seul. La haine des flics n’a pas de couleur, elle n’a pas d’âge ou de religion. Pas besoin d’être sociologue pour comprendre ce qui réunit les gens dans ces situations, quand les flics font la chasse au pauvre au quotidien.

Le vendeur malheureux essaie de s’approcher, d’extraire un peu de nourriture du caddie. Il arrive à reprendre trois épis de maïs qu’il offre à la première mère de famille qui croise son regard. Elle est touchée, elle compatit, veut lui donner une pièce pour le remercier. Sans un mot, il lui fait comprendre qu’il n’en veut pas, il lui donne de bon coeur. Quand il retourne au caddie, les flics l’empêchent de reprendre autre chose. Le criminel veut donner à manger aux gens...et gratuitement ! Heureusement, la police veille.

Finalement, les deux chiens en uniforme (mes excuses aux canidés) s’en vont avec leur butin. J’avais la chanson de Brassens dans la tête en les voyant partir, tu sais, celle qui commence par « au marché de Brive-la-Gaillarde » et qui parle de la plus belle hécatombe de keufs. Celle que si tu chantes, tu risques de te faire arrêter pour outrage.

Chacun-e retourne à ses occupations, en se lançant des regards de complicité anti-flics et d’empathie, en essayant de montrer sa petite solidarité avec l’infortuné du jour. Seul un flic noir reste à côté de la voiture des cowboys et un groupe d’ado qui se foutent de sa gueule « eh mais ça existe pas des keufs renoi, c’est pas possible ». C’est une scène ordinaire, de celles qui te servent à apprendre où est ta place et que tu dois y rester. Heureusement, on y apprend souvent aussi où est notre classe et qui on doit détester.

Moi, je repars dépité. Je croise les illuminé-e-s de Jéhova qui font leur propagande pas loin et d’autres jeunes garçons qui les embrouillent aussi. Je n’en ai même pas le coeur, même si j’aime bien ça d’habitude.

Trop de haine en moi, besoin de poser tout ça sur le papier. Rester seul, me poser, me vider pour ne pas exploser. J’irai manger avec les copaines plus tard.

ACAB

Notes

[1vous trouverez ici la prose nauséabonde de ce journal sur les galérien-ne-s de la misère

Localisation : Saint-Denis

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